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Luz nous invite à découvrir les pires tourments, c’est un euphémisme, du siècle dernier à travers le regard d’une peinture, nous sommes littéralement dans les "yeux" de la toile, angle de vue original s’il en est.
Cette peinture c’est “Deux femmes nues” du peintre Otto Mueller, lié au mouvement expressionniste Die Brucke.
Rien ne nous échappe, dès que l'œuvre d'art surgit en 1919 des derniers coups de pinceaux de l'artiste. Peu après, accrochée dans le bureau d’un collectionneur juif, on observe la montée du nazisme sur des affiches de propagande collées sur les murs du trottoir d’en face, suivie des premiers passages à tabac et puis la violence finit par faire irruption dans l’intimité familiale du collectionneur.
La toile fera ensuite partie de l'exposition de l’Art dégénéré (Munich, 1937), exposition qui a eu bien plus de succès, faut-il le rappeler, que l’expo d’en face dédiée aux artistes avalisés par le IIIe Reich.
Elle sera retrouvée après le cauchemar de la Seconde Guerre Mondiale et finalement remise en 1999 à la fille de l’acheteur juif rencontré au début de l’histoire.
On y voit évidemment des moments bouleversants auxquels Luz arrive pourtant à apporter respiration et même quelques touches d’humour, il arrive aussi à être didactique sans l’appuyer, et il arrive peut-être surtout à montrer l’importance de l’art, son lien avec la politique et sa fragilité face aux idéologies fétides.
Attention, première bande dessinée, c’est virtuose et la virtuosité dans l’humour, c’est quelque chose.
Fendons-nous donc la poire en cotte de maille ! 👑🐸
Une bande dessinée ultra chamarrée, un trait à la rondeur affolante, un langage outrageusement médiéval, un défilé de grenouilles coassant à qui mieux mieux, on peut se demander où vont nous mener les premières pages de cette bande dessinée.
Et puis très vite, le charme opère. On se sent pris dans l’action avec le roi déchu, Gourignot de Faouët transformé en amphibien après un coup d’état fomenté par ses proches, avec la preuse chevaleresse Gounelle délivrant de sa tour, évidemment gardée par un dragon, la princesse à la peau d’albâtre, Patine, promise au roi.
Et on rit du langage qui se trouve être finement ciselé, des couleurs vives et pop qui vont à l’encontre de l’idée générale qu’on se fait du Moyen-Âge, des incursions décalées de nombreuses références pop (Yakalélo Yakalélo, "Estre grenouille libérée, sais-tu ce n'est point chose aiséééé"...).
C’est extrêmement bien fait, très inventif, plein de rebondissements, c’est une épopée enlevée, féministe, hilarante et sa lecture fait du bien ! Longue vie (et beaucoup de publications) à Camille Potte !
Et si d’aventure, vous souhaitiez approfondir l’époque médiévale en mode absurde, il se fait qu'un autre auteur de bd a été inspiré par le temps des Seigneurs cette année. Nous ne saurions trop vous recommander les "Chroniques du château faible" de Jean-Christophe Mazurie, album paru en février chez Fluide Glacial.
Nous avons à faire là à une bande dessinée immense !
Raymond Briggs, jusque-là connu pour ses albums jeunesse (“Le bonhomme de neige” en tête), publie en 1982, en pleine Seconde Guerre Froide, ce réquisitoire contre l’arme nucléaire qu’est “Quand souffle le vent”.
Nous sommes placés comme observateurs d’un couple de retraités profitant d’une petite vie paisible et monotone à la campagne jusqu’à ce que les journaux diffusent des informations préoccupantes sur l’éventualité d’un conflit nucléaire. Dès lors, le couple suit scrupuleusement les prescriptions invraisemblables du Gouvernement dans le “Guide de survie de l’habitant” pour faire face à une telle attaque : se faire un abri contre un mur à l’aide des portes dégondées de la maison, dormir en s’enveloppant de papier-journal, ne plus boire l’eau du robinet, et d’autres bonnes recommandations.
Le mésusage de la langue, le couple utilisant, dans une ignorance totale, un mot technique pour un autre mot technique, le parler populaire - terrib’, ‘pristi !, le fait que le couple, en dépit de tout, continue à parler des petites choses du quotidien (acheter du pain, choisir le dessert,...), et les quiproquos en pagaille (les ennemis sont-ils les “russkoffs" ou les allemands cette fois ?) ajoutent un comique de répétition qui ne fait qu’accroître l’effroi et la tristesse de la situation.
Le décalage donc entre la drôlerie des petites habitudes du couple si loin de la guerre et le tragique de l’événement, les planches surchargées dans un gaufrier [agencement des cases d’une bande dessinée] étouffant - on ira littéralement jusqu’à l’étouffement - est stupéfiant. Les couleurs pastel sont de moins en moins présentes, tout s’éteint petit à petit derrière une brume blanche, l’étouffement à petit feu.
La postface éclairante nous situe parfaitement l'œuvre qui a eu un grand retentissement à l’époque en Angleterre et qui résonne particulièrement aujourd’hui.
Traduit de l'anglais par Patrick Marcel | Postface de Paul Gravett, Éditions Tanibis, 17 €.