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Avec elle, nous nous sommes terrés dans les caves où, sous le feu de la bataille des Ardennes, les civils attendaient la fin du monde — ou la rédemption; nous avons fui Bruxelles ravagée par une épidémie (prémonitoire De profundis!); nous avons traversé à brides abattues les terres sauvages du Québec du 17e siècle sur la trace de deux frères se disputant un héritage; nous avons rejoué l'éternelle histoire de l'amour à mort dans l'Angleterre élisabethaine. En quatre romans, Emmanuelle Pirotte s'est imposée comme une romancière au talent singulier, à l'aise dans tous les registres, avançant avec fougue et panache dans des narrations à la construction subtile.
Rompre les digues, qui paraît aujourd'hui chez Philippe Rey, ouvre une nouvelle page dans son chemin d'écriture. Si cette fois le décor est résolument contemporain, si l'aventure cède le pas à l'exploration des sentiments, on retrouve la finesse d'écriture, le sens de la formule, l'épaisseur humaine qui sont l'âme de chacun des romans d'Emmanuelle Pirotte.
Dans la mélancolie des bords de mer, Renaud traine son ennui et son cynisme. Héritier d'une famille fortunée à défaut d'être aimante, il ne croit en rien et vomit une société rance et vide de sens. Seules la drogue et une prostituée moldave le détournent de ses idées noires. Autour de lui gravitent des figures attachantes (un ami d'enfance, une tante bienveillante, une improbable danseuse de tango) qui ont fort à faire pour endiguer l'amertume abyssale dans laquelle se débat Renaud.
Et puis débarque Teodora, et avec elle des fantômes, une densité de silence et de malheurs à la mesure des blessures de Renaud.
Ces deux-là se reconnaissent d'instinct, deux grands fauves dans un monde anémié. On n'en dira pas plus de leur histoire, forcément poignante, forcément tragique, si ce n'est qu'elle remue au plus profond et réussit à capter, au cœur de la désespérance la plus noire, une lumière qui éblouit.
Disponible en format numérique ici
«Ce n'est pas très sérieux, intellectuellement, de s'inquiéter pour des personnages de fiction qui décident de se marier. Mais il n'y peut rien: la littérature l'émeut. Un de ses profs appelle ça le plaisir d'être touché par le grand art».
L'émotion de Connell s'abandonnant à la lecture des classiques n'est pas si différente de la nôtre quand nous plongeons dans Normal People, le second roman de la décidément très douée Sally Rooney. Ses Conversations entre amis avaient épaté par leur fougue, leur insolence, leur intelligence. Un cocktail que l'on retrouve ici au service d'une magnifique et déchirante histoire d'amour.
Marianne et Connell grandissent dans la même petite ville de l'Ouest irlandais. Lui, c'est le beau gosse du lycée, la star de l'équipe de foot, celui qui fait tourner la tête des filles et même de la prof de sciences éco. Elle, issue d'une famille de notables, joue le rôle de la paria hautaine, celle qui lit Proust seule dans un coin de la cantine. Rien n'aurait dû rapprocher Marianne et Connell. Et pourtant. Fulgurants, intenses, les débuts de leur histoire vont marquer à jamais leurs trajectoires et tisser « un langage qui n'appartient qu'à eux », par-delà ruptures et retrouvailles.
Autour de Marianne et Connell, la vie bruisse. Le roman peint de nombreux portraits, tous très réussis. Comme dans les Conversations..., Sally Rooney donne chair aux émois et aux tourments de la génération des Millenials, entre hyper-connexion et solitude abyssale. Elle rappelle au passage que la forme romanesque la plus classique, héritée de Jane Austen ou George Eliot, reste un outil d'une efficacité redoutable pour sonder les âmes du 21e siècle. Les portraits des mères de Marianne et Connell sont eux aussi saisissants de justesse.
Sally Rooney capture notre époque, ses codes, ses mœurs tout en s’inscrivant dans une certaine tradition romanesque, très fitzgeraldienne. L’impossible amour, les différences de classes sociales, l’impact du groupe sur l’individu, tout cela a certes déjà été écrit. Mais il y a dans son écriture une finesse, une délicatesse, un style, qui font de ce roman un pur chef-d’œuvre.
Et puis il y a le sens de la construction romanesque, alternant des dialogues vifs et alertes, des ellipses et des silences parfaitement justes. La narration de Sally Rooney capte les non-dits, l'ironie, les infimes variations du sentiment amoureux. De bout en bout, elle est bluffante de maîtrise.
