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au del de la merL'avis de Maryse:

Malgré l’annonce d’une tempête, Bolivar, un pêcheur sud-américain aguerri, convainc le tout jeune Hector d’embarquer sur son rafiot. Rapidement et immanquablement, les deux hommes se retrouvent à la merci des éléments, prisonniers de l’immensité de l’océan Pacifique, liés dans une terrifiante intimité forcée alors même que tout les dissocie. Au début, c’est l’instinct de survie qui les mobilise solidairement dans la quête du manger et du boire et dans l’espoir grisant d’être retrouvés et secourus. Puis, au fil du temps qui s’écoule sans poser d’autres repères aux deux hommes que le cycle de la nuit et du jour, la foi se dilue. Tandis que la réalité s’écaille, la vie d’avant n’est plus qu’un patchwork de réminiscences adorées ou gangrenées par le remords. Chacun se confronte violemment à ses propres limites physiques et psychologiques, ainsi qu’à celles de l’autre. L’autre qui devient à la fois un miroir déformant, un clarificateur de conscience, une nécessité, un enfer.

D’aucuns y saisiront peut-être le rappel d’un confinement, mais à ciel ouvert. Pourtant, c’est bien la condition humaine que Paul Lynch explore et interroge. L’écriture crée des ressentis intenses, la condition brute des personnages infimes dans l’immense, questionne profondément le lecteur. Et c’est vrai, dans Au-delà de la mer, on songe assez vite au vieil homme d’Hemingway – à la grande différence qu’ici, la blessure du grand combat contre soi-même est infectée par la présence de l’autre –, et aussi aux limites absurdes de nos vies qu’avait définies Albert Camus.

En somme, vous aurez compris qu’avec ce roman remarquable, Paul Lynch, figure absolument incontournable des lettres irlandaises contemporaines, confirme sa bonne place au rang des faiseurs de grande littérature.

btn commandeÉditions Albin Michel, 19,90€.

Traduit de l'anglais (Irlande) par Marina Boraso.

Disponible en format numérique ici.

visage de pierre gardner smithL'avis de Maryse:

Pour commémorer le massacre de 1961, les éditions Christian Bourgois publient pour la première fois en français ce texte choc de William Gardner Smith.
 
Le journaliste américain y relate l'histoire de Simeon, un Noir américain arrivé à Paris au début des années 1960, après avoir fui les États-Unis et l'extrême racisme qui y règne. Si, à Paris, la diaspora américaine est prisée et que les Noirs s'y baladent sans risques, Simeon saisit très rapidement que la France est loin d'être un havre de paix. La guerre d'Algérie fait rage et les Algériens sont, un peu partout, persécutés, arbitrairement arrêtés, violentés, battus et assassinés.
 
Rédigé en 1963, ce texte était le seul de William Gardner Smith à n'avoir jamais été traduit en France. Et pour cause! Dans ce roman extrêmement réaliste, l'indigne quotidien des Algériens en France jusqu'aux funestes et honteux événements du 17 octobre 1961, sont décrits de manière brute.
 
À lire et à faire lire.
 
Éditions Christian Bourgois, traduit de l'anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent, 21 eurosbtn commande
Disponible en format numérique ici

memorial drive tretheweyL'avis d'Anouk:

La vie de Natasha Trethewey se déploie autour d'une béance – la mort de sa mère tombée sous les coups d'un mari violent lorsqu'elle-même avait 19 ans.

Pour avancer après le drame, il lui faut enfouir profondément ses souvenirs et laisser l'image de sa mère derrière un voile de ténèbres. "Je voulais bannir cette partie de mon passé, un acte d'autocréation par lequel je chercherais à n'être constituée que de ce que je décidais de me souvenir". Mais avec les années le voile se déchire, les souvenirs affluent, les rêves obsèdent. Et Natasha Trethewey comprend qu'elle n'a d'autre choix que d'affronter les failles d’un passé douloureux, pour retisser les fils qui la lient à sa mère et pour faire la paix avec l'enfant impuissante qu'elle était alors.

C'est ce chemin de douleur et de déchirements que retrace "Memorial Drive". Cela pourrait être sinistre et c'est tout le contraire: un récit d'une clairvoyance, d'une justesse et d'une dignité peu communes.

"Memorial Drive" peint un destin de femme noire dans le Mississipi des années 60. Grandie dans une famille joyeuse et militante, la mère rencontre à l'université un jeune poète Canadien, blanc. C'est l'été 64, et le Sud des États-Unis subit les campagnes de terreur du Ku Klux Klan en représailles aux manifestations pacifiques du Freedom Summer. L'année suivante, lorsque le jeune couple décide de se marier, il lui faut quitter le Mississipi qui, comme vingt autres États, interdit toujours les mariages mixtes. C'est dans ce contexte que naît leur petite fille, comme une promesse: "Tu es le meilleur des deux mondes".

Enfant métisse dans un monde où la ségrégation reste omniprésente, Natasha Trethewey apprend vite l'humiliation, l'oppression, "un profond sentiment de dislocation": "le traitement que je recevais variait tellement selon que je me trouvais avec ma mère ou mon père que je n'étais pas sûre de savoir à qui ou à quel lieu j'appartenais". Pour autant, l'enfance est "le lieu enchanté". Il volera en éclat avec le divorce des parents, puis le remariage de la mère avec un vétéran du Vietnam manipulateur et violent.

La page qui s'ouvre alors, celle que Natasha Trethewey a voulu effacer du livre de sa vie, n'est pas sans moments lumineux: sa mère est une femme joyeuse, battante, passionnée de danse et de soul. Elle tente dans le chaos de conserver des îlots de douceur pour sa fille et pour elle. Mais tout cela se disloque quand les menaces du mari deviennent des coups, de plus en plus fréquents, de plus en plus insoutenables. À mesure qu'elle tente de sortir de l'emprise de son mari en reprenant des études, en gravissant deux par deux les échelons de la réussite professionnelle, lui entre dans un tourbillon de perversité qui mènera au meurtre, et la jeune Natasha s'enferme dans le mutisme et l'impuissance.

Né d'une insondable douleur, "Memorial Drive" croise dans un récit intime des questions bien d'aujourd'hui (le racisme, le patriarcat, la violence conjugale, la double peine d'être femme et noire). C'est aussi un livre très profond sur le lien entre traumatisme et écriture. "L'important est le pouvoir transformateur de la métaphore et des histoires que nous nous racontons sur notre vie, son sens et la trajectoire qu'elle emprunte. (...) Pour survivre au traumatisme, il faut pouvoir le raconter sous forme d'histoire". L'écriture comme lieu de survie et d'apaisement: c'est le chemin emprunté par Natasha Trethewey pour tenir à distance la tristesse et le chaos. Et c'est bouleversant.

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Céline Leroy, 21.50 €btn commande

Disponible en format numérique ici