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in wavesL'avis d'Adrien :

Chaque rentrée offre son lot de belles surprises, celle-ci transcendera l’époque. Elle marque autant qu’avait marqué à sa sortie chez le même éditeur en 2004 Blankets de Craig Thompson, celui-ci ayant salué le talent d’Aj Dungo, jeune bédéaste qui signe là son premier album.

Avant de rencontrer sa fiancée, Aj Dungo n’était pas le plus à l’aise dans l’eau. Avec Kristen, il a appris à apprivoiser cet élément, à connaître sa puissance et sa grandeur. Il a aussi appris que le surf était bien plus qu’un sport. On a diagnostiqué à Kristen, quelques semaines après qu’elle et Aj se soient mis en couple, un cancer. Durant leurs dix années de vie commune et jusqu’à son souffle final, Kristen n’aura de cesse, avec courage et abnégation, de combattre la maudite maladie. Et de-ci de-là, de remonter sur une planche, domptant habilement et naturellement les vagues.

Mélange plus qu’original d’un récit de deuil et d’une histoire du surf, In waves nous narre avec l’épure d’une ligne ultra claire une chronique amoureuse d’une beauté et d’une mélancolie apaisées et apaisantes. Tout en bichromie, de bleu pour l’histoire de Kristen et Aj, bleu comme l’amour, comme l’eau, comme la vie, comme la volonté, et de sépia pour la mémoire du surf, sépia comme la couleur du bois dans lequel sont sculptées les planches de surfs, comme la peau hâlée de l’hawaïen Duke Kahanamoku et de l’américain Tom Blake, deux surfeurs mythiques, ayant porté haut l’étendard de la discipline. Ces derniers, unis par une amitié fraternelle, se sont soutenus, comme nos deux amoureux, dans l’effort et l’adversité, dans les creux de la vague. On passe de l’histoire d’amour à l’histoire d’amitié naturellement, tout comme la houle va et vient.

Bien qu’on puisse d’un point de vue extérieur se poser la question de la pertinence du mix des deux éléments rassemblés là, la beauté de cet album est aussi issue de ce très réussi et inexplicable alliage. In Waves était en réalité une commande de l’éditeur Nobrow à Dungo des origines du surf en bande dessinée. L’éditeur touché par l’histoire intime de Kristen et Aj demanda à Aj de faire de cette commande un récit plus personnel. Le résultat est là, surprenant, touchant, sensible, sans pathos, brillant.

Casterman, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Basile Béguerie, 23 €btn commande

molons

 

En raison des Fêtes de Wallonie, la librairie sera fermée ce samedi 14 septembre.

Bonnes fêtes à tous!

 

 

girl edna obrienL'avis de Clémence :

« J'étais une fille autrefois, c'est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeau. Mes entrailles, un bourbier. Emmenée en trombe à travers cette forêt que j'ai vue, cette première nuit d'effroi, quand mes amies et moi avons été arrachées à l'école. »

Cet incipit de Girl annonce la puissance du nouveau roman d'Edna O'Brien. Basé sur l'enlèvement de lycéennes par Boko Haram au Nigeria en 2014, ce texte bref rend hommage et dénonce les atrocités infligées par ce groupuscule extrémiste dans un souffle intense et profond. Impossible de relâcher le rythme de la lecture, la tension est à son comble comme si la vie de cette jeune femme dépendait de notre assiduité à tourner les pages. Bien plus qu'un récit sur un fait d'actualité, Edna O'Brien touche une authenticité à travers une fiction poignante qui, comme pour le personnage principal, Maryam, retourne les tripes, les laissant à l'état de bourbier. Pourtant, une pudeur est constamment mise en place alors que les actes horrifiants et humiliants des bourreaux sont décrits avec fermeté.

L'auteure aborde l'indicible à partir de l'intériorité de cette jeune victime et ainsi permet au lecteur de se projeter et de capter un tant soit peu l'horreur vécue par des centaines de personnes. La quête de recouvrer une liberté volée sera le point de départ d'un espoir sans fin qui raccroche à la vie et le fil conducteur de ce roman. Devenue une femme du « bush », souillée et meurtrie, Maryam et son enfant Babby devront continuer à lutter pour cette liberté, même auprès des leurs. Une vie volée pour une vie donnée, mais deux vies détruites, entre parenthèses et sans identité.

Texte d'une nécessité indubitable, professeurs, parents, amis, famille, ce roman est à mettre entre toutes les mains pour rendre hommage et justice, pour lutter et défendre les valeurs justes qui sont bien trop souvent mises à mal.

Sabine Wespieser, traduit de l'anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, 21€btn commande

conversations entre amis - rooneyL'avis d'Anouk:

La sensation de la rentrée littéraire étrangère vient de Dublin: Sally Rooney, 28 ans tout juste, deux romans qui ont affolé le monde anglophone (son deuxième livre, "Normal People", a reçu en 2018 le titre de meilleur livre de l'année devant celui de... Michelle Obama) et un talent peu commun pour dire ce que c'est qu'être jeune aujourd'hui. 

