Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30
L'avis d'Anouk
C'est un texte bref, et c'est un grand livre. On croit connaître toutes les palettes du Napolitain Erri De Luca. Ses livres émeuvent, donnent à penser, regardent le monde avec une acuité et une humanité peu communes. Avec Le tort du soldat, c'est une tonalité assez nouvelle qui se donne à lire, une opiniâtreté, une colère que rien ne vient apaiser.
Deux monologues s'entremêlent à la première personne: deux solitudes qui se croisent dans une auberge de montagne. Le premier texte est celui d'un homme qui ressemble à Erri De Luca, écrivain du silence, alpiniste obstiné, traducteur du yiddish parce que "une langue n’est pas morte si un seul homme au monde peut encore l’agiter entre son palais et ses dents, la lire, la marmonner, l’accompagner sur un instrument à cordes". Le second celui d'une femme encore jeune, qui séjourne dans les Dolomites avec un père qu'elle a longtemps pris pour son grand-père. D'un texte à l'autre, la rupture n'est qu'apparente (rupture de voix, de genre, de questionnements) tant sont subtils les échos qui se tissent.
Ce serait faire injure à ce roman dont la puissance vient de sa briéveté que de déplier longuement les questions brûlantes qu'il condense. Disons simplement que dans ce texte tendu, qui se clôt de façon si abrupte, Erri De Luca empoigne toute l'histoire du vingtième siècle et de ses démons tout en offrant aussi une réflexion universelle et intemporelle sur le rapport des hommes aux langues qu'ils parlent et qui les font vivre.
C'est tout simplement bouleversant.
Traduit de l'italien par Danièle Valin, Gallimard, 11 euros
L'avis d'Anouk :
"Il y a encore, Dieu merci, des gens qui doutent, certains même qui ont l'esprit d'hésitation. Il y a des non-prêts mieux préparés que des déjà prêts, et des inultiles souvent beaucoup plus utiles que les utilisables".
On dirait ces mots de Robert Walser écrits pour évoquer La cravate, l'étonnant roman de Milena Michiko Flasar. Dans le Japon d'aujourd'hui se croisent deux solitudes, celle d'un ado qui reprend timidement goût à la vie après avoir passé deux ans sans quitter sa chambre, celle aussi d'un cadre d'âge mûr qui vient de perdre son emploi. Dans une société vouée à produire de la réussite et de la rentabilité, ils sont l'un et l'autre des inutiles, et leurs existences fragiles éclatent sous le poids de la pression sociale. Dans une succession de tableaux épurés, Milena Michiko Flasar arrive, sans manichéisme, à dérouler la trame complexe de ce qui fait ces deux vies.
La cravate est un roman naturaliste de notre temps, qui dit la difficulté de se construire dans un monde déstructuré où le couple et la famille réussissent à peine à adoucir la violence du jeu social. Une lecture interpellante.
Traduit de l'allemand (Autriche) par Olivier Mannoni, éditions de l'Olivier, 18.50 €
L'avis d'Anouk :
La vie qui bouillonne à l'intérieur de nous reste le plus souvent opaque pour nos proches, et parfois même pour nous-même. C'est son flux pourtant qui nous pousse à avancer, à recommencer, à poser les choix aux moments déterminants. Inside est le roman de cette vie intérieure. À travers le destin d'une dizaine de personnages, Alix Ohlin nous montre comment elle interagit avec ce que nous sommes en apparence, comment les ressorts intimes façonnent le lien que nous nouons avec les autres, comment nos parcours familiaux, sociaux, sentimentaux s'inscrivent au plus profond de nous. Inside nous promène pendant une décennie de Montréal à New-York, de la côte Ouest au Rwanda. Ses personnages tour à tour nous touchent et nous agacent, mais on ne peut s'empêcher de suivre leurs cheminements comme ceux d'amis perdus de vue que l'on a plaisir à retrouver.
L'amour, la filiation, la perte, la culpabilité, la grâce aussi : Inside joue sur tous ces registres avec une sensibilité et une justesse peu communes. Une découverte!
Traduit de l'anglais (Canada) par Clément Baude, Gallimard, 22,50 €