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De livre en livre, Anne Brouillard a construit un univers profondément singulier. Chez elle, la lumière est douce, animaux et humains rivalisent d'attention aux autres et de bienveillance, et souvent, dans le lointain, on entend chanter un train. La nature est omniprésente, une nature envoûtante et laissant place au rêve et à l'imagination.
Avec "Le Pays des Chintiens", Anne Brouillard déploie son univers dans une fresque de grande ampleur. Le premier volet nous a fait arpenter les chemins de "La grande Forêt" en compagnie du chien Killiok et de son amie Véronica: on se souvient avec ravissement du bonheur éprouvé en découvrant cet album hors du commun.
Trois ans après ce premier volet, Anne Brouillard nous invite à découvrir une nouvelle région de la Chintia, ces fameuses "Îles" qui donnent leur titre au livre. On retrouve avec bonheur Killiok, Véronica et Vari Tchésou le magicien. Les chats Mystère et Miroir sont de la partie, et même les Bébés Mousses ont trouvé le moyen de prendre place à bord du Nilvaranda, cet imposant bateau de croisière qui n'arrivera jamais à destination... Mais chut! Gardons le secret sur les aventures et péripéties qui attendent nos amis, et notons simplement que, comme dans "La grande forêt", chacun devra apprivoiser ses angoisses et s'appuyer sur les autres pour grandir.
En cours de route, grâce aux machines fabuleuses du Chat Mystère, Killiok et les autres vont découvrir le Pays Noyé, cet endroit hors du temps, nimbé de silence: un décor véritablement envoûtant. Les illustrations d'Anne Brouillard nous font éprouver toute la magie de ce Pays Noyé dans des pages marquées par une profonde émotion.
On sera moins dépaysé lorsque le Nilvaranda fera escale au Pays Comici. Pour les personnages d'Anne Brouillard en revanche, quelle surprise de découvrir que dans cette contrée vraiment étrange les animaux doivent marcher à quatre pattes et les enfants aller à l'école!
"Les Îles" sont une fabuleuse invitation au voyage, et la promesse d'un enchantement qui dure bien après que résonnent les derniers mots de l'album. Embarquez sans plus attendre!
Pastel, 18 euros
Au départ, il y a des photos. Un petit trésor de photos prises en 1897 par Nils Strindberg lors d'une expédition en ballon vers le Pôle Nord. Strindberg et ses deux compagnons disparaissent tragiquement, et le mystère entourant cette disparition marque les esprits de la Belle Époque: recherches, enquêtes et folles rumeurs hantent durablement la Suède.
Trente-trois ans plus tard, on retrouve les corps des trois explorateurs, le journal tenu par Salomon Andrée, des lettres de Nils à sa fiancée et, miraculeusement préservés dans la glace, des rouleaux de négatifs. Ils seront développés avec mille précautions et ces images miraculeusement sauvées des glaces feront le tour du monde.
Ces photos sont le point d'ancrage du livre d'Hélène Gaudy, fragiles empreintes qui lui font remonter le temps et s'enfoncer dans la profondeur blanche de l'Arctique. Les images sont comme «des paliers pour plonger en apnée, s'enfoncer, reprendre de l'air, s'arrimer aux détails, au minimum visible, et en passant de l'une à l'autre, jeter un regard aux gouffres qui les séparent, dont on ne perçoit qu'une rumeur, à peine un frémissement».
Le roman s'articule en fragments qui s'arriment à trois époques: le temps de l'expédition, le temps de l'exhumation des corps et de la découverte des images en 1930 et le présent de l'autrice. Cette écriture fragmentée fait écho à la mouvance du paysage polaire, où l'eau, la glace, la terre et le ciel se confondent et se transforment dans «la lumière trop forte qui révèle les détails avant de les noyer».
Magnifique méditation sur le temps et l'effacement, Un monde sans rivage rend aussi hommage, dans le contexte si masculin d'une expédition polaire à la veille du 20e siècle, à une figure de femme libre et forte, Anna Charlier, éternelle fiancée de Nils Strindberg dont elle restitue les angoisses et le manque, le deuil impossible. Dans une langue poétique, qui varie les angles de vue et les perspectives, Hélène Gaudy rend vie et justice aux disparus autant qu'au paysage, et nous rappelle que la fascination pour l'Arctique renvoie chacun à cette «zone blanche qu'on porterait en soi comme une île».
