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« Un autre monde se tient là, juste derrière, à portée de main ».
Être présent à ce monde-là, l'habiter et le faire sien : c'est le chemin qu'emprunte Paula Karst, cœur vibrant et lumineux du nouveau roman de Maylis de Kerangal.
Paula a vingt ans, elle tâtonne sans passion jusqu'au jour où elle s'inscrit dans une école bruxelloise pour y apprendre l'art du trompe-l'œil. Le choix déconcerte ses proches, mais il a pour elle la force de l'évidence – comme une nécessité. Dans sa nouvelle vie bruxelloise, Paula se confronte à l'exigence, à l'épuisement physique, à la difficile appropriation des techniques et des matériaux. La peinture de décors semble un art modeste et sans flamboyance. C'est là pourtant que Paula et ses compagnons d'atelier trouveront la clé qui leur ouvre un monde à portée de main.
Quatre ans après Réparer les vivants, un livre dont l'onde de choc n'a pas fini de se propager et qui a fait d'elle une romancière internationalement reconnue, sélectionnée pour le prestigieux Man Booker International Prize, on attendait avec impatience le nouveau roman de Maylis de Kerangal.
Un monde à portée de main, acéré, virtuose, foudroyant dès sa première phrase, ramasse les thématiques qui depuis toujours irriguent une œuvre profondément cohérente : la jeunesse et son énergie crépitante, la matérialité du monde et des corps, l'attention au geste et au savoir-faire. On retrouve aussi, avec quel bonheur, une écriture inventive et joueuse, qui tend des fils entre l'imaginaire et le documentaire. La phrase est ample, au confluent du dialogue et de la pensée, et attrape au plus serré notre contemporain.
Dans ce roman comme dans les précédents, Maylis de Kerangal joue de la fiction pour donner à penser. Elle fait surgir l'émotion là où personne ne l'attend, dans la technicité des savoirs scientifiques : l'ingénierie dans Naissance d'un pont, la médecine de pointe dans Réparer les vivants, les techniques picturales aujourd'hui. Elle met en perspective notre 21e siècle en l'inscrivant dans le temps long de l'histoire.
Mais Un monde à portée de main, s'il poursuit le sillon que Maylis de Kerangal trace de livre en livre, s'aventure aussi sur des chemins nouveaux. La dimension épique et chorale des précédents romans cède la place à une approche plus centrée, plus intimiste. C'est le personnage de Paula qui impulse le livre, et nous sommes au plus près d'elle et de sa perception du monde. Kate et Jonas, élèves de la même école devenus proches parmi les proches, sont bien plus que des personnages secondaires, mais c'est bien Paula qui est de bout en bout notre « instrument d'optique » (comme elle le dit d'Anna Karénine).
Chemin nouveau aussi en ce que Un monde à portée de main apparaît comme une réflexion sur la création, une tentative de rassembler sous la fiction les éléments d'un art du roman. Paula et ses pinceaux tendent évidemment un miroir au travail de l'écrivain. On ne peut pas s'empêcher de penser à l'écrivain à sa table lorsque l'on lit : « et dans ce bruit, Paula commence à peindre, condense en un seul geste la somme des récits et la somme des images, un mouvement ample comme un lasso et précis comme une flèche ». Pour autant, la démarche de Maylis de Kerangal n'est jamais démonstrative. Elle s'avance à bas bruit et ébranle par son humilité : elle, la romancière partout saluée et reconnue, choisit pour parler d'art la modestie de la peinture de copie, qui tient davantage de l'artisanat que de l'art avec un grand A. C'est une jolie leçon de vie et d'audace, comme une invitation à regarder ce monde qui nous entoure, à nous approprier ses contours et à créer là, juste là, à portée de main, un monde peut-être meilleur. « Il y a davantage dans ce monde, songe-t-elle, davantage de manières de le voir et de le raconter ».
Maylis de Kerangal présentera "Un monde à portée de main" à la librairie le mardi 11 septembre à 20 heures. Pour vous inscrire: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Aujourd'hui l'été tend les bras. Le temps est venu de musarder, d'être curieux, de mettre entre parenthèses la frénésie du quotidien pour se nourrir l'âme et le coeur. Et si l'on faisait le pari de délaisser les voies balisées, les listes de best-sellers vite lus et plus vite encore oubliés? Et si l'on se donnait le temps d'être habités par nos lectures, de les laisser faire écho à nos désirs, à nos amours, à nos angoisses et nos révoltes?
C'est à ce chemin-là de lecture que nous convient depuis 20 ans les éditions Esperluète.
"Elle éprouvait un sentiment étrange et très fort: elle, Nora, la seule et unique Nora, voguait sur un fleuve avec derrière elle, se déployant en éventail, ses ancêtres, trois générations de personnes immortalisées sur des photos, avec des noms qu'elle connaissait, et derrière eux, dans les profondeurs de ces eaux, une suite sans fin d''ancêtres anonymes, des hommes et des femmes qui s'étaient choisis par amour, par passion, par calcul, sur l'injonction de leurs parents, qui avaient produit et protégé une descendance, et ils étaient une multitude immense, ils peuplaient toute la terre, les berges de toutes les rivières, ils croissaient et se multipliaient afin de la produire elle, Nora, et elle, elle produisait son seul et unique Yourik, et lui produisait encore un petit Jacob, et cela donnait une histoire sans fin à laquelle il était si difficile de trouver un sens, bien qu'il palpitât clairement en un fil ténu".
Dans un pays qui s'appelait encore l'URSS, une généticienne se voit du jour au lendemain congédiée de son institut de recherche. Son crime ? Les autorités ont découvert que sa machine à écrire a servi à copier des samizdats. Rendons grâce au zèle de la police soviétique, prompte à traquer les âmes dissidentes : nous lui devons la naissance d'une immense écrivaine.
De Ludmila Oulitskaïa, il faut tout lire. Ses nouvelles, admirables. Ses romans brefs, sublimes. Ses chroniques, percutantes. Et plus que tout il faut lire ses amples fresques, Sincèrement vôtre, Chourik, Le chapiteau vert ou aujourd'hui L'échelle de Jacob. L'intelligence romanesque qui s'y déploie, leur exceptionnel sens du détail, les vies rugueuses et tourmentées que l'on y croise – tout dans les livres de Ludmila Oulitskaïa nous fait éprouver, au sens le plus fort, notre appartenance à la famille des hommes.
L'échelle de Jacob qui paraît aujourd'hui retrace un siècle de destins tissés avec brio. Le roman s'ouvre en 1975, une époque où le cours de l'histoire semble s'être figé en URSS. Nora vient d'avoir un fils, sa grand-mère meurt, une malle en osier et les lettres qu'elle contient passent de l'une à l'autre. Dépositaire de l'histoire de ses grands-parents, Nora mettra toute une vie à déplier les secrets qu'elle recèle. Et nous voici embarqués à ses côtés pour un voyage époustouflant, où il sera question d'amours entravées, d'illusions perdues, de courage et de liberté, de solidarité et de trahison. Autant de questions qui étaient déjà au cœur du Chapiteau vert, et qui prennent ici une dimension plus bouleversante encore lorsque l'on comprend que l'histoire de Nora et des siens est, à peine transposée, celle de la famille de Ludmila Oulitskaïa.
Grande tristesse ce matin en apprenant la mort de Philip Roth.
L'avis d'Edith:
Beaucoup ont déjà entendu parler des Black Panthers. Plus ou moins précisément, on sait qu’il s’agit d’un mouvement révolutionnaire afro-américain de libération. Ceux qu’on connait moins, voire pas du tout, ce sont les Young Lords, un groupe de jeunes révolutionnaires latino-américains du quartier portoricain d’El Barrio (New York), à la fin des années 1960. À l’instar des Black Panthers, ils ont décidé de s’organiser pour résister à l’oppression et à la discrimination de leurs communautés, remplacer l’Etat capitaliste et raciste par des alternatives communautaires et politisées.
Du ramassage des poubelles non évacuées de leurs quartiers au détournement du camion de radiologie de la mairie de New York, en passant par l’organisation de déjeuners gratuits et l’occupation d’un hôpital pour dénoncer son délabrement, les Young Lords ont été incroyables d’ingéniosité et d’émulation collective dans leurs actions. Leur succès fut tel que d’autres groupes se lancèrent dans d’autres villes.
Au-delà de leurs prouesses, il se distinguent aussi des mouvements révolutionnaires de l’époque par leur attention aux rapports de domination en interne à leur mouvement (féminisme, homophobie, racisme…) et sont particulièrement attentifs à leurs manières de fonctionner ensemble et à l’importance de se changer soi-même pour pouvoir s’émanciper vraiment du système qui les opprime.
Le livre, presqu’essentiellement composé de témoignages recueillis par Claire Richard ou d’extraits de documents divers de l’époque, se lit comme un roman et constitue une passionnante leçon de community organising appliqué. Traçant la vie du mouvement de ses débuts à sa fin, il donne aussi des clés pour tirer d’éventuelles leçons des mouvements qui terminent mal, déchirés entre autres par des conflits internes.
Terriblement inspirante, lumineuse d’idéal, cette page méconnue de l’Histoire du mouvement social américain vaut vraiment la peine d’être découverte.