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paul a la maisonL'avis d'Adrien :

La série des Paul démarrée il y a un peu plus de vingt ans est très vite devenue un classique de la bande dessinée québécoise, une œuvre patrimoniale. Ce dixième volet est probablement le plus sombre, le plus touchant aussi mais l’auteur nous y réserve tout de même quelques respirations désopilantes qui font aussi tout le sel de cette série.
Les « Paul » forment une fresque à grande part autobiographique mettant en scène l’alter ego de Michel Rabagliati en la personne de Paul Rifiorati. Dans ce volume, Paul se trouve à la croisée de nombreux chemins. Il sort d’un divorce et se morfond dans sa solitude, voit sa jeune fille partir pour l’Angleterre, accompagne sa mère en fin de vie et se sent inexorablement vieillir physiquement et mentalement. Le monde change autour de Paul qui observe toutes ces mutations comme un témoin passif.

Vous l’aurez compris une middle life crisis en plein mais on prend de bonnes bouffées de rire avec un voisin maniaque, une animation scolaire quelque peu foireuse, une foire du livre perfide et autres petits tourments du quotidien vus par le prisme de l’humour. Ajoutez à ça, en arrière-plan, toujours, le Québec et Montréal, les typicités architecturales et sociétales des différents quartiers parcourus par Paul, les expressions fleuries du cru, sans en faire trop, et vous aurez tout le charme hautement prenant de ces chroniques !btn commande

A la fois portrait intime et portrait de société, les Paul nous touchent et nous réconfortent par leur universalité.

La Pastèque, 25 €.

la riviereL'avis d'Adrien :

Si vous avez toujours eu envie de descendre une rivière en canoë et déposer votre bivouac chaque soir en fumant une bonne pipe après avoir mangé le résultat de votre pêche au coin du feu, ce roman est fait pour vous. Si vous avez apprécié le côté dérangé et malsain de « Délivrance », ce roman est également fait pour vous !

Après le magnifique « La constellation du chien » où Peter Heller associait la dystopie au nature writing, l’auteur allie ce même nature writing au thriller et nous entraîne dans un suspens haletant où le cours du récit suit le cours de la rivière, tantôt calme, tantôt vif et empressé.

Wynn et Jack, deux amis épris de nature, ont décidé de concrétiser la virée de leur rêve, une descente tranquille du fleuve Maskwa, au nord du Canada, en canoë. Ils sont jeunes, forts, soudés, expérimentés et en pleine possession de leurs moyens. Le trip démarre parfaitement jusqu’à ce qu’au détour d’un point de vue, ils aperçoivent à l’horizon un immense feu que rien, même la rivière à son plus large, ne semble pouvoir stopper. Et ce n’est que le début de leur plongeon au cœur des ténèbres, car s’ensuit une course folle en prise aussi bien avec les éléments, eau et feu, qu’avec de regrettables rencontres. L’alternance de moments plus contemplatifs et d’accélérations où chaque décision engage la vie et doit se prendre dans l’urgence met d’autant plus nos sens de lecteurs en émoi, le suspens est total.

Si Peter Heller est toujours aussi fort pour mêler description précise de la nature et poésie, il a aussi un talent énorme pour nous parler avec finesse, loin de toute moralité, de la bonté humaine et des limites qu’elle peut avoir. L’humanité et la nature sont ici représentées dans tout ce qu’elles peuvent avoir de paisible et de sauvage. A vos barques, prêts ? Feu !

Actes Sud, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 22 €.btn commande

Disponible en numérique par ici.

L'avisLété sans retour C1 de Maryse:

À nouveau, voici un roman belge, publié chez Gallimard, qui vaut le détour !

