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tristan - boulayL'avis d'Anouk:

«On devait partir à deux, mais il ne restait qu'une place sur le bateau. Alors on a tiré au sort et c'est tombé sur moi». C'est le hasard qui fait débarquer Ida sur l'île de Tristan, un bout de terre accroché à son volcan quelque part entre l'Afrique et le Brésil. La traversée depuis Le Cap a duré sept jours, et le prochain bateau ne sera pas là savant plusieurs semaines. C'est dire si le séjour à Tristan est une expérience qui engage, non un simple voyage que l'on fait pour assouvir sa soif d'exotisme.

 

Ida partage au fil des jours la vie d'une communauté soudée par le travail, l'entraide et l'esprit de famille – on est tous un peu parents à Tristan, «l'île des sept familles». Ida apprend à se rendre utile et consacre ses moments libres au dessin. «La page est blanche. Tout est possible. Non. Tout semble possible. Mais, ça, je ne l'ai su qu'après».

 

L'isolement de Tristan fait de la vie sur l'île la quintessence de l'expérience insulaire. Ida perd peu à peu ses repères. Ses certitudes s'embrument. Le temps, l'espace, l'identité : les amarres se détachent les unes après les autres. «L'attente. Encore elle, celle qui nous oblige à confondre l'instant avec la durée et la durée avec l'éternité». Et c'est dans cette dépossession que va surgir la passion. Fulgurante, absolue, sublime : forcément extrême.

 

Clarence Boulay signe avec «Tristan» un premier roman tendu et puissant. Elle a elle-même passé plusieurs mois sur cette île du bout du monde, une expérience qu'elle a racontée dans un bel article paru dans la revue XXI. Le détour par le roman donne une autre dimension au vécu, déplie ce qui ne serait qu'énuméré dans un carnet de voyage ou un journal de bord. La fiction vient semer le trouble et nimber les faits d'une lumière vacillante. Elle donne à ce livre une profondeur et un vertige que le lecteur, c'est certain, n'oubliera pas.

 

Sabine Wespieser, 18 €btn commande

myriam leroy arianeL'avis d'Adrien :

Myriam Leroy embarque sans ambages son passager, ne lui laissant la peine d’attacher sa ceinture,  le faisant rentrer de plein fouet dans l’adolescence de la narratrice. Après l’exposé cinglant fait sur sa famille, son milieu « un gros bourg moche, d’une laideur tout à fait anti-cinématographique », on découvre comment elle a été aimantée par Ariane, une beauté indienne adoptée par une famille bourgeoise du Brabant wallon et « lévitant plusieurs kilomètres au-dessus [des] contours informes » des autres adolescents de ce « collège chic (…) une école de blonds ». Et de suivre la trajectoire de cette amitié dont la toxicité ne fait que s’accroître ; on est cruel quand on a dix-sept ans.

L’écriture est fluide, sans fioritures, on s’y abreuve d’une traite. Au mitan de l’histoire est d’ailleurs posée la question de l’écriture d’un tel récit : « Thérapie classique par l’écriture. On est loin de la littérature ». Quatre pages de méta roman qui autant qu’éclaircir le débat, l’embrouillent largement, et nous introduisent dans un labyrinthe où nos repères fondent comme neige au soleil, le fil d’Ariane ne faisant que nous perdre plus. Ce passage est puissant, car autant nous goûtions déjà la pertinence et la justesse du propos, que ce soit sur les classes sociales, l’adolescence, la famille, l’amitié, sur cette période de la fin des années 1990, autant après, nous plongeons corps et âme dans une histoire dont on ne sait si elle a existé ou non et nous laisse interdit.

Comme il y a des teenage movie, voici un teenage book, et celui-ci se passe à Nivelles, en Belgique, il est glauque, sa vérité y est glaçante, on le lit avec avidité et beaucoup d’effroi.

Amitié adolescente, roman générationnel, cartographie de la classe moyenne qui bande mou, tout ça peut sembler rebattu, mais il y a ce style qui lui est propre, très efficace, concis, cette justesse, ce sens de la formule et de l’observation qui annoncent qu'une écrivaine est née. Bravo Myriam Leroy !

Don Quichotte, 16 €btn commande

sigma - deckL'avis d'Anouk:

«Sigma» est l'une de nos plus étourdissantes lectures de cette rentrée littéraire.

Julia Deck y déploie avec maestria tout le talent qu'on lui connaît depuis «Viviane Elisabeth Fauville», et son troisième roman est une réussite: trépidant, inclassable, joyeusement subversif.

Jugez plutôt: Sigma est une organisation tentaculaire, un Big Brother planétaire qui a pour vocation «l'harmonisation des pensées». Pour atteindre cet objectif hygiéniste, Sigma rémunère des assistants qui s'immiscent dans l'entourage de personnalités en vue et surveillent leur conformité aux critères érigés par l'organisation. Lorsque les agents de Sigma apprennent la possible redécouverte d'une toile que tous pensaient disparue, œuvre d'un peintre étiqueté décadent, ils déploient toute leur énergie pour neutraliser la puissance du tableau. Commence alors un jeu de chassés-croisés et de faux-semblants dans une Suisse aseptisée, avec une galerie de personnages aussi attachants que parfaitement retors.

Julia Deck fait subir au roman d'espionnage le même bain d'ironie, d'humour et de littérature que Jean Echenoz dans son «Envoyée spéciale»; c'est peu dire que «Sigma» s'amuse de et avec son lecteur!

Minuit, 17,50 €btn commande