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L'avis de Régis :
"Si l'on scrutait l'âme d'Anna, on découvrirait la naïveté de celle qui n'a pas compris que le temps passe pour de bon, et l'optimisme terrifiant qui jette des êtres par-dessus les balustrades. On peut se demander ce qu'Anna espère, car la plupart des espoirs sont sans nom."
Dans les yeux des autres est le roman de deux sœurs, Anna et Molly. Deux sœurs prises dans la tension de la vie, des amours, de la politique. Deux sœurs pour qui les années 70 étaient celles de l'espoir, du renouveau, de la Révolution. Deux sœurs qui aujourd'hui tentent de donner sens à leur existence, l'une par l'écriture et les livres, l'autre par son travail de médecin. Autour d'elles, leur mère, vieille dame iconoclaste et vampirisante, Boris et le fantôme de Marek. Ensemble, cette petite tribu a cru changer la société. Ils étaient de toutes les manifestations, sous tous les calicots d'un monde meilleur. La lutte les a menés jusqu'au Mexique et puis la vie a suivi son cours. Que reste-t-il de tout cela dans le quotidien de chacun? Pourquoi Anna n'arrive-t-elle plus à écrire? Avait-elle le droit de publier un jour le récit de leur engagement?
Geneviève Brisac emboîte le pas à Doris Lessing et son Carnet d'or pour publier aujourd'hui un roman ambitieux, nostalgique et ironique, politique et artistique. Un roman total qui embrasse la vie et met en scène nos rêves cabossés et nos espoirs les plus vrais.
Geneviève Brisac sera notre invitée le mercredi 1er octobre à 20 heures.
Pas pleurer est sans aucun doute le plus réussi des romans de Lydie Salvayre. Il tient tout à la fois de la chronique familiale, du récit historique, du traité d'anarchisme et même de l'essai d'histoire littéraire, Bernanos étant l'un des personnages marquants de ce texte à l'intelligence éblouissante.
La Guerre d'Espagne a donné lieu à plusieurs romans (les librairies Initiales lui ont d'ailleurs consacré tout un dossier, tant l'événement a inspiré de textes forts), mais on ne se rappelle pas avoir lu de récit aussi singulier, aussi libre et anti-conformiste que ce beau Pas pleurer. La narratrice, Lidia, fille de Républicains espagnols émigrés en France après la défaite, y raconte le fol été 36 de sa mère, Montse, 15 ans à l'époque, et qui a vécu en l'espace de quelques semaines les pages les plus exaltantes du livre de sa vie — les seules aussi dont elle se rappelle arrivée dans le grand âge. Montse a grandi dans une famille très modeste d'ouvriers agricoles. Dans la Catalogne rurale de l'époque, leur dépendance vis-à-vis des propriétaires terriens en faisait presque l'équivalent des serfs du Moyen Age. Josep, son frère aîné, est gagné par les idéaux libertaires et se révolte face à cet ordre immuable. Il entraîne Montse à Barcelone, capitale mondiale le temps d'un été des espoirs anarchistes. Le destin de Montse s'en trouvera à jamais bouleversé...
En contrepoint des souvenirs de la vieille dame, la voix de Georges Bernanos, qui vit ce même été dans une autre Espagne: l'île de Majorque, tenue par les franquistes. L'armée, couverte par l'église catholique, s'y livre à de tels massacres que l'écrivain pourtant catholique fervent et peu suspect de sympathies gauchistes voit ses convictions s'effondrer. De la profonde crise intérieure que connaît Bernanos à l'époque naîtra Les grands cimetières sous la lune.
Bernanos le grand intellectuel européen et Montse la jeune fille sans instruction sont les deux visages d'une même tragédie, cet écrasement des forces démocratiques espagnoles qui va contribuer à faire sombrer l'Europe dans le chaos que l'on sait. Si le sujet de Pas pleurer est grave, la façon dont Lydie Salvayre s'en empare s'avère jubilatoire. L'énergie de Montse est contagieuse et son envie de vivre libre et heureuse en font un personnage profondément attachant. Mais il y a aussi la langue de Montse, ce français qu'elle malmène avec un raffinement réjouissant, et que Lydie Salvayre excelle à nous restituer. Tout cela donne au livre une vivacité, une allégresse, un joyeux renversement des conventions littéraires. À ne pas douter, Pas pleurer est l'un des romans incontournables de la rentrée littéraire 2014.
L'avis d'Anouk
Orphelins de Dieu est un livre à la beauté vénéneuse: puissant, violent, d'une noirceur teintée de sublimes éclats de lumière.
La Corse du 19e siècle est une terre de misère, rançonnée par les clans, minée par les réglements de compte entre bandes rivales. Marc Biancarelli fait de cette Corse qu'il aime et dont il connaît chaque page de l'histoire le cadre d'une véritable épopée. Une jeune femme, Vénérande, veut venger son frère défiguré par des bandits. Pour faire verser le prix du sang, elle embauche un tueur à gages au surnom éloquent — l'Infernu. Dans une folle cavale, la jeune fille et le tueur vont peu à peu se raconter. Émaillées de scènes d'une violence folle, marquées par l'injustice sociale et des victoires aussi tragiques que les défaites, leurs vies sont néanmoins transcendées par une certaine noblesse, celle du sens de l'honneur et du respect des valeurs ancestrales.
Orphelins de Dieu est l'une des belles découvertes de cette rentrée littéraire. Si la violence et l'extrême noirceur du livre peuvent dérouter le lecteur, elles se mêlent néanmoins d'une étrange douceur, née tant de la fascination pour un monde disparu que de l'élégance de la langue de Marc Biancarelli. Un roman brillant, doublé d'une fine réflexion sur l'expérience du mal.