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Des héros de Jean-Paul Dubois, Paul Katrakilis porte le prénom, la désinvoluture et l'irrépressible mélancolie. Fils unique d'un couple peu assorti — sa mère n'a jamais caché qu'elle préférait son propre frère à son époux —, petit-fils du médecin personnel de Staline arrivé en France peu après la mort du Petit Père des peuples, Paul choisit après ses études de médecine d'échapper au poids d'une famille destructrice. Il s'établit à Miami et y devient joueur professionnel de pelote basque, un sport qui fait fureur en Floride.
La rudesse du monde sportif lui semble infiniment préférable au climat vicié qui règne chez les Katrakilis. Paul a-t-il pour autant échappé à l'héritage familial? On aimerait avec lui croire au "bonheur simplifié" qu'il s'est bâti outre-Atlantique: quelques amis hauts en couleur, deux femmes inoubliables, un vieux bateau et un chien affectueux. Mais il n'est pas aisé de refuser une succession, et Paul l'apprendra dans de profonds déchirements.
"La succession" est le roman du bonheur et de sa perte, de la liberté qui n'est jamais là où l'on croit, du poids de tragique que recèle toute vie. On y retrouve l'élégance désabusée de Jean-Paul Dubois, son sens du détail, son humour tout d'ironie, mais aussi, plus encore que dans ses romans précédents, une douloureuse noirceur et même un désespoir qui laissent au lecteur bien des questions entêtantes.
L'Olivier, 19 €
Disponible en format numérique
Jens Christian Grøndahl suit un chemin qui n'appartient qu'à lui et l'a mené, depuis Été indien paru en 1994 jusqu'aux Portes de fer, aux sommets de la littérature européenne d'aujourd'hui. Peintre subtil de l'intimité et des mouvements de l'âme, il a aussi l'ambition de prendre à bras le corps le monde et la société dans lesquels évoluent ses personnages: le Danemark occupé de Virginia, les mouvements d'extrême-gauche des années 70 dans Les mains rouges, ou plus près de nous la question éminemment contemporaine de l'Islam européen, dans Les complémentaires.
Les portes de fer est assurément l'œuvre d'un romancier au sommet de sa maîtrise romanesque. Embrassant cinquante années de la vie d'un homme et d'un pays, c'est une fresque de grande ampleur, qui cartographie avec autant de précision les soubresauts de l'histoire que les battements d'un cœur. Grøndahl, dont les romans sont souvent de poignants portraits de femmes, prend cette fois un narrateur masculin. C'est un homme sensible, habité de grands rêves et de doutes abyssaux, marqué par son époque mais la traversant comme en biais. Ses amours ne pourront rien contre la solitude qui l'habite. Son métier d'enseignant lui apprend la bienveillance, mais il ne l'applique pas à sa propre existence.
Les portes de fer peignent ce que c'est qu'être un homme occidental aujourd'hui, et quelles consolations peuvent empêcher une vie de basculer - la littérature, un rire partagé, des luttes et des espoirs. Jens Christian Grøndahl écrit l'intime avec une finesse et une retenue qui bouleversent. Sa langue précise et musicale démultiplie les effets de la mélancolie désabusée du narrateur. Et le lecteur, lui, reste ébloui de tant de justesse.
On dit du Danemark que ses citoyens sont les gens les plus heureux au monde. Le pays peut en tout cas s'enorgueillir d'un écrivain qui nous rend tous, obstinément, un peu Danois.
Jens Christian Grøndahl sera au Théâtre Royal de Namur les 3 et 4 septembre, dans le cadre du formidable intime festival. Ne manquez pour rien au monde la lecture des Portes de fer par Lucas Belvaux et la rencontre avec l'auteur animée par Geneviève Simon: nous sommes certains qu'il s'agira de moments d'exception!
Traduit du danois par Alain Gnaedig, Gallimard, 23.50 €
Disponible en format numérique
Il est des joyaux qu'il est surprenant de seulement découvrir. Don Carpenter est l'un d'eux et le magnifique travail de traduction française par Céline Leroy aux éditions Cambourakis se poursuit avec cet excellent roman.
Un style direct qui touche droit au but et sonne juste, comme si l'auteur se trouvait dans le cœur de chacun de ses lecteurs et ressentait au plus près ses émotions, comme peu savent le faire en réalité.
À la manière d'un Carver, Don Carpenter nous brosse dans ses romans des instantanés de vie avec un tel brio que nous sommes loin d'oublier son nom après l'avoir lu.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Céline Leroy, Cambourakis, 24€
Jonathan Franzen a décidément bien du mal à se défaire de l'étiquette de "grand romancier américain" qu'il porte depuis quinze ans: à l'instar des Corrections, chacun de ses livres — romans ou essais, tel le bouleversant Zone d'inconfort — laisse exploser un talent hors norme, un sens inouï des personnages, la puissance d'une mécanique narrative mise au service de détails infimes, subtils, infiniment sensibles.
Purity déploie sur quatre décennies et trois continents une impressionnante galerie de personnages tourmentés, comme en délicatesse avec l'existence. Entre tous ceux-ci les fils se tissent, se tendent, se brisent, dessinant des relations complexes et équivoques. L'art de créer et de lancer dans le monde des personnages fascinants est assurément la face la plus bluffante de la virtuosité de Jonathan Franzen. Il y ajoute dans Purity une dimension politique plus mordante encore que dans ses précédents romans, tendant à notre époque un miroir peu flatteur. Car Purity est un livre sur l'injonction de pureté et de transparence, maîtres mots de notre temps, qui cachent sous un idéalisme de façade bien des dévoiements: fascination narcissique, manipulation, troubles identitaires...
Implacable, le roman emmène son lecteur à vive allure vers un dénouement contrasté. Pourtant, malgré la noirceur glaçante du constat, Purity est aussi un livre profondément drôle, avec des scènes d'une cocasserie incroyable, et profondément émouvant: le frisson ressenti en côtoyant Purity, Leila et les autres ne vous quittera pas de sitôt.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Olivier Deparis, L'Olivier, 24.50 €
Également disponible en format numérique
Le mois de juin ne manque jamais de ramener la famille Kaan à ce lointain jour d'été qui a vu la mort de Hanne, deux ans à peine. Quarante ans ont passé mais la plaie reste à vif, et malgré les efforts de chacun l'unité familiale n'est qu'une façade fragile.
Dans le monde rural du nord des Pays-Bas, décor déjà du très beau Là-haut tout est calme qui a fait découvrir aux lecteurs francophones l'œuvre de Gerbrand Bakker, le silence pèse le poids du désespoir et la folie guette. Gerbrand Bakker peint avec finesse et une grande économie de moyens la dérive de ces êtres abîmés, à jamais exilés de leur propre destin. La pudeur de sa plume, la lumière étrange des paysages et l'intrépidité d'une enfant de cinq ans, fille de l'un des frères de Hanne qui entend bien trouver réponse à ses interrogations, donnent à cette poignante tragédie une résonance profondément universelle.
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine, Gallimard, 22 €
Disponible en format numérique