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chapiteau vert - oulitskaiaL'avis d'Anouk

Tout commence avec un pauvre chaton: c'est cet animal fragile, qui fait office de ballon pour les enfants de leur classe, qui va unir les destins d'Ilya, Sania et Micha. Les trois écoliers sont comme leur petit protégé —  des mal-aimés, victimes des moqueries et de la violence des gamins de leur âge. Et si le chaton meurt immédiatement, l'amitié qui s'est scellée entre les trois garçons pour le sauver de ses bourreaux durera aussi longtemps qu'ils vivront. En quelques pages (le chaton meurt à la page 19), Ludmila Oulitskaïa réussit à accrocher ses lecteurs, à les prendre par la main pour un long, passionnant et éprouvant voyage.

De la mort de Staline à la Russie post-soviétique, c'est quarante ans d'histoire russe que revisite "Le chapiteau vert", et le roman se place délibérément du côté de la dissidence, de ces voix fragiles, maladroites, obstinées qui ont courageusement bravé la peur et la violence d'un régime alors tout-puissant. Ilya, Sania et Micha seront chacun à leur manière des âmes rebelles, puisant dans leur amitié et dans le souvenir d'un professeur de lettres anticonformiste l'énergie de vivre conformément à leurs idéaux. Il y aura sur leur chemin des moments de répit, des amours fulgurantes, des solidarités indéfectibles. Il y aura surtout l'ombre partout présente de la peur, les perquisitions et les entretiens musclés avec le KGB, les années de camp et de rélégation, les compromissions, l'exil.

En dressant le portrait de trois personnages inoubliables, Ludmila Oulitskaïa rend un hommage vibrant à toutes les grandes figures, bien réelles celles-là, de la dissidence. Tous ces gens qui ont permis la fin d'un des régimes totalitaires les plus sinistres du XXe siècle. Dans une fresque au souffle romanesque impressionnant, elle donne une formidable leçon de vie, de courage et d'engagement, qu'elle dédie à "ceux qui ont été irréprochables et ceux qui ont trébuché en ces temps meurtriers, ceux qui ont tenu bon et ceux qui n'y sont pas parvenus".

Ludmila Oulitskaïa fait dire à l'un de ses personnages, lors de la publication clandestine du "Docteur Jivago" de Pasternak: "un magnifique post-scriptum à la littérature russe classique!". On lui adresse volontiers pareil compliment. Il y a chez elle la fougue, la virtuosité et le sens du tragique des plus grands.

On sort ébloui d'une telle lecture, et infiniment reconnaissant pour tant d'humanité.

Traduit du russe par Sophie Benech, Gallimard, 24.90 €btn commande