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intime festival 5Nous sommes nombreux à attendre avec impatience le cinquième chapitre de l'intime festival. Il s'écrira au Théâtre de Namur, les 25, 26 et 27 août. Et comme chaque année, la programmation est tout simplement incroyablement séduisante. D'immenses comédiens, des textes forts, des auteurs à la voix qui porte: merci à l'équipe de l'intime festival de nous offrir un tel festin littéraire!

personne ne gagne - jack blackvu la misère - gellhornce qui gît - haigh

 

 

 

 

Trois livres parus récemment, et autant de regards sur cette autre Amérique, celle des laissés-pour-compte, des marginaux, de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas prendre leur part du rêve américain.

coups de coeur lecteursGrand merci aux lecteurs qui ont présenté leur coup de cœur pour les lectures d'été de ce samedi 1er juillet.

chemin du diable - ohlL'avis d'Anouk:

Entrer dans un roman de Jean-Pierre Ohl, c'est comme ouvrir une boîte de chocolats. On a beau s'armer de volonté, il est difficile de résister: allez, encore un chapitre! On retrouve avec délectation dans Le chemin du diable ce qui faisait le charme des Maîtres de Glenmarkie: un joyeux mélange de suspense, d'érudition et de loufoquerie orchestré par des personnages romanesques à souhait dans un décor so british. À ces ingrédients, Le chemin du diable ajoute une touche de gothique, un zeste de philosophie politique et le souffle épique du roman historique. C'est beaucoup pour un seul livre? Mais non: la plume allègre de Jean-Pierre Ohl, son ironie, son élégance, donnent à l'ensemble une incroyable fluidité, et l'on circule avec délice dans les méandres de son imagination débridée.

Nous sommes en 1824. Dans le Nord de l'Angleterre, la misère est une compagne quotidienne. Et ce n'est pas l'arrivée du chemin de fer sur ces terres ingrates qui rassure les habitants: n'est-ce pas là une invention du diable? L'ingénieur George Stephenson, inventeur visionnaire et idéaliste, est convaincu du contraire. À ses yeux, le train permettra de mieux partager les idées et les richesses. Mais voici que lors de travaux de drainage ses ouvriers déterrent un cadavre de femme. Les rumeurs et les spéculations affolent la petite ville de Darlington: ne s'agit-il pas de Lady Beresford, l'épouse française du châtelain local, dont la disparition vingt ans auparavant n'a jamais été résolue?

La recherche de la vérité va mettre en mouvement bien des intérêts contradictoires: sectes millénaristes, garants de l'ancien monde, financiers avides vont rivaliser d'inventivité perverse pour brouiller les pistes. Mais il y a aussi l'attachant Edward Bailey, devenu bien malgré lui notable de l'étriquée Darlington; il y a son comparse, l'énigmatique Seamus Snegg, et cette jolie Mrs Preston, qui vit par procuration dans les romans de Jane Austen, et Kirstie, et Leonard Vholes, et tous ces personnages débordants de vie et d'énergie, tous ces héros de papier auxquels Jean-Pierre Ohl donne tant de chair que l'on croirait les avoir près de soi. Tous cheminent vers une vérité qui sera bien loin de ce que les apparences laissaient entendre.

"Le chemin du diable" aurait pu être écrit par Wilkie Collins, tant le suspense tient en haleine. Il pourrait tout aussi bien s'agit d'un roman de Charles Dickens, pour la description habitée de l'accablante misère qui va de pair avec le triomphe de la révolution industrielle. Dickens est d'ailleurs le maître à penser et à écrire de Jean-Perre Ohl, qui lui a consacré une biographie et un précédent roman. Les clins d'oeil à son œuvre sont nombreux tout au long du livre, et l'auteur de David Copperfield fait même une jubilatoire apparition. Lord Byron n'est jamais loin non plus, et les ombres de Rousseau, de Danton et de bien d'autres éclairent les destinées des personnages.

Et alors, pourrait-on dire? À quoi bon, au XXIe siècle, écrire un roman à la manière des Anglais d'autrefois? À quoi bon ce facétieux kaléidoscope d'histoires du passé? N'est-ce là qu'un brillant divertissement? Non, bien sûr. On ne manquera pas de trouver, sous le décor historique, un miroir tendu à notre monde. La fascination pour la technique, la certitude que la "modernité" vaut tous les sacrifices humains, la course au profit outrancier: n'est-ce pas un constat toujours aussi parlant en 2017 qu'en 1824? L'allégresse, chez Jean-Pierre Ohl, ne va pas sans la mélancolie, et la conscience aigüe de la fragilité de nos destinées. Et cela donne à son Chemin du diable une dimension profondément émouvante.

Assurément une jolie réussite.

Gallimard, 21 €

Disponible en format numériquebtn commande

ton coeur comme un poingL'avis d'Edith:

Les manifestations de Seattle de 1999, en opposition au sommet de l'OMC, sont connues comme une clé de voûte de l’altermondialisme. L’ampleur des manifestations et des actions directes non-violentes qui ont eu lieu ce jour-là pour tenter d’empêcher des négociations économiques profondément inégales et la répression policière brutale qui a suivi ont marqué d’une pierre blanche la lutte altermondialiste.

Seattle c’est donc beaucoup d’essais et pas tant de romans que ça. Et on ne sait pas tout de suite bien par quel côté on va l’appréhender ce fameux Seattle. Sunil Yapa relève le défi de nous transmettre à sa manière quelque chose de ce moment historique. À travers le brouillard de gaz lacrymogènes et d’une construction pleine de flash-back, il nous propose une mosaïque de regards sur ces quelques journées bouleversées : un jeune gars paumé parti de chez lui il y a des années, une policière issue des quartiers, une militante aguerrie, un major de police, le délégué du Sri Lanka dont la prise de conscience de ces deux journées vont mener à une fronde des pays du Sud…

Si les regards sont variés, le parti-pris est néanmoins limpide. Dans la mosaïque complexe et embrumée résonne un cri clair, le cri du cœur de tous ceux et celles qui croient qu’enrayer la machine est possible et qui tentent de le faire, hier, aujourd’hui, demain. Sunil Yapa souffle sur la flamme du contre-sommet avec une ferveur assumée, sans gants, en diluant la violence du présent dans les fils passés de l’histoire de chacun. On découvre, derrière les images figées des grands événements, des détails d'histoires, de personnes, d'anecdotes qui auraient pu avoir lieu. Au final, une construction par moments un peu alambiquée, mais un regard enrichissant sur les humains de ces journées-là et une découverte partielle et partiale d'un grand moment de l'action directe non-violente.

 

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cyrielle Ayakatsikas, Rivages, 23.50€ btn commande