Normal People nous emporte au plus profond de nous-même, là où seuls les grands romans peuvent nous mener.
Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (Irlande) par Stéphane Roques, 22 €
Disponible en format numérique ici
Lire la suite : Le Prix Mémorable pour "Nous avons les mains rouges" de Jean Meckert
L'avis de Maryse:
Quelle pépite que ce premier roman graphique de la jeune Alix Garin.
Marie-Louise souffre de la maladie d’Alzheimer. Fortement ébranlée par la déficience cognitive de sa mamie qui l’a en grande partie élevée, Clémence décide de l’enlever de sa maison de retraite pour l’emmener voir son hypothétique maison d’enfance, au bord de la mer.
Commence alors un road trip haletant à bord de la petite auto de l’étudiante – Clémence sait que sa famille et la police les recherchent – au cours duquel la jeune femme sera inévitablement confrontée aux terribles difficultés inhérentes à la maladie de sa grand-mère, mais qui renforcera aussi de façon immuable le lien intime entre les deux femmes. Et de fait, ce qui n’est autre que d’ultimes retrouvailles a tout d’un véritable parcours initiatique pour chacune d’entre elles. Si la quête principale doit ramener Marie-Louise à qui elle était, ce voyage intense révélera évidemment à Clémence énormément sur elle-même.
Inspirée de son vécu, la jeune bédéiste façonne ici un univers graphique qui lui est propre, au trait doux, flottant et expressif. À la fois pudique et écorché, son récit pose avec nuance et intelligence les grandes questions sous-jacentes à la relation familiale et ses non-dits, la transmission, la loyauté, l’amour, l’érosion du corps, les souvenirs qui nous fondent et les ravages du temps qui passe. Cette lecture est troublante, émouvante, parfois drôle mais surtout extrêmement riche, rappelant que décidément, le pouvoir de la littérature dessinée est lui aussi extraordinaire.
Le Lombard, 22,50€ - disponible en format numérique
« Une œuvre ne peut aller à un jeune public que si elle est parfaite », disait Michel Tournier.
C'est dans sa filiation que s'inscrit Xavier-Laurent Petit, et assurément ses Histoires naturelles sont parfaites – un réjouissant mélange d'aventure, d'écologie et d'histoire.
C'est presque toujours le réel qui déclenche l'écriture chez Xavier-Laurent Petit. Des événements vus ou lus qui lui donnent envie d'aller plus loin et de se les approprier par le prisme de la fiction. Un enivrant parfum de «presque vrai» se dégage ainsi de ses romans pour les adolescents, comme une invitation à découvrir d'autres rapports au monde que le nôtre.
Cette même ambition d'immersion documentaire est à l'œuvre dans les Histoires naturelles, destinées à un public plus jeune (9-12 ans). La série est thématique. Ce ne sont pas les personnages qui font le lien d'un livre à un autre, mais une idée : faire vivre à un enfant, un animal et un milieu un « événement climatique » particulier – ouragan, sécheresse ou fonte des glaces, De livre en livre, un même constat : la nature est fragile, les équilibres menacés, mais si l'homme du 21e siècle apprend à respecter les formes d'intelligence différentes de la sienne, la sagesse traditionnelle, l'intelligence animale ou végétale, tout n'est pas perdu.
Chaque roman étoffe cette trame écologique en mettant en scène des personnages hauts en couleur et attachants. Les héros sont bien entendu des enfants mais ils ne sont pas seuls, et les complicités qu'ils savent s'attirer avec une vieille voisine, un scientifique, une aïeule, font d'eux des héritiers capables de réinventer le bagage du passé. Les chapitres sont brefs, les dialogues fusent, le suspense tient en haleine, et puis bien sûr il y a le goût du voyage. Chaque roman s'ouvre sur une carte et invite à prendre la route : on arpente la Nouvelle Orléans dans Un temps de chien, se perd en Tasmanie avec Les loups au clair de lune, découvre l'immensité de la taïga sibérienne dans Mission mammouth.
Les illustrations magnifiques d'Amandine Delaunay ponctuent finement chaque livre, accentuant les jeux de miroir de l'un à l'autre. Mention toute spéciale pour Mission mammouth où l'illustratrice, inspirée de gravures et de photos anciennes, joue sur un somptueux noir et blanc pour donner plus de relief encore à un récit passionnant.
Une série que l'on a hâte de voir se poursuivre !