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Dans la pénombre de 3 heures du matin, une femme regarde dormir une autre femme.
Elles se sont trouvées, aimées, dévorées, consumées, perdues, retrouvées. Leur amour a l'odeur du soufre. "Le soufre est un corps simple. C'est l'élément chimique de numéro atomique 16. De symbole S". Elles ont tout brûlé de leurs vies d'avant, les routines, les convenances, les illusions. "Ça raconte le moment précis où l'allumette craque, le moment précis où le bout de bois devient feu, où l'étincelle illumine la nuit, où du néant jaillit la brûlure. Ce moment précis et minuscule, ce basculement d'une seconde à peine. Ça raconte Sarah, de symbole S".
Le titre nous l'indique déjà: tout pulse chez Pauline Delabroy-Allard, la vie irrigue chaque ligne de cet épatant premier roman. Une énergie peu commune, du rythme, l'audace d'une langue réinventée, vive et virtuose. "Ça raconte Sarah", c'est une histoire d'amour comme on en lit rarement, d'une tragique intensité. Pour l'éclairer, Pauline Delabroy-Allard convoque avec grâce Marguerite Duras et Alain Resnais, Shakespeare et James Joyce, Schubert et Truffaut, mais jamais ces grands noms n'écrasent la singularité et la fraîcheur de sa voix.
Ne passez pas à côté de ce premier roman: un éblouissement!
Antoine Wauters signe en cette rentrée deux romans époustouflants chez Verdier, maison d’édition discrète et prodigieuse. De Pierre Bergounioux à Michèle Desbordes, de Pierre Michon à Mathieu Riboulet, leur catalogue regorge de merveilles!
Quatre ans après Nos mères (Verdier, 2014 – Prix des auditeurs de la Première), voici deux récits écrits dans des laps de temps différents mais finalisés et publiés conjointement il y a quelques jours.
Pour autant, Pense aux pierres sous tes pas et Moi, Marthe et les autres ne sont pas directement reliés. Des échos se font entendre de l’un à l’autre. Un certain fracas aussi. Mais ils ont chacun leur vie propre, et leur rythme, et leur écriture.
Pense aux pierres sous tes pas, le plus narratif des deux, se déroule dans un pays imaginaire et pourtant proche. Léonora et Marcio sont de jeunes jumeaux qui (sur)vivent dans la ferme familiale, soumis à des parents pauvres et d’une violence sans limite. Le pays passe d’une dictature à l’autre, et les promesses du nouveau président sont autant de violences faites au petit peuple. Roman d’un amour fou entre une sœur et son frère, roman politique sur le populisme ambiant, roman de la séparation, Pense aux pierres sous tes pas est un livre d’une beauté rare, incandescente, inoubliable. Le lecteur y côtoie la douleur, la folie, l’épuisement tout autant que l’espoir, la rage d’avancer, de changer. « On voulait le faire parce qu’on ne dit pas assez que les ombres peuvent être terrassées. Et qu’on a tous besoin de clarté. » Dans des paysages immenses, Antoine Wauters fait surgir des corps. Qui plient sous le travail, qui tremblent de désir, qui marchent. Ce livre est une traversée. Et ses pages font jaillir une lumière retrouvée.
Dans Moi, Marthe et les autres, tout a disjoncté. Ville éclatée : Paris, ou ce qu’il en reste, après la catastrophe. Monde post-apocalyptique, en ruines. Des survivants s’organisent, pillent, tuent, se dévorent dans les rues désertes et les métros désaffectés. Le groupe que l’on suit est fait de filles et de garçons sans mémoire, des errants, des lambeaux d’humains ou des êtres nés après. Ils mangent ce qui est mangeable, baisent comme bon leur semble, mais cherchent surtout à tenir. À retrouver une forme de vie.
En une septantaine de pages « trouées » (certains mots sont comme atrophiés), ce sont 192 fragments ou microparagraphes qui clouent le lecteur au mur. Et de cette anarchie totale naît une urgence qui s’impose. Celle de vivre et d’espérer.
Un souffle puissant, des personnages habités et un sens imparable du romanesque: Emmanuelle Pirotte ne manque pas de panache. "Loup et les hommes" le confirme en 700 pages que l’on ne peut lâcher. Du Gévaudan à la Nouvelle France, Emmanuelle Pirotte lance ses personnages dans une quête effrénée. Secrets de famille, rivalités, déconvenues, amours impossibles et embuscades: tous les ingrédients sont là pour faire de "Loup et les hommes" un somptueux roman d’aventures.
Il s’ouvre dans le Paris mondain du 17e siècle. À la faveur d’une rencontre, Armand de Canilhac éprouve l’impérieux besoin de faire la paix avec son passé. Il lui faudra pour cela remonter la piste de son frère Loup, disparu depuis plus de vingt ans. Loup, solaire et cruel, souverain et débauché, miroir inversé de l’inquiet Armand, aurait-il trouvé sur les rivages sauvages de l’Amérique un territoire à sa mesure ?
Dans un savant mélange d’effroi et de délectation, tenu en haleine par un rythme ébouriffant, le lecteur suit les trajectoires des deux frères et de bien des personnages attachants et inoubliables. Mais au-delà du voyage et de l’aventure, Loup et les hommes est aussi, et peut-être surtout, un roman sur la part sauvage inscrite au cœur de tout homme, de toute histoire, de tout paysage. La connaître et l’apprivoiser, oser s’y risquer: sans doute est-ce là une frontière bien plus périlleuse à traverser qu’un océan. Et Emmanuelle Pirotte y invite avec brio.
Livre après livre, de L’histoire de l’amour à La grande maison, Nicole Krauss poursuit une réflexion profonde sur l’essence-même de la littérature. Le doute, la perte, le souvenir, ce qui se dérobe, échappe et tente de se dire, tout cela est encore, et plus que jamais, au cœur de Forêt obscure.
Titre polysémique, obsédant et mystérieux, pour un livre qui se lit comme on vit une expérience à la fois belle, douloureuse, étrange et révélatrice.
Deux récits s’y entrecroisent: l’un (en « il ») autour de la disparition à Tel-Aviv d’un riche américain d’âge mûr, l’autre (en « je ») centré sur Nicole, auteure new-yorkaise en vue, fuyant en Israël un mariage qui se meurt et une panne sèche d’écriture.
Il y a certes des échos entre ces deux personnages, ces deux destinées mais Nicole Krauss ne s’en contente pas pour faire vivre son intrigue. Nous suivrons ces deux-là jusqu’au bout de leur quête, traversant villes, déserts et forêts profondes. Deux expériences de la fuite mais aussi, et surtout, d’un bouleversement, d’une « métamorphose ».
Krauss interroge les limites du réel et de la fiction, voire de l’autofiction, comme lorsque Nicole (le personnage) ressent épisodiquement l’existence d’univers parallèles, d’autres possibles. Ou lorsqu’un troisième personnage, Kafka lui-même, vient hanter les pages de ce roman, comme pour nous faire entrevoir un autre temps, un autre espace. La présence fantomatique du grand écrivain ouvre encore d’autres voies à notre façon de lire le réel.
Roman onirique, mystique, psychanalytique où la forêt est omniprésente, symbolisant tout à la fois le sentiment de perte et d’égarement mais aussi la protection, le repli, la « chambre à soi », un lieu de régénération. Forêt obscure est un livre rare, qui réussit tout à la fois à nous guider et à nous perdre. Un véritable chef-d’œuvre.
Nicole Krauss est LA grande auteure américaine de notre temps !
Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Paule Guivarch, 23 €