2005 à Ravina, un bourg isolé de Basilicate, la région du sud de l’Italie « dont on dit, tant sont peu nombreux ceux qui la connaissent, qu’elle est un peu comme Dieu lui-même, réelle et imaginaire, ne se laissant ni facilement décrire ni atteindre par le temps. » Alors que le village est en fête, la jeune Chiara, fille des propriétaires de l’épicerie et nièce de l’agriculteur Pasquale Serrai, disparait. Des jours durant, malgré les battues des carabinieri et la mobilisation de tout le village, elle reste introuvable. Très vite, les chaînes de télévision et les rédacteurs de gazettes locales et nationales vont s’implanter dans les lieux jusqu’alors ignorés, et s’emparer de l’affaire, la transformant en un macabre et voyeuriste roman-feuilleton suivi par le pays entier et dont plusieurs villageois deviennent les personnages-vedettes. Au cœur de l’angoisse, de l’indignation et de la tristesse se révèlent frustrations, jalousies, et haines enfouies.

C’est Sandro, orphelin pris sous l’aile de Serrai et jeune homme mis au ban de ce petit monde à l’époque des faits, qui, des années plus tard, raconte le funeste épisode qui avait bouleversé la vie d’ordinaire si taciturne d’une région où tout le monde croit connaître tout le monde...

Le roman de Giuseppe Santoliquido prend vite la forme d’un bon thriller haletant et pourtant, c’est la fine analyse de ce que peut revêtir une société rurale, géographiquement isolée, aux hommes et aux femmes que le dur labeur a maintenus butés, inflexibles, envieux et intransigeants qui est à retenir. C’est aussi une réflexion sur la façon dont les médias – et ce même avant l’arrivée massive de Facebook et autres réseaux sociaux – récupèrent une atroce réalité afin de la servir chaude et bien croustillante à des spectateurs en mal de sensations. Mais surtout, c’est une écriture juste, accomplie et véritablement élégante qui transporte le lecteur de la première à la dernière ligne de ce très bon roman.

Gallimard, 20 €btn commande

Disponible en format numérique ici

L'avisdebout dans leau de Maryse:

Voici un roman bref, sobre et fort, au style si particulier et à la sensibilité tellement profonde que le moment fugace de sa lecture résonne encore et encore.

Nous sommes en pleine campagne flamande, dans une vaste et calme demeure bordée d’un immense jardin et d’un étang. Aux portes de l’adolescence, une jeune fille vit chez ses grands-parents depuis ses deux ans. « Enfant naturelle », elle a été laissée là par sa mère, qui ne revient pas. La grand-mère est aimante, quoique silencieuse, pudique et distante. Le grand-père, figure drue et autoritaire, quant à lui, se meurt à petit feu au fond de son lit. Cet été-là, les journées de l’enfant solitaire s’écoulent doucement dans le grand jardin, son corps immergé dans l’étang, ses mains enfouies dans la terre du potager, le fond de ses narines inondé de l’odeur de la vase et son esprit navigant sur les flots des premiers émois, des petits bonheurs, des grands tourments et de l’infinité qu’offre l’imagination propre à cet âge de la vie. Puis, les jours sont aussi ponctués par l’intimidante visite au patriarche mourant.

L’eau, la vie, la mort… Autant de thématiques omniprésentes dans cet instantané singulier où la nature est souveraine. Entre le rêve et la réalité, le lecteur tangue. L’écriture est magnétisante, les ressentis intenses, alors même que somme toute, le quotidien se déroule dans une routine taciturne. En fait, à l’instar de la fille, l’eau de l’étang semble calme mais pourtant renferme en elle une puissante force de vie et de mort.

Avec Debout dans l'eau, l'écrivaine belge, primo-romancière, Zoé Derleyn fait entendre une voix littéraire extrêmement singulière à découvrir, vraiment, et à suivre, sans aucun doute.

Le Rouergue, 16 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

milkman burnsL'avis d'Anouk:

Ce livre est une bombe, et l'énergie qu'elle dégage en se fragmentant vous irradie pour longtemps.

Au centre de Milkman, une fille de 18 ans. Elle n'a pas de nom, appelons-la "Sœur du milieu" puisque c'est ainsi qu'on la désigne dans la famille. "Sœur du milieu" est la quatrième de sept filles – sans oublier trois frères –, dont les aînées sont nommées par leur ordre dans la fratrie et les cadettes, pas sorties de l'enfance, forment le réjouissant chœur des "Chtites", espiègles et perspicaces.

