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L'avis d'Edith:
Un curieux roman d'anticipation qui nous emporte de 2017 à 2037. Le lecteur passe ces vingt années en prison avec Antoine, enfermé pour avoir enlevé et tué le président français avec un groupe révolutionnaire nommé Ventôse. Quand il ressort en 2037, le monde a avancé. Les injustices qu'il avait cru pouvoir combattre sont pires que jamais. La contestation, elle, se cherche. C'est sa fille Rosa et son voisin Ahmed qui vont alors le guider parmi des pages web subversives et le début d'un campement sur l'Élysée aux accents des campements indignés de 2011.
Denis Lachaud nous propose un roman d'anticipation inquiétant car la réalité qu'il nous montre, pourtant bien dérangeante, n'est pas si éloignée de la nôtre. D'une certaine manière, Denis Lachaud ne fait que forcer le trait. L'actualité de ces mois-ci résonnera étrangement aux oreilles du lecteur de « Ah! Ça ira... », qu'il s'agisse des traitements réservés aux migrants, de la sécurité sociale ou des privatisations. Si le roman peut par instants tinter comme trop facilement révolutionnaire, le dénouement (s'il s'agit d'un dénouement) remélange des cartes qui pouvaient sembler trop évidentes.
Un roman d'anticipation d'une grande actualité donc, qui propose en filigrane d'une histoire prenante une réflexion intéressante sur la contestation, l'engagement et le pouvoir ou non de changer les choses. Un seul regret peut-être, c'est que le bout de chemin parcouru avec certains personnages ne soit pas plus long, car l'on s'y attache de plus en plus au fil des pages.
L'avis d'Edith:
L'histoire se passe en Espagne, dans la première moitié du XVIIe siècle, époque de grandes découvertes, de grands seigneurs, de grands peintres...et d'esclaves aussi. Parmi ceux-ci, Juan de Pareja, jeune esclave noir à Séville et superbe héros de ce roman.
Très vite orphelin, il grandit dans l'ombre de sa maîtresse, tour à tour page de décoration ou garçon à tout faire. A sa mort, elle le lègue à son neveu, Don Diego Velazquez, peintre de la cour d'Espagne.
À Madrid, une vraie relation se crée entre Juan et Don Diego. Tout comme sa première maîtresse lui avait appris à lire, celui-ci lui fait découvrir la peinture. Mais il refuse de lui apprendre à peindre. Les esclaves n'en ont pas le droit. Et pour la première fois, Juan désobéit. Et commence à peindre, avec son regard juste et fort.
Un roman magnifique, d'une époque pleine de grandeur et d'hypocrisie, où l'on voyage avec le peintre et son esclave dans une Europe entre ombre et lumière.
L'avis d'Anouk:
"Non.
Oh non je vous l'assure.
De ma vie, je n'ai jamais rien vu de plus beau".
Derniers mots de ce roman magistral. Ils résonnent longtemps, profondément. Non, sans doute, on ne lit pas souvent livre plus beau, plus dense, plus essentiel que ce somptueux "Principe".
Au centre du livre, la figure de Werner Heisenberg, physicien de génie qui, en regardant "par-desssus l'épaule de Dieu", élabore à vingt-cinq ans le fameux "principe d'incertitude" et balaie du même coup tout ce que les scientifiques, depuis Aristote, tenaient pour le mieux acquis. Renonçant à quitter son pays dans les années '30, alors qu'il en est encore temps, Heisenberg participera lors de la seconde Guerre Mondiale aux recherches allemandes visant à mettre au point une bombe nucléaire. A-t-il, comme il le dira plus tard, tout fait pour retarder le projet? Personne ne saura jamais s'il faut l'absoudre, ou au contraire le condamner.
Il serait bien entendu réducteur, et erroné, de livre "Le Principe" comme une biographie. Jérôme Ferrari tisse autour de Werner Heisenberg un dense réseau d'échos, de métaphores, d'incertitudes. Le narrateur du Principe, qui ressemble sans doute beaucoup à l'écrivain, est un étudiant en philosophie hanté par la destinée de Heisenberg. Il s'adresse à lui à la deuxième personne, ce qui donne au livre son ton si singulier, si incarné. D'origine Corse, ce narrateur qui a dans sa vie personnelle vu s'éteindre bien des idéaux, tend un miroir fascinant au physicien allemand. Grâce à Heisenberg, il sait que d'une vie l'on ne peut rien dire. Il sait aussi que tout le travail d'un homme est de se tenir au bord de la falaise et d'inlassablement y chercher le sens, y chercher les mots.
Texte bref et vertigineux d'intensité, Le principe est une inoubliable expérience de lecture.
Existe aussi en format numérique, cliquez ici pour rejoindre Librel
Neverhome, tout juste publié par Actes Sud, fera date dans la littérature américaine. La guerre de Sécession éclate, une jeune paysanne de l'Indiana part au front à la place de son époux à la santé fragile. La robuste Constance devient donc le soldat Ash Thompson pour sauver l'honneur de son homme et de leur couple. Inoubliable personnage que cette femme dont nous suivons, page après page, la transformation, l'endurcissement. C'est à travers ses yeux que nous voyons la guerre, la vie brisée des hommes au combat. C'est à travers ses mots, ceux qu'elle écrit à son mari, que nous soupçonnons ce qu'elle traverse. Dans ses lettres, elle peut redevenir l'épouse, la femme. Aux yeux de tous les autres, elle est un bon soldat, fort et courageux. Embarquez dans ce roman qui vous mènera loin, dans ses régions de l'âme que seule la grande littérature arrive à explorer !
Ce dimanche 30 août à 15 heures 45 dans la Grande Salle, dans le cadre des entretiens, Geneviève Simon, journaliste à la Libre Belgique, animera la rencontre avec Laird Hunt. Des extraits seront lus par Claire Bodson.
Actes Sud, traduit de l'américain par Anne-Laure Tissut, 22 €.
Un chasseur, Josuke Misugi, pensant s'être reconnu dans la sagacité des vers d'un poète, se confie à lui en lui envoyant trois lettres de femmes qui l'ont à jamais bouleversé.
La première lettre vient de la fille de la maîtresse de Josuke, la deuxième de son épouse, Midori et la troisième de sa maîtresse elle-même, Saïko. Treize ans durant, il a entretenu cette relation adultérine et, comme souvent, l'homme a cru avoir tenu ça secret et n'a rien vu venir de ces trois confessions déchirantes. Si la première exprime la tristesse d'une fille ayant perdu sa mère, la deuxième exprime la froideur d'une femme trompée, désabusée et Saïko vient clore la tragédie avec sa passion dévorante et désespérée.
Intense récit de ce qui aurait pu être une banale histoire d'adultère, l'auteur, par sa précision et par ses apports délicats à la trame du roman nous livre une version sublimement tragique et intemporelle du couple maudit. Un livre bref, comme souvent chez Inoué, qu'une fois lu, on voudrait de suite relire pour tenter de saisir toute la subtilité du trait de l'auteur japonais.
Puisque nous ne pouvons éviter d'être des pécheurs, soyons du moins de grands pécheurs.
Ce dimanche 30 août à 12 heures, dans le cadre des grandes lectures, Noémie Lvovsky nous lira Le fusil de chasse.
Le Livre de poche (bibliopoche), traduit du japonais par Sadamichi Yokoo, Sanford Goldstein, Gisèle Bernier, 4,60 €