Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30
Coup de cœur graphique, esthétique et littéraire pour ce conte drôle et cruel.
Au royaume de Pointudroidur, ça file droit. Le Roi, une couronne tendue, et la Reine, un pion vertical tout en jambe, sont des gens au caractère obtus et au physique anguleux. Leur rigidité fait qu’ils ne s’entourent que de gens rectilignes mais, ô malheur, leur nombreuse progéniture n’est faite que d’enfants aux courbes affranchies de tout carcan. Si bien qu’ils pensent tout simplement les faire passer par l’office du bourreau, bourreau symbolisé par une guillotine robuste et droite. La reine ayant quelques scrupules les confie in extremis à une jeteuse de sort repliée dans la forêt profonde qui dans un envoutement coloré insuffle à sa majesté la graine d’une future princesse parfaite : un triangle équilatéral ! Il faudra dès lors organiser un bal à cette jeune altesse et lui trouver le candidat parfait. Tout cela ne va évidemment pas se passer comme prévu.
Au premier regard, l’objet-livre est magnifique, dos toilé d’un bleu profond (ce qui ne se voit pas sur la miniature ci-contre), illustrations de couverture suggestives qui offre un panorama choisi de l’histoire à venir, ensuite c’est un festival de couleurs pop et de noir et blanc maîtrisé, une myriade de créativité et d’inventions graphiques. Le conte est cruel mais le ton enlevé et le texte est recherché, fluide et pétillant. Les auteurs jouent avec les poncifs des contes de fée, à la géométrie somme toute universelle, et les détournent avec beaucoup de malice et d’intelligence.
Du même auteur Crushiform, nous avions déjà adoré « Colorama » un magnifique imagier des nuances de couleurs que nous ne saurions trop vous recommander. « Il était une forme » est un album jeunesse unique ciselé à la perfection qui offre un plaisir renouvelé à chaque nouvelle lecture, c’est du grand art accessible à tous.
Livre après livre, Bérengère Cournut ouvre des chemins de liberté. Elle prend plaisir à s’y jouer des genres et mêle sciences et poésie, conte et réalité, intelligence et sensations. Ses livres invitent à aller à la rencontre du monde avec un regard alternatif, généreux, résolument féminin. Ils nous entament et nous engagent.
"Élise sur les chemins" est un roman-poème qui se met dans les pas d’une famille peu banale, cette fratrie Reclus (quatorze enfants tout de même!) dont on n’a pas fini de s’ébahir. Parmi eux il y a Élisée, bien sûr, voyageur infatigable, géographe, pionnier de l’écologie et de l’anthropologie, communard et anarchiste. Il y a Élie aussi, journaliste, écrivain, militant anarchiste. Et entre ces deux illustres frères, il y a Élise :
Je suis une fille, je m’appelle Elise
Je suis née il y a onze ans
Au flanc d’une colline boisée
Les pieds dans un ruisseau
La tête dans les bouleaux
Enfant des arbres, fille de l’eau.
S’inspirant des idéaux de la famille Reclus, de ses luttes pour la justice sociale à son attention aux peuples premiers et au monde vivant, Bérengère Cournut joue néanmoins, comme dans ses précédents livres, de la perte de repères. Les temps se mêlent, une femme-serpent fait battre les cœurs et, comme sur les cartes géographiques que dessine Élisée, il y a des zones blanches: "c’est là que souvent l’orage gronde" et que s’emballe l’imagination.
Pétillante, curieuse, sauvage, la jeune Élise délaisse le foyer et l’école pourtant joyeusement buissonnière de sa mère pour se mettre en chemin et retrouver ses frères partis étudier au loin. Au cœur d’une nature qui bruisse de mille vies, elle n’a pas froid aux yeux et poursuit sa quête. Les rencontres faites en chemin, les rêves qui la guident ("Je le sais maintenant:/ pour s’orienter, les rêves sont grands"), tout élargit son expérience du monde et des hommes. Élise a l’obstination des cœurs doux. Sa fougue et sa détermination ouvrent la voie à ses sœurs plus sages – sœurs de sang ou sœurs par-delà le livre.
Et puis un mot encore: on ne peut évoquer "Élise sur les chemins" sans parler de l’objet-livre enserré dans un tableau de Corinne Pauvert – une merveille de poésie lui aussi. Comme elles savent si bien le faire, les éditions du Tripode offrent un somptueux écrin aux mots de Bérengère Cournut, cette haie champêtre et indocile à l’abri de laquelle lire, aimer, rêver.
Goûtez à la magie d'"Élise sur les chemins"!
Disponible en format numérique ici
Ce samedi 16 octobre, dans le cadre de la Fureur de Lire, Michel Van Zeveren présentera aux petits et grands lecteurs sa nouvelle série, "Ma vie en vert", dont les deux premiers albums viennent de paraître chez Pastel/L'École des Loisirs.
Le Musée Rops nous fait le grand honneur de nous accueillir ce jour-là, dans son tout nouvel espace pédagogique situé au n°10 de la rue Fumal (la maison est adossée au Musée). La rencontre s’adresse principalement aux enfants de 4 à 8 ans mais les parents ou adultes qui souhaitent y participer sont évidemment les bienvenus. Au programme: discussion avec Michel Van Zeveren, lecture d’albums et séance de dédicaces!
Lire la suite : Michel Van Zeveren nous fait la vie en vert!
« C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! »
1962. Chalandon a 10 ans lorsque son grand-père paternel, s’adressant à sa compagne, le percute de ces mots implacables.
Des décennies plus tard, Sorj Chalandon met la main sur l’épais et complexe dossier judiciaire de son père qui comparut devant une cour martiale d’Épuration. Éminente source de surprises, ces documents officiels cadenassés jusqu’alors ont enfin permis au journaliste de retracer « la guerre de son père », un personnage composite s’il en est – nous le savions déjà. Tantôt du côté de l’ennemi comme SS de pacotille, tantôt résistant malgré lui, au gré du vent patriote d’occasion, déserteur à répétition, vaguement espion qui, telle une anguille, parvint à se faufiler entre les mailles des différents filets. Un homme égocentrique convaincu de sa supériorité et qui, à chaque instant et jusqu’à la fin, mit sa vie en scène, revendiqua fermement la gloire et tira à lui une couverture de toute pièce tissée avec d’obscurs mensonges.
L’histoire de ce père narcissique, Chalandon la retrace – et c’est ça qui, selon moi, est vraiment astucieux – en parallèle de celle du procès ultramédiatisé de Klaus Barbie. Ce dernier fut, s’il faut le rappeler, chef de la police nazie de Lyon durant l’Occupation, et jugé devant la cour d’assises du Rhône pour crime contre l’humanité de mai à juillet 1987 face à un public échaudé et un parterre de journalistes dont Chalandon lui-même, détaché à Lyon pour l’occasion par Libération où il a officié durant trente-quatre ans. Le roman – car ce texte, indéniablement autofictif, reste un roman à la charpente narrative solide et au suspense prenant –, outre le fait de mettre en exergue, en l’interrogeant, le jugement singulier d’un bourreau infame, joue du miroir et réussit à imposer toute la distance nécessaire à la compréhension des faits. La « petite histoire » met en lumière la « grande », ou bien est-ce l’inverse ? L’écriture est aussi douloureuse qu’admirable.
L’écrivain-journaliste Sorj Chalandon, que, du reste, je trouve toujours très bon, grimpe ici encore un échelon dans la maîtrise littéraire avec un roman dont le lecteur ressort véritablement ébranlé.
Grasset, 20.90 €
Disponible en format numérique ici