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pays des sapins pointus jewettL'avis d'Anouk:

Vous avez dit "MATRIMOINE" ?

Les éditions Rue d’Ulm rééditent ces jours-ci un incroyable joyau, Le pays des sapins pointus de Sarah Orne Jewett. Parus en quatre livraisons en 1896, les récits qui composent ce classique de la littérature américaine s’enracinent dans les terres du Maine et tirent de cet ancrage une dimension résolument universelle.

Dunnet Landing, comme le Walden de Thoreau, devrait appartenir à notre imaginaire géographique et poétique, mais les injustices de la renommée en ont voulu autrement. L’incroyable charme qui se dégage du Pays des sapins pointus, les personnages attachants qui l’arpentent, les scènes de vie égrenées au fil des pages : tous ces ingrédients ont confiné le livre dans une aimable littérature régionaliste, délicate mais sans enjeux. Or à l’époque où l’Amérique, par la conquête de l’Ouest, les guerres indiennes, la naissance des métropoles, s’affirme comme la nation virile par excellence, Sarah Orne Jewett offre avec ce livre un contre-modèle. Elle choisit de donner voix aux femmes, de métisser les regards, d’arpenter les lisières. Elle fait vibrer un territoire et traduit avec finesse l’alchimie ente un paysage et les hommes qu’il façonne, à rebours d’un air du temps selon lequel il faut maîtriser la nature et le vivant.

Lire aujourd’hui Le pays des sapins pointus est à la fois un délice et une juste reconnaissance pour une romancière étonnamment méconnue chez nous, qui sous sa douceur espiègle cache un vrai talent pour traverser les frontières et les assignations.

 

L'air était d'une douceur exquise et l'on ne pouvait s'empêcher de rêver et de se voir un jour citoyen d'un tel continent, patrie des pêcheurs, minuscule et pourtant si parfait.

 

Rue d'Ulm, traduit de l'anglais (États-Unis) par Cécile Roudeau, 25 eurosbtn commande

L'avis de Maryse: nous voulons tous être sauvés

Dans ce récit réaliste, sincère, très personnel et profondément touchant, l’écrivain italien Daniele Mencarelli nous dévoile une page foncée de sa jeunesse. 1994, il a 20 ans lorsque, après avoir commis un acte impulsif d’une grande violence, il se retrouve placé durant une semaine dans l’aile psychiatrique d’un hôpital de la banlieue romaine, gardé là sous le régime de l’hospitalisation sans consentement.

Dans ce roman aux formes d’un journal de bord, il égrène les jours qui s’y déroulent lentement, alors qu’en cet été de Coupe du Monde de football, la canicule écrase la péninsule. Daniele partage une chambre-dortoir avec six autres hommes, jeunes et moins jeunes, tous à la fois tapis dans un état de souffrance indomptable, et dotés d’une capacité de fraterniser en un clin d’œil. Les journées sont rythmées par les visites chez les psychiatres – ici décrits comme des distributeurs de médicaments parfaitement distanciés et dépourvus d’empathie – et par les incursions désinvoltes, parfois autoritaires, souvent craintives et rarement respectueuse des infirmiers au sein de l’espace suffocant de ces sept hommes. Ces derniers, qui forment une galerie de personnages éparses, détonants, flamboyants ou ternes, gonflés d’espoir ou déjà morts, composent une toile bouleversante aux yeux d’un lecteur troublé et interpellé.

Vous l’aurez saisi, Nous voulons tous être sauvés pose de manière brute la question de la folie : celle des patients, ces individus obsédés, perdus, embrasés d’un feu noir ou noyés dans un chagrin inconsolable ; mais aussi celle d’un milieu médical institutionnel, alors déjà embarqué dans l’économie des heures prestées et borné des limites du personnel en place, inadapté à un travail dur mais qui touche aux tréfonds de l’humanité ; celle des médecins qui, de manière inflexible, traitent comme « trouble mental » la moindre tentative de quête de sens par des individus vulnérables en proie au flux imprévisible de leur vie ; puis aussi celle d’une société entière violente, intransigeante, inapte au sauvetage.

Une lecture fulgurante et pas anodine du tout.

Globe, 21 euros.btn commande

blackwater la crue mcdowellL'avis d'Anouk:

Une évidence, pour commencer: Monsieur Toussaint Louverture ne publie que des livres tonitruants. Du beau, du grandiose, du puissant.

C’est dire si l’impatience était grande de découvrir le nouveau projet de cet éditeur épatant: un roman-feuilleton, de quoi nous tenir en haleine tout le printemps. La série s’appelle Blackwater et est signée Michael McDowell. Le premier des six volets est sorti la semaine dernière, et les cinq autres suivent à bon rythme – un livre tous les quinze jours. Verdict : méfiez-vous, l’addiction est immédiate.

Paru aux États-Unis en 1983, Blackwater est une plongée au cœur d’une famille de l’Alabama. Sur plusieurs générations, les secrets des Caskey n’en finissent pas de nous prendre dans leurs filets. Le clan est mené par une matriarche toute-puissante et manipulatrice, dont le pouvoir vacille lorsque débarque à Perdido une femme au comportement étrange, un peu sirène, un peu sorcière. Élinor ne tarde pas à séduire le fils Caskey, et dès lors les destins sont scellés et la machine romanesque se met en marche.

Michael McDowell se définissait comme un paperback writer sans prétention: « Je pense que c’est une erreur d’essayer d’écrire pour la postérité. J’écris pour que des gens puissent lire mes livres avec plaisir, qu’ils aient envie de prendre un de mes romans et qu’ils passent un bon moment sans avoir à lutter ». Sa modestie n’ôte rien à son talent: il y a ici du souffle, un sens du détail imparable, un subtil mélange des genres (de la saga familiale au roman gothique, du huis-clos à la magie, le tout dans une capiteuse ambiance Deep South). L’étrangeté qui flotte sur Perdido situe Blackwater quelque part entre Edgar Allan Poe et Tim Burton. On en redemande.

Et puis encore un mot, mais vous le savez déjà si vous connaissez Monsieur Toussaint Louverture: l’objet-livre est une merveille de raffinement, qui rend l’expérience de lecture tout simplement parfaite.

Monsieur Toussaint Louverture, traduit de l'anglais (États-Unis) par Yoko Lacour, 8.40 eurosbtn commande