Au début, il y a l'étonnement: un livre de Nicole Malinconi qui nous parle des oiseaux, quand tout son questionnement porte sur l'humain et ce qu'il recèle de plus secret, de plus enfoui, de plus retenu.
Et puis l'étonnement s'éloigne dès le premier texte lu – cette intranquillité, ce qui-vive, cette fragilité, c'est bien là le coeur de ce que Nicole Malinconi cherche à atteindre tout au long de son chemin d'écriture.
Observer les oiseaux et restituer leur façon d'être au monde et à la vie, c'est porter l'attention sur l'infiniment petit, c'est mettre des mots sur ce qui semble destiné à ne pas en avoir. C'est aussi donner une forme à ce qui bouge et échappe. C'est un détour du regard pour apprendre à regarder mieux et à voir l'exceptionnel derrière la banalité. L'oiseau est l'incarnation de plus grand que lui: un paysage, la création, la vie. Dans les mots de Nicole Malinconi, l'insignifiance apparente des oiseaux est le miroir de notre propre fragilité. La menace de leur absence souligne les impasses de notre temps, et leur courage, leur obstination, leur ténacité sont comme des invitations à tenir et avancer.
Les textes qui s'égrènent au long de Poids Plumes sont doux et forts à la fois, marqués par une inconditionnelle et lucide bienveillance. Le conditionnel et le futur donnent chair à l'intranquillité, à la sensation de se tenir sur le fil. L'absence de communication entre celui qui regarde et celui qui est regardé n'empêche pas la relation. Et c'est là finalement ce qui semble nourrir chacun de ces textes subtils: tisser fil à fil notre relation à ce qui nous entoure – le monde, les êtres, les traces qu'ils laissent.
En écho aux mots de Nicole Malinconi, les délicates gravures sur gommes de Kikie Crêvecoeur sont un enchantement.
Esperluète, 15 €. À noter que la Revue Textyles consacre son dernier numéro à l'oeuvre de Nicole Malinconi; le dossier est coordonné par Laurent Demoulin et Pierre Piret.
Coup de cœur instantané pour ce Petit Renard, surgi des cartons de nouveautés de la rentrée. La beauté de sa couverture vous attrape au premier coup d’œil, mélange de raffinement et d’étrangeté : un renard, d’un roux fluorescent, hume l’air des dunes et de la plage, et contemple le grâcieux spectacle des oiseaux. Le livre ouvert, l’enchantement ne fait que croître. L’illustratrice hollandaise Marije Tolman, par un magnifique travail de photographies et de dessins superposés, nous précipite dans un paysage de mer du Nord. Un petit renard y déambule joyeusement, découvrant les vagues, imitant un cormoran, contemplant les milles beautés de cet endroit. Ces premières pages sont muettes, sans paroles, mais frémissent de tous les bruits de la nature. On y ressent comme rarement le vent qui souffle, une branche qui craque. Un oiseau qui s'envole. C'est beau. Comme ces deux papillons violets qui surgissent dans le décor et qui font naître le récit.
Les premiers mots se posent alors sur la page et Petit Renard se met à courir, se précipite, croit s'envoler lui aussi mais s'écrase finalement et « ça fait : POUF ! ». Inanimé sur le sable, il rêve. Il se revoit tout petit, découvrant le monde, sa forêt, jouant avec ses frères et soeurs, curieux de tout, des odeurs, des autres animaux. Edward van de Vendel, superbement traduit par Emmanuèle Sandron, écrit sans artifice. Ses mots nous emmènent sans en avoir l'air vers tant de sensations subtiles, imperceptibles. Soudain, le silence se réinstalle, le temps de quelques pages. C'est un garçon, à la rousseur flamboyante, qui pénètre à son tour dans ces si beaux sentiers marins. Il y aura encore le retour des mots, et la suite du rêve. Il y aura le souvenir d'une rencontre, de celles qui peuvent vous changer la vie. Il y aura surtout beaucoup de douceur, d'émotions et de réconfort. L'encre, la peinture, la craie, la photo, les multiples propositions de Marije Tolman émerveillent durablement. Les mots et les silences de cet album continuent, quant à eux, à se murmurer au creux des chemins.
Albin Michel Jeunesse, traduit du néerlandais par Emmanuelle Sandron, 17.25 €