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L'avis d'Edith:
Subtil, sans esbroufe et plein de malice, Baricco nous propose un personnage discret, déterminé et original, dont on se fait un plaisir de suivre le rythme décalé au cœur de Londres.
Quand Jasper Gwyn, décide d'arrêter d'écrire, personne ne le croit, son meilleur ami et agent moins que quiconque. Pourtant, Jasper Gwyn en est intimement convaincu. Libéré du poids de ses romans, passés et futurs, Jasper flâne de wasserette en wasserette. Il tient sa résolution, mais il ressent un malaise que ses stratagèmes (écrire des scènes mentalement par exemple) ne suffisent pas à combler. Jusqu'à ce qu'il découvre une galerie de portraits nus, qui le fascinent. Il en est désormais sûr, il doit écrire des portraits. Il veut être copiste.
« Ça lui aurait bien plus d'être copiste. Ce n'était pas un vrai métier, il en était conscient, mais il y avait une étincelle convaincante dans ce mot, qui lui donnait l'impression de chercher quelque chose de précis. Il y avait un secret dans le geste et une patience dans la méthode – un mélange de modestie et de solennité. Copiste, il ne voulait pas faire autre chose. Et il était sûr de pouvoir le faire très bien. »
Toute en finesse et en silences de peintre, la quête de Jasper Gwyn est sagement folle, et pleine de minutie. Déterminé à écrire des portraits comme un peintre et à parvenir à copier les gens pour les « reconduire chez eux » , Jasper aura le souci du détail. Jusqu'à dénicher dans Londres le dernier artisan fabriquant ses ampoules à la main, pour que celles de son atelier s'éteignent tout pile après trente jours.... Un Baricco encore plus original que d'habitude, dont on savoure tranquillement les mots et les personnages, sans s'ennuyer une page.
L'avis d'Anouk:
Il y a longtemps que l'on se plait à parcourir le monde dans le sillage de Laure Leroy, éditrice de Zulma. Elle nous a fait découvrir avec délectation l'Iran de Zoya Pirzad (par exemple avec On s'y fera), l'Islande de Audur Ava Olafsdottir (qui a oublié le bonheur dû à Rosa Candida?) ou Bergsveinn Birgisson (sublime Lettre à Helga), l'Israël de Benny Barbash (My First Sony est une fantasque relecture de l'histoire du pays), ou encore le Japon plein de poésie de Hubert Haddad (Le peintre d'éventail compte parmi les plus beaux romans de l'auteur). Sans doute serais-je passée à côté de Notre quelque part s'il n'avait pas été publié sous la belle couverture de Zulma: un auteur inconnu, un roman situé dans un pays dont je ne connais absolument rien — le Ghana, et l'absence de lexique qui laisse au départ le lecteur perplexe même si c'est une formidable manière, on le comprend vite, de se laisser pleinement immerger dans le monde des personnages... Merci Zulma pour avoir l'audace de publier de telles pépites!
Faux roman policier, Notre quelque part démarre dans une bourgade ghanéenne où est retrouvée "une chose", vraisemblablement des restes humains. L'affaire s'emballe puisque la personne qui fait cette macabre découverte est la maîtresse d'un ministre, et la hiérarchie policière s'évertue à trouver au plus vite la clé de l'énigme. Kayo, un jeune médecin légiste formé en Angleterre et récemment rentré au pays est envoyé sur place manu militari avec la délicate mission d'éclairer l'affaire. Pour Kayo, cette enquête sera surtout l'occasion de se relier à un "quelque part" : des racines, des légendes, une façon d'appréhender le monde dont il s'était coupé par l'exil et la vie à Accra, capitale frénétique du pays. Guidé par un policier débonnaire, Kayo se lie rapidement à Yao Poku, vieux chasseur accro au vin de palme dont les histoires singulières lui ouvrent les portes d'un monde fascinant. Il démêlera petit à petit les fils tortueux de l'histoire du village. Notre quelque part n'est pas, comme on pourrait le croire au départ, le roman du choc des mondes dans l'Afrique d'aujourd'hui : le médecin légiste contre le guérisseur, la technique occidentale contre la sagesse traditionnelle, les villes trépidantes contre les campagnes alanguies, le polar contre le conte. Il est au contraire celui de l'entremêlement, de l'estompement des frontières, d'une humanité réconciliée. Un quelque part dont chacun peut faire son quelque part.
Mais on n'a rien dit encore du plaisir de lecture qu'offre ce livre malin et enlevé si l'on ne parle pas de la langue qui porte l'intrigue. Nii Ayikwei Parkes mêle les registres, les langues (l'anglais et les langues traditionnelles pidgin ou twi) qui sont autant de façon de caractériser un personnage, sa classe sociale, son niveau d'éducation, son milieu de vie. Sa traductrice française Sika Fakambi fait un travail formidable en donnant à entendre en français cette richesse: elle mêle au français des parlers d'Afrique de l'Ouest, des néologismes, des tournures littéralement inouïes et crée une langue qui est d'un bout à l'autre du livre une fête des sens et de l'esprit. C'est réellement savoureux et épatant!
