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Le livre d’Élise Goldberg est bref et néanmoins immense, il contient tout un monde. Il avance à petits pas avec humour et légèreté pour mieux nous éclater au visage.
Ayant récupéré le frigo de son grand-père suite à un déménagement, l’autrice saisit l’occasion pour nous parler de traditions culinaires: Tsibèlès mit eyer – oignons (crus) aux oeufs, Gehakte leybèr – foie haché, gefilte fish – LA carpe farcie, keyz kikhn – gâteau au fromage et tant d’autres. Elle présente tout ce vocabulaire, étymologie, prononciation et développe, en passant, des théories digressives, voyant par exemple en Columbo l’anti-héros juif ashkénaze par excellence. Par ses détours, elle revient sur la trajectoire de sa famille depuis la Varsovie pré-ghetto, l’Ouzbékistan, le Kirghizistan, Paris, internement à Vittel, Palestine et retour à Paris où inexorablement les restaurants de tradition ashkénaze ont disparu.
Pour sa cinquantaine, la primo-romancière Élise Goldberg, se fait et nous fait un merveilleux cadeau. Elle aborde son récit par l’éclat, le fragment et nous prévient dès la première page que d’un objet brisé, on ne peut jamais recoller tous les morceaux. Elle qui anime des ateliers d’écriture et a suivi le fameux master en création littéraire de Paris 8 - dont sont sorti·e·s Fatima Daas, Polina Panassenko, Anne Pauly, David Lopez entre autres - a dit avoir repensé lors de ce master tout son manuscrit: de facture classique à la base, elle a osé exploser la forme grâce à sa découverte de littératures vers lesquelles elle ne serait peut-être jamais allée.
Ce récit s’inscrit parfaitement dans la collection Chaoïd de Verdier, au sens de l’adjectif chaoïde, car s’il peut en effet sembler désordonné, il circonvolue et, quasi “par esprit d’escalier” (trèpvertèr) à travers de petits tableaux composites, “des pelures d’événements”, souvenirs, recettes, photos, témoignages (du groupe Facebook des éplucheurs de boulbès), questionnements, il forme un tout organisé, pénétrant et vivifiant.
Savoureux est le premier mot qui vient à la bouche pour qualifier ce livre mais c'est un terme bien réducteur compte tenu de tous les ingrédients qui le composent. Grandiose !
« Je suis marqué à vie par ce monde presque disparu. C’est une immense joie et une immense peine. Je ne peux pas le dire mieux: mon enfance me remplit et de peine et de joie ».
L’enfance est un territoire dont Antoine Wauters nous a souvent ouvert les portes. Avec Le plus court chemin, c’est sa propre enfance dont il cherche le souvenir – des éclats échappés au temps qu’il nous livre comme les pièces désassemblées d’un puzzle, ourlées de vide et de silence.
De livre en livre, l’œuvre d’Antoine Wauters cherche à « documenter les choses avant qu’elles ne s’effacent », et le chemin si personnel qu’il emprunte aujourd’hui ne s’éloigne sans doute pas tant de ses œuvres de fiction. Le plus court chemin entre notamment en résonance avec son précédent roman, Mahmoud ou la montée des eaux. La quête est la même: ouvrir des voies qui permettent d’habiter le monde poétiquement et politiquement.
Grandi dans un village des Ardennes liégeoises, Antoine Wauters glane les traces d’un monde pas si lointain (les années 1980) et pourtant disparu, englouti par l’individualisme, la vitesse et les illusions du consumérisme. La nostalgie est là, mais elle marche main dans la main avec une joie profonde. Celle de faire ressurgir la moitié moelleuse du monde: la bonté des grands-parents, les odeurs de la campagne, les objets rafistolés, les accents, les superstitions, la beauté du jeu (« Quand il n’y a pas école, j’embrasse prestement mes parents, j’enfile mes vieux habits et je vais jouer. C’est une phrase magique. Tu fais quoi aujourd’hui ? Je vais jouer. »).
Le plus court chemin n’est pas une autobiographie satisfaite, mais tout le contraire – des cailloux semés pour aviver l’enfance et ses sensations. Le récit avance en fragments, petits carrés de textes cernés du blanc de la page, un blanc qui invite chaque lecteur à y trouver une place. Le je d’Antoine Wauters est fraternel, universel. Il fait tenir ensemble la matérialité et l’insaisissable. Surgissent devant nous sa grand-mère penchée sur des mots croisés, un tracteur oublié dans un champ, la terreur qui saisit le petit garçon à l’idée de ne pas retrouver sa mère. L’amour circule, il unit les générations, les frères et les sœurs, et il est là aussi dans le regard posé sur les plantes, les animaux, les noms des villages et hameaux. Ce sont des manières simples d’être au monde et d’attraper la vie – des voies à explorer dans notre époque en quête de sens ?
