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"Je peins des paysages remémorés que j’emporte avec moi, ainsi que les souvenirs des sentiments qu’ils m’ont inspirés".
Profitant d’une copieuse rétrospective consacrée à Joan Mitchell par la fondation Vuitton, les éditions Hazan ont la belle idée de publier en français ce livre qui fera date.
Joan Mitchell est une formidable peintre de paysages, ceux que l’on porte en soi comme ceux que le monde nous offre. Son lyrisme, la lumière qui émane de ses toiles, sa palette formidablement audacieuse font d’elle une artiste majeure de la deuxième moitié du 20e siècle. Le livre signé par l’historienne de l’art Sarah Roberts multiplie les angles d’approche pour éclairer une œuvre née dans le compagnonnage des peintres abstraits américains mais nourrie aussi par la peinture classique, de Chardin à Monet, par la musique, par la littérature. Les reproductions sont splendides, qu’il s’agisse des plus célèbres polyptiques, des œuvres sur papier ou des carnets de travail.
Un bel hommage à une œuvre flamboyante et à une femme artiste à la liberté inspirante.
Cela commence par l’enterrement de Vilma auquel peu de gens assistent et pour cause, Vilma a tourné le dos à sa famille excepté à sa petite-fille, Rocío, qui par certains côtés lui ressemble beaucoup.
Cette jeune fille qui se cherche va emménager dans la maison de sa grand-mère et retracer le parcours de celle-ci, la fuite d’Italie au moment de l’accession de Mussolini au pouvoir, la pauvreté, une aspiration à des études non assouvie, le mariage forcé à un voisin après que l’homme, qu’elle pensait l’homme de sa vie et avec qui elle attendait un enfant, l’ait abandonnée… Bref pas mal de raisons de devenir amère, acariâtre.
Le dessin tout en rondeur enveloppante, les couleurs vives et tranchées, l’humour malgré tout, les trouvailles scénographiques d'Otero Sole nous immergent dans la quête d'identité et d'affirmation de Rocío, dans sa révolte sourde, dans cette transmission posthume bancale entre une grand-mère revêche et pour cause ! et une jeune fille qui se cherche dans une Argentine en pleine crise politique. Brillant!
Éditions Cà et Là, traduit de l'espagnol (Argentine) par Éloïse de la Maison, 25 €
Damon Galgut est un immense écrivain sud-africain. Son œuvre, traduite par les éditions de L'Olivier, est à découvrir toutes affaires cessantes.
De livre en livre, Galgut scrute son pays et décortique avec une force insoutenable les ravages du racisme ordinaire.
Son dernier roman, La promesse, a reçu le Booker Prize en 2021 et est paru en français en mars dernier. C'est, sans aucun doute, un véritable choc de lecture qui vous attend.
Une femme meurt dans une famille blanche de propriétaires terriens, près de Pretoria. Elle a à peine quarante ans, un mari, trois enfants et elle quitte ce monde avec une demande, presqu'une supplication: que son époux lègue à Salome, la domestique noire, la petite maison qu'elle occupe, au bout de leurs terres. L'instant est déchirant, l'homme pleure. Et il promet.
Cette promesse sera le coeur-même de ce roman saisissant. Car elle ne sera pas tenue, car elle n'aura de cesse de diviser cette maudite famille Swart. Car elle est le reflet d'un pays divisé, écartelé, malade.
Sur une trentaines d'années, de 1986 à 2018, Galgut explore le déclin d'une famille, les rancoeurs, les regrets et les convoitises qui détruiront chacun de ses membres. Roman choral, La promesse n'est pas pour autant une saga familiale. C'est davantage le portrait d'une société, et une réflexion puissante sur le racisme.
Politique, poétique, dérangeant, lumineux, inoubliable. La promesse est un texte rare, ne passez pas à côté.
Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Hélène Papot, 23 €
Disponible en format numérique ici
De roman en roman, la virtuosité d’Emmanuelle Pirotte est toujours éclatante. À l’aise dans tous les registres, du roman historique à l’anticipation, de l’aventure au drame, elle a une imagination romanesque affutée, une force d’évocation qui vous embarque, en quelques lignes, dans une cave peuplée de civils pendant la bataille des Ardennes (dans Today we live) ou dans les grands espaces vierges du Canada au 17e siècle (dans Loup et les hommes). Cela s’appelle le panache: une confiance absolue dans les merveilleux pouvoirs de la fiction.
Avec Les Reines, Emmanuelle Pirotte ose plus que jamais la démesure du récit. Plus de cinq cents pages pour brouiller toutes les lignes et réinventer les genres, entre dystopie féministe, épopée ou tragédie shakespearienne. Et l’on se régale autant qu’elle de ce vertige romanesque.
Les Reines nous projettent dans l’après-catastrophe. Notre Vieux Monde n’est plus, ruiné par la voracité des hommes. Mais la Terre s’ennuie des humains, et leur donne une nouvelle chance en changeant les règles du jeu. Désormais, les femmes seront au pouvoir. Sur les ruines du Vieux Monde, elles tiennent des royaumes solides, et parfois même prospères. Peu peuplés, ces royaumes sont aussi traversés par des populations nomades: Gipsies, comédiens, travailleurs itinérants… C’est à l’un de ces peuples errants qu’appartiennent Faith et Milo, héros solaires et cœurs battants du livre. Milo avait dix ans à peine quand la toute petite Faith, orpheline, a jeté son dévolu sur lui. Il a été pour elle un grand frère, un compagnon de jeu, un père de substitution. Jusqu’à ce que s’en mêlent des sentiments amoureux et que Milo se trouve mis au ban de son peuple.
L’histoire de Faith et de Milo est au centre d’un échiquier bien plus vaste, où évoluent des reines dont le pouvoir tyrannique n’a rien à envier à celui du patriarcat du Vieux Monde. Jalousies, ambitions, orgueil rythment la solitude vertigineuse de ces souveraines, Alba la recluse ou Edda la farouche Amazone, ennemie résolue des hommes…
Emmanuelle Pirotte lance à grande vitesse de nombreux fils romanesques et prend plaisir à les tresser et les emmêler. Pour autant on ne se perd jamais, tant la narration est fluide et maîtrisée. En évoquant un temps sorti de ses gonds, en utilisant un futur si lointain qu’il lui offre une grande liberté d’imagination, elle n’en conserve pas moins une structure classique. Le roman fait de nombreux clins d’œil aux chefs-d’œuvre du Vieux Monde et à leur "beauté fracassante". Les tragédies antiques ou les pièces de Shakespeare sont comme le miroir des amours, des secrets, des déchirements de Faith, de Milo et des autres.
Dans un monde réensauvagé, l’humanité qui se déploie dans Les Reines semble aussi imparfaite que nous le sommes. Elle a toujours soif de sang et de possession. Et pourtant, elle sait aussi accueillir la beauté, la vulnérabilité, le tremblement de la passion. Emmanuelle Pirotte rend terriblement proche, et touchante, cette espère humaine d’après la Chute.
Le carré des indigents est un roman policier résolument old school, et pas seulement parce qu’il nous plonge dans la France de 1973. Claude Schneider, inspecteur solitaire à la Philip Marlowe, n’en finit pas de panser les blessures de ses années algériennes. S’il lui reste des illusions après ce qu’il a vu et vécu là-bas, elles vont s’envoler définitivement lorsque meurt Betty Hoffmann, une adolescente de 15 ans violée et sauvagement assassinée. Dans une ambiance de fin de règne (Pompidou est mourant, les années Giscard se profilent) où toutes les ambitions s’étalent de façon parfois nauséabonde, la rigueur et l’honnêteté de Schneider détonnent, et émeuvent.
L’écriture d’Hugues Pagan est précise, virevoltante; elle prend le temps de la description et capte les lumières, les humeurs, les rapports de force. Loin des thrillers haletants et formatés, aux phrases courtes et à l’efficacité fabriquée, Le carré des indigents est un somptueux roman d’atmosphère, un noir mélancolique et corsé comme on les aime.