Traduit (sublimement!) de l'anglais (Ghana) par Sika Fakambi, Zulma, 21 €
L'avis d'Edith:
Ça tonne et ça cartonne dès les premières pages de ce livre...et sous le toit des Tofer! Car entre Greg et Megin, frère et soeur, c'est la guerre. Ouverte, déclarée, irrémédiable (semble-t-il), des poils sur la brosse à dents de Megin au cafard dans la chambre de Greg. Leur père, flegmatique, et leur mère, adepte d'autohypnose, abandonnent régulièrement, tandis que leur petit frère en profite, enjeu régulier de leurs bagarres. Alors sur le lac, les choses se règlent au hockey sur glace...où Megin excelle.
D'un chapitre avec Megin garçon manqué à un chapitre avec Greg dingue amoureux, notre coeur balance entre l'un et l'autre...pour finalement aimer les deux.
Entre deux fous rires, Jerry Spinelli parvient même à nous arracher quelques larmes, et on ferme le livre bien content.
L'avis d'Anouk:
Blanès est une station balnéaire comme il y en a tant sur la côte espagnole, pas bien loin de Barcelone. La ville pourtant n'est pas tout à fait comme les autres: elle a longtemps été celle de l'écrivain chilien Roberto Bolaño et attire depuis la mort de ce dernier des pèlerins de tous horizons. Les bolañistes forment une secte loufoque et vaguement inquiétante, où l'ambition suprême consiste à devenir gardien de camping (un job exercé quelques temps par le grand homme).
C'est dans cette atmosphère étrange que débarque Eva. Elle vient de Barcelone après avoir mystérieusement perdu Samuel, l'amour de sa vie, écrivain reconnu et grand lecteur de Bolaño. Or Samuel a précisément disparu un dimanche soir alors que le couple rentrait d'une visite à Blanès...
Dévastée, tout à la fois rageuse et désespérée, incomprise par tous ses proches, Eva veut comprendre ce qui s'est passé. Dans sa quête de femme blessée, elle croisera des personnages hauts en couleur qui lui permettront, peut-être, de retrouver du sens malgré l'absurdité du monde. On se met d'emblée dans les pas d'Eva. Sa détermination, sa fantaisie, son ouverture aux autres en font un personnage singulièrement attachant.
Avec Blanès, Hedwige Jeanmart signe un premier roman émouvant et enjoué, loin des chemins balisés. C'est aussi un bel hommage aux pouvoirs de la littérature, mais un hommage rendu sans forfanterie, avec une vraie générosité : oui, les livres peuvent faire dévier le cours d'une vie, et oui, ils sont une façon de résister au conformisme, à tout ce que notre époque attend de nous.
Gallimard, 18,50 €
J’écris parce que je crois que j’ai quelque chose à dire. C’est ainsi que commence ce récit anonyme et espérons que le message passe auprès de directeurs éditoriaux trop avides d’encombrer les tables des librairies !
Un jeune homme issu de la bourgeoisie française ayant raté le bac en seconde session et attendant le papier de son engagement dans la Marine, désire, pour subvenir à ses besoins et muscler son corps d’adolescent chétif, se faire employer dans un métier manuel. Ce sera les scieries. Deux ans durant, à toute saison, il sera debout à six heures du matin, fera les kilomètres qui le séparent de son lieu de travail à vélo et ne reviendra que le soir déjà bien tombé. Entre son lever et son coucher, un travail à la chaîne cassant, harassant, abrutissant et plus que risqué l’occupera. D’une écriture brute et limpide, il ne s’agit pas ici de rendre compte d’une quelconque expérience anthropologique d’un jeune homme de bonne famille s’immergeant dans le rude quotidien des petites gens, mais bien de rendre compte de ce qu’est le travail et comment il forme et déforme. Travailler toujours plus fort, toujours plus vite, toujours plus lourd, toujours plus près de la lame d’une scie circulaire au bruit assourdissant et hypnotisant jusqu’à l’accident. Un récit fort et qui résonne bien longtemps après avoir tourné la dernière page.
La scierie vient de recevoir le Prix Mémorable des librairies Initiales. Le Prix Mémorable a été créé pour saluer la réédition d’un auteur malheureusement oublié, d’un auteur étranger décédé encore jamais traduit en français, ou d’une traduction nouvelle d’un auteur. C'est notre façon d'affirmer que la librairie indépendante, c’est avant tout un fonds.