On lira aussi Le plus court chemin comme un passionnant art poétique. C’est qu’Antoine Wauters vit depuis l’enfance « avec le sentiment que les mots sont la seule vraie présence en moi ». Dérouler le fil de l’enfance, c’est aussi retrouver la source des mots et de ce besoin d’écriture qui le tenaille. « Je n’étais pas destiné à écrire, mais à flotter ». Tel Mahmoud penché à la surface du lac, en équilibre entre deux mondes, il faut imaginer Antoine Wauters avançant entre les mots et le silence, le visible et l’invisible, la plénitude et le manque. « Je ressens comme une certitude que l’écriture n’est pas une activité. C’est un pays, un lieu qui me devance et vers lequel je tends. Le seul endroit où l’on peut me trouver – et le seul où je me trouve. Partout ailleurs, je n’y suis pas. Je n’ai lieu que là. »
Disponible en format numérique ici
Antoine Wauters sera notre invité le mardi 3 octobre prochain: une rencontre à ne pas manquer!
Connaissez-vous Zuza?
Si vous répondez "oui", vous allez vous réjouir: l'École des Loisirs vient de rassembler ses douze aventures dans un livre-trésor, un gros album tout doré qui va éclairer comme un phare la bibliothèque familiale.
Et si vous répondez "non": quelle chance! Vous allez faire la rencontre de la petite fille la plus espiègle, la plus futée, la plus intrépide, la plus adorablement insupportable qui soit. Zuza, reine des bêtises, impératrice de la mauvaise foi, héroïne magnifique va vous ouvrir les portes de son univers. On y trouve un crocodile débonnaire, tout à la fois ange gardien et souffre-douleur de Zuza. On y croise des dîners très mauvais qui s'envolent par la fenêtre. On y fait des cauchemars, des colères, des voyages. Le livre nous emporte aux quatre coins de l'imagination d'un enfant avec énergie, drôlerie et un réjouissant esprit de contrebande.
Anaïs Vaugelade capte dans les histoires de Zuza la magie de l'enfance. Son dessin tout en mouvement, son usage bluffant de la couleur, la poésie visuelle de chaque scène, le dynamisme de leur découpage... autant de pistes qui expliquent pourquoi Zuza est devenue un classique, une oeuvre qui n'en a pas fini de réjouir les petits lecteurs (dès deux ans et pour longtemps) et ceux qui ont la chance de lire avec eux.
Viva Zuza!
Inventaire de choses perdues est l'une des lectures les plus résonantes de la rentrée littéraire.
Écrivaine et artiste allemande, née dans cette RDA engloutie par l’histoire, Judith Schalansky ramasse dans ce livre les éclats de choses perdues, oubliées, lacunaires – comme autant de cailloux précieux. D'une île qui a sombré dans le Pacifique à un poème de Sappho, d'un film fantôme aux ruines d'une villa, d’une peinture brûlée au Tigre de la Caspienne, toutes ces parts manquantes de l'histoire humaine nous donnent des nouvelles de nos vies, tissées de béances, d'oublis, de pertes.
Dans chacun des douze textes qui composent cet Inventaire, Judith Schalansky se tient sur un fil ténu entre poésie et érudition. Vie rêvée ou biographie imaginaire, chaque texte ouvre des espaces de méditation et de sensation : « Rien ne peut être ramené par l’écriture, mais tout peut être rendu à l’expérience ». Le livre nous parle de la beauté de l'éphémère et réfléchit, dans une démarche qui fait penser à celle de W.G. Sebald, au mouvement de balancier entre mémoire et oubli. Car « Il est certes grave de tout oublier. Mais il est encore plus grave de ne rien oublier, car toute connaissance est d'abord engendrée par l'oubli. Si tout s'enregistre indifféremment comme sur un support de stockage électrique, la signification se perd au profit d'un amoncellement désordonné d'informations inutilisables ».
L’objet-livre lui-même est pensé pour accompagner la démarche de l’autrice. Sa mise en page soignée, ponctuée d’images évanescentes, participe à la force de la réflexion. C’est que le livre a lui aussi un rapport intime avec le temps et la mémoire – c’est « un espace proche de la ruine, utopique, dans lequel les morts sont bavards, le passé vivant, l’écriture vraie et le temps maintenu ».
Inventaire de choses perdues est une ode inspirée à la curiosité doublée d’une invitation à déambuler dans les couloirs du temps. L’expérience est magique.
Nous sommes heureux de vous présenter les rencontres qui ponctueront l'automne à la librairie. Elles reflètent nos coups de cœur de cette rentrée littéraire et dessinent une cartographie sensible où il est question de transmission, de liens, de quête de vérité et de beauté.
Nous vous reparlerons bientôt de chacune de ces rencontres, mais notez déjà les dates de rendez-vous:
- ce vendredi 22 septembre à 19h30, nous accueillerons Éléonore de Duve à l'occasion de la parution de son premier roman, Donato, paru aux éditions Corti.