Pour son "peut-être petit ami", elle est "peut-être petite amie". Cette relation marquée du sceau de la "peut-êtritude", cette relation "ni vraiment oui, ni vraiment non", la narratrice la dissimule avec beaucoup de soin. À sa mère, bien sûr, qui s'inquiète qu'à 18 ans sa fille ne soit pas encore mariée et mère. À la communauté, qui n'aime rien tant que saccager les histoires d'amour, au point que souvent les gens préfèrent épouser la mauvaise personne pour éviter de se voir arracher leur amour vrai.

"Sœur du milieu" est encore, aux yeux des habitants de la petite ville, "Celle qui lit-en-marchant". C'est une des façons qu'elle a de tenir à distance un réel envahissant. Mais lire-en-marchant la classe dans la catégorie des dépassants-les-bornes, d'autant qu'elle ne lit que des romans anciens pour échapper à ce siècle où elle n'a pas sa place. Dans une société fermée, gangrenée par la méfiance et les préjugés, le commérage et la rumeur tiennent lieu d'unique défouloir et il ne fait jamais bon se démarquer.

Ce monde où l'on avance en biais, en se dissimulant, en ne sachant jamais si l'on agit par bon sens ou par paranoïa, c'est l'Irlande du Nord des années '70, mais cela pourrait être tout autre terre prise dans l'étau du colonialisme, du communautarisme, des identités assignées. Anna Burns décrit son pays natal avec une précision folle, et en même temps suffisamment de recul pour que son roman prenne une résonance très universelle.

Le conflit entre les "renonçants" et "ceux de l'autre côté" (de la rue, de la mer) déclenche une haine si puissante qu'il anéantit toute intimité, toute intériorité. Les gens sont "encercueillés et enterrés" de leur vivant, insensibles à la nuance, inadaptés pour le bonheur et la beauté. Et le conflit géopolitique rend acceptable, voire désirable, la domination de ceux qui prennent les armes pour leur peuple, et qui cachent trop souvent sous la noblesse de leur cause des pratiques de gangsters: prédation, violences faites aux femmes, surveillance, censure. Autant de travers que concentre Milkman, l'effrayant chef de guerre aussi craint que respecté, qui poursuit "Sœur du milieu" de ses assiduités et qui, s'il n'apparaît qu'une poignée de fois dans le roman, le plonge tout entier dans son ombre de dangereux harceleur.

De bout en bout, le chemin de "Sœur du milieu" est un apprentissage de la liberté. Liberté de refuser l'emprise de Milkman. Liberté de penser, d'aimer, d'éprouver. Liberté de chercher "une autre façon de vivre": "c'était, sous les traumatismes, sous l'obscurité, une normalité qui essayait d'advenir".

Cette quête obstinée, inflexible, menée par une toute jeune fille à qui personne n'a transmis de mots à mettre sur ses émotions ni appris que le harcèlement et la sujétion ne sont pas une fatalité, donne au livre une dimension absolument poignante – parfois cocasse, le plus souvent déchirante.

Mais ce qui fait de Milkman un livre vraiment hors du commun, c'est son rapport à la langue. Quand les idéologies partisanes vident les mots de leur sens, il faut déserter cette langue officielle et en forger une neuve. "Sœur du milieu" ne perd jamais de vue qu'il lui faut désamorcer la fausse langue et ses éclats mortifères. Le résultat est fascinant: une langue inventive, audacieuse, fourmillant de singularités et de trouvailles. On ne peut que rendre grâce à la traduction feu d'artifice de Jakuta Alikavazovic. Il fallait une autrice de son talent et de sa sensibilité pour rendre toute sa puissance de déflagration à la langue d'Anna Burns.

 

Éditions Joëlle Losfeld, traduit de l'anglais (Irlande du Nord) par Jakuta Alikavazovic, 22 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici