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De Maria Pourchet, nous avions déjà goûté au plaisir du style vif et rafraîchissant de ses précédents romans ("Avancer", "Rome en un jour", "Les impatients",…). Son travail d’écriture va encore un peu plus loin ici et on en redemande !
L’histoire est plutôt convenue, une femme, la quarantaine, un mari médecin, deux enfants, tombe sous le charme d’un quinqua célibataire. Tout le sel de cette simple histoire d’adultère, ce Madame Bovary 2021, se trouve donc dans la façon unique qu’a Maria Pourchet de faire parler ses protagonistes et de donner une description affutée de l’époque dans laquelle nous vivons. Les grands sujets que sont l'amour, le vieillissement, le féminisme, le monde du travail,… vus sous plusieurs angles, celui de la grand-mère (voix off intérieure), de la mère, de la fille qui veut en découdre avec les adultes lâches qui l’entourent, du mari, de l’amant nous donnent un portrait plutôt nuancé et démoniaque du monde.
Une histoire d’adultère que l’on suit alternativement avec les deux narrateurs, Laure, la prof d’université paumée et Clément, le boursier largué, balle de match, un partout, la vérité se trouvant au centre. La tragédie – les histoires d’amour finissent mal en général – est donc relatée de façon ardente, des phrases fulgurantes (« La vie t’apparaissait pour ce qu’elle était désormais. Simple délai entre la passion et la vieillesse. », « Qu’est-ce que tu fous avec ta crème, tes sérums et tes minijupes à défendre ta jeunesse comme la Palestine, centimètre par centimètre, tu vois bien que c’est foutu. ») surgissent à chaque page, un cynisme cru et une drôlerie sans nom comblant notre plaisir de lecteur. Un bilan de santé, température corporelle, fréquence cardiaque, tension artérielle… est donnée au début de chaque chapitre et implique les corps dans la bataille.
Nous sortons du livre marqué par le contraste entre le pessimisme du fond et l’ardeur de la forme, la tonitruance de l’écriture de Maria Pourchet. Un roman de feu !
Existe aussi en format numérique.
D’une plume simple et un tant soit peu désuète qui sied à merveille à la desperate housewive que nous suivons, la primo romancière Maud Ventura contrebalance une comédie façon famille formidable en thriller dans la bourgeoisie pavillonnaire.
Une épouse dévouée et amoureuse nous parle de son mari, idéal il va sans dire, et de la vie parfaite qu’elle construit chaque instant, millimètre par millimètre, pour sa famille. Elle pense à tout, beaucoup, passionément, à la folie. La position du vase sur le meuble du hall d’entrée, le croisement de ses jambes, le tombé du col de sa chemise, rien n'est laissé au hasard, pour accueillir au mieux son mari à son retour de boulot le soir dans le foyer familial.
C’est un peu énervant de fausse perfection. Mais rapidement, la coupe est pleine et cela en devient drôle, hilarant même. Les rires se transforment ensuite en gloussements incontrôlables puis en effarements subjugués et enfin en flip total.
La simplicité ne cache plus la complexité d’une narratrice control freak à souhait. Les stratégies qu’elle s’est mises en tête pour rester folle de son mari après quinze ans de vie commune dépassent l’entendement et la férocité déployée est donc, n’ayons pas peur des mots, folle.
L’autrice se joue de son lectorat avec intelligence et malice et le balade dans les circonvolutions d’une narratrice inoubliable que l’on voudrait pourtant ne jamais croiser ! Une farce grinçante et, oxymore, d’une justesse délirante sur l’amour où les curseurs des tourments et de la névrose sont poussés à fond.
Coup de cœur graphique, esthétique et littéraire pour ce conte drôle et cruel.
Au royaume de Pointudroidur, ça file droit. Le Roi, une couronne tendue, et la Reine, un pion vertical tout en jambe, sont des gens au caractère obtus et au physique anguleux. Leur rigidité fait qu’ils ne s’entourent que de gens rectilignes mais, ô malheur, leur nombreuse progéniture n’est faite que d’enfants aux courbes affranchies de tout carcan. Si bien qu’ils pensent tout simplement les faire passer par l’office du bourreau, bourreau symbolisé par une guillotine robuste et droite. La reine ayant quelques scrupules les confie in extremis à une jeteuse de sort repliée dans la forêt profonde qui dans un envoutement coloré insuffle à sa majesté la graine d’une future princesse parfaite : un triangle équilatéral ! Il faudra dès lors organiser un bal à cette jeune altesse et lui trouver le candidat parfait. Tout cela ne va évidemment pas se passer comme prévu.
Au premier regard, l’objet-livre est magnifique, dos toilé d’un bleu profond (ce qui ne se voit pas sur la miniature ci-contre), illustrations de couverture suggestives qui offre un panorama choisi de l’histoire à venir, ensuite c’est un festival de couleurs pop et de noir et blanc maîtrisé, une myriade de créativité et d’inventions graphiques. Le conte est cruel mais le ton enlevé et le texte est recherché, fluide et pétillant. Les auteurs jouent avec les poncifs des contes de fée, à la géométrie somme toute universelle, et les détournent avec beaucoup de malice et d’intelligence.
Du même auteur Crushiform, nous avions déjà adoré « Colorama » un magnifique imagier des nuances de couleurs que nous ne saurions trop vous recommander. « Il était une forme » est un album jeunesse unique ciselé à la perfection qui offre un plaisir renouvelé à chaque nouvelle lecture, c’est du grand art accessible à tous.
Livre après livre, Bérengère Cournut ouvre des chemins de liberté. Elle prend plaisir à s’y jouer des genres et mêle sciences et poésie, conte et réalité, intelligence et sensations. Ses livres invitent à aller à la rencontre du monde avec un regard alternatif, généreux, résolument féminin. Ils nous entament et nous engagent.
"Élise sur les chemins" est un roman-poème qui se met dans les pas d’une famille peu banale, cette fratrie Reclus (quatorze enfants tout de même!) dont on n’a pas fini de s’ébahir. Parmi eux il y a Élisée, bien sûr, voyageur infatigable, géographe, pionnier de l’écologie et de l’anthropologie, communard et anarchiste. Il y a Élie aussi, journaliste, écrivain, militant anarchiste. Et entre ces deux illustres frères, il y a Élise :
Je suis une fille, je m’appelle Elise
Je suis née il y a onze ans
Au flanc d’une colline boisée
Les pieds dans un ruisseau
La tête dans les bouleaux
Enfant des arbres, fille de l’eau.
S’inspirant des idéaux de la famille Reclus, de ses luttes pour la justice sociale à son attention aux peuples premiers et au monde vivant, Bérengère Cournut joue néanmoins, comme dans ses précédents livres, de la perte de repères. Les temps se mêlent, une femme-serpent fait battre les cœurs et, comme sur les cartes géographiques que dessine Élisée, il y a des zones blanches: "c’est là que souvent l’orage gronde" et que s’emballe l’imagination.
Pétillante, curieuse, sauvage, la jeune Élise délaisse le foyer et l’école pourtant joyeusement buissonnière de sa mère pour se mettre en chemin et retrouver ses frères partis étudier au loin. Au cœur d’une nature qui bruisse de mille vies, elle n’a pas froid aux yeux et poursuit sa quête. Les rencontres faites en chemin, les rêves qui la guident ("Je le sais maintenant:/ pour s’orienter, les rêves sont grands"), tout élargit son expérience du monde et des hommes. Élise a l’obstination des cœurs doux. Sa fougue et sa détermination ouvrent la voie à ses sœurs plus sages – sœurs de sang ou sœurs par-delà le livre.
Et puis un mot encore: on ne peut évoquer "Élise sur les chemins" sans parler de l’objet-livre enserré dans un tableau de Corinne Pauvert – une merveille de poésie lui aussi. Comme elles savent si bien le faire, les éditions du Tripode offrent un somptueux écrin aux mots de Bérengère Cournut, cette haie champêtre et indocile à l’abri de laquelle lire, aimer, rêver.
Goûtez à la magie d'"Élise sur les chemins"!
Disponible en format numérique ici