"Conversations entre amis" arrive donc précédé d'une réputation énoooorme, et l'on comprend immédiatement pourquoi. On trouve à chaque page de ce livre un ton, une fougue, un rythme qui saisissent le lecteur, le malmènent dans ses certitudes et lui offrent la conscience jubilatoire d'assister à la naissance d'un grand auteur. Un surgissement comparable à celui éprouvé à la lecture des Corrections de Jonathan Franzen ou du Sourire de loup de Zadie Smithc'est dire.

On a beaucoup dit que Sally Rooney était la romancière des Millenials, et c'est indéniable. On n'a encore jamais lu comme chez elle le désarroi de cette génération, sa précarité sociale ou affective, sa peur de l'engagement et de la fixité, sa solitude malgré l'instantanéité des échanges sur les réseaux sociaux. Tout est mouvant et fluide: les identités, les places sociales, le sexe.

Et pourtant, malgré cet ancrage éminemment contemporain, "Conversations entre amis" apparaît aussi comme un roman classique, ainsi que son titre le laisse entendre. On y entend la voix de Frances, 21 ans. Étudiante en lettres, elle se produit dans des performances poétiques avec son ex, la pétillante Bobby. "Bobby et moi" sont les premiers mots du livre et ils rythment le texte à plusieurs reprises, tant Frances semble avoir du mal à exister sans Bobby. L'exubérance de celle-ci contrebalance le côté taciturne de Frances, et puis il y a entre elles un fossé économique et social: Bobby vient d'un milieu aisé, Frances d'une famille provinciale en galère. Un soir, à la suite d'un de leurs spectacles de lecture, les deux filles croisent une photographe connue, Melissa. Elle les invite à partager un repas chez elle et leur présente son mari, Nick, comédien célèbre. "Conversations entre amis" est le récit du jeu complexe de relations qui vont se tisser entre ces quatre personnes, deux très jeunes filles et deux trentenaires, deux "débutantes" et deux "héritiers".

En nous plongeant dans leurs histoires d'amour et d'amitié, Sally Rooney touche au plus juste, réussit à nous faire rire juste après nous avoir serré le coeur (et vice versa). Elle fait de sa narratrice Frances un personnage absolument magnifique, à l'intelligence acérée, encline à une autodérision féroce, tout à la fois insolente et tellement cultivée. Frances se montre distante et réservée en toutes circonstances, alors qu'à l'intérieur elle est submergée d'émotions puissantes et contradictoires. Sa voix porte le livre et le contamine de son énergie désabusée.

Et puis, "Conversations entre amis" vient aussi nous rappeler, à l'heure de la communication creuse et de l'ultra moderne solitude, le pouvoir subversif de la parole échangée. Cette parole qui vient remuer le désir, le rend agissant, et change le monde.

Un grand livre, assurément, et une romancière dont on est impatient de suivre la trace.

 

L'Olivier, traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux, 23 €btn commande

Disponible en format numérique ici

Disponible en collection de poche ici

altruistesL'avis d'Adrien :

Andrew Ridker à tout juste 27 ans signe avec Les Altruistes son premier roman, celui-ci publié simultanément  dans 18 pays. C’est peu dire que les éditeurs croient en ce livre. Et ils ont raison, il s’agit d’un coup de maître. Si on peut arguer que le récit est parfois trop construit, parfois trop écrit, on ne peut nier qu’il est le plus souvent très bien construit, très bien écrit.

Les Altruistes ou l’histoire d’un père, Arthur, prof d’université non titularisé. La diminution progressive de ses heures de cours ne l’aidant pas à joindre les deux bouts, il va dès lors tenter de se rapprocher d’Ethan et Maggie, ses enfants, lorgnant sur leur part d’héritage.
Les Altruistes ou l’histoire d’un fils, Ethan, qui sombre depuis 2 ans dans une réclusion lénifiante et onéreuse. L’héritage reçu de sa mère une fois dilapidé, Ethan se retrouve endetté jusqu’au cou. Ethan rêve d’un coup de main de son père.
Les Altruistes ou l’histoire de Maggie, la fille, qui décide de ne pas toucher à l’argent immérité et de vivre plus que chichement de petits boulots ingrats et usants.
Les Altruistes ou l’histoire d’une mère, Francine, qui tenait à bout de bras, vaille que vaille, toute cette famille, ce château de cartes s’effondrant après sa mort.
Les Altruistes ou trois pieds nickelés, du moins deux, surnageant dans le marasme qu'ils ont eux-mêmes créé.

Andrew Ridker nous présente ce petit monde par le menu, son cheminement, et ausculte au scalpel tout ce qui constitue la vie de ces protagonistes quelque peu détestables mais attachants tant on se reconnaît dans leurs petits ou gros travers. Il déroule les idéaux bafoués que peut contenir une vie, comment on imagine les choses, comment on met tout en place pour les atteindre, comment ça se passe dans la réalité. Avec une sociologie et une psychologie imparables, Ridker pousse la littérature à des sommets nous entraînant dans un manège, une course folle, où il nous tend finalement le miroir de notre vie dans ce monde globalisé au sein duquel nous sommes tous un peu perdus et avec lequel on compose.

Rivages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis, 23 €.btn commande