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mika biermann trois joursL'avis d'Adrien :

Si vous êtes ici, et précisément ici, à nous lire, c’est que vous avez un penchant pour la belle littérature, du moins c’est ce que nous aimons à penser. Avide de sensation littéraire, vous êtes sur le bon chemin, celui qui serpente de gauche à droite, de-ci de-là, en haut en bas, à dos d’âne ou même en sabot s’il le faut, et nous fait nous sentir bien, même face à cette tête de mule acariâtre et bourrue de Paul Cézanne. Il se fait que votre serviteur, enfin bon, le petit libraire chroniqueur d’un jour que je suis, en somme bien peu de chose face à une nature morte faite de pommes, celles-ci croquées avec précision et temps par le grand Paul, a lu avant ce très beau texte, et il vous les recommande, le « Vie de Gérard Fulmard » de Echenoz, suivi du « Aftalion, Alexandre » d’Emmanuel Bove et que, sang d’encre, c’était pile le médian à l’apogée qu’il avait entre les mains : le pince-sans-rire fantasque et concis du premier, la misanthropie mélancomique et fataliste du second.

Et voilà qu’on côtoie le solitaire père Paul dans sa campagne aixoise, sa santé de vieil homme, vigoureuse et défaillante, sa paternité qui ne va pas de soi, son mariage qui a toujours été une comète, ses journées, à déjeuner avec un oignon, un quignon de pain, un petit blanc quand il arrive à le dissocier de la thérébentine, sa journée face à la montagne, son chevalet, tout son matériel et la Rotonde, une femme du cru, à la belle dentition et aux mollets ronds. Ses envies, ses frustrations vite digérées, sa communication avec des êtres mythologiques et naturalistes, un faune, le Minotaure, et puis son humanisme, malgré tout ce qui a pu être dire plus haut, à tout crin. Après les récentes parutions en poche de l’expédition antarctique ratée « Un blanc », ultra comique, et du western donquichottesque « Booming », ultra quantique, tous deux ultra magnifiques, n’oublions pas « Un roi », pas encore lu ici mais sur la PAL, Biermann nous offre cent pages de grâce, une vie, une œuvre, de la littérature en trois jours, en trois heures.

Anacharsis, 12 €btn commande

sisyphe est une femme - brisacL'avis de Régis:

"Quand quelqu'un évoque ses lectures et qu'il n'évoque que des livres écrits par des hommes, ceux qui l'ont fait ce qu'il est, ceux à qui il est reconnaissant, ses pères et ses modèles, personne ne relève cette univocité. Le masculin est le général. Le féminin reste le particulier.
J'ai observé que si on ne parle que de femmes, le soupçon est instantané. Alors va pour le soupçon. J'accepte d'être soupçonnée de sectarisme, critiquée pour dogmatisme, accusée de penser pour ma moitié du monde".

Geneviève Brisac, sous la fière couverture rouge de cet essai-manifeste, interroge l'invisibilité persistante, dans le paysage littéraire, des oeuvres de femmes. Elle s'appuie pour cela sur une dizaine de portraits d'écrivaines, ciselés avec son regard pénétrant, bienveillant et impertinent.

De Marguerite Duras à Viviane Gornick, de Ludmila Oulitskaïa à Alice Munro, elles sont venues, elles sont toutes là, et c'est une fête pour la pensée.

L'Olivier, Les Feux, 17 eurosbtn commande

harpo - viscogliosiL'avis d'Anouk:

Harpo, clown lunaire, est le plus intrigant des Marx Brothers. Muet dans chacun de leurs films, toujours affublé d'une perruque et d'une ribambelle d'accessoires loufoques, il doit son surnom à ses talents de harpiste. Autour de cette star méconnue, Fabio Viscogliosi tisse une touchante vie minuscule, un texte précieux dont la légèreté, la poésie et la finesse font un parfait antidote à la morosité.

Pour approcher la vérité de son personnage, Fabio Viscogliosi choisit le détour par la fiction: dans ses Mémoires, Harpo rapporte le voyage qu'il fait dans l'URSS de 1933, un voyage qui tient de la tournée triomphale mais ne va bien sûr pas sans considérations politiques. Au retour de ces semaines russes, Harpo embarque au Havre à destination des États-Unis. C'est là que Fabio Viscogliosi vient s'emparer de notre héros, imaginant que Harpo, ses bagages laissés à la consigne, loue une voiture et poursuit son échappée solitaire par une pérégrination à travers les campagnes françaises.

Et puis c'est l'accident, le long séjour en hôpital, l'amnésie.

Harpo est, littéralement, sorti du cadre. Sans ses frères, ses agents, le petit monde d'Hollywood, qui est-il vraiment? Perdu au coeur d'un pays dont il ne connaît pas la langue, il partage la vie des paysans qui l'accueillent et le mettent au travail. Cela lui convient bien: «de son propre aveu, il serait plutôt quelconque et transparent, l’idéal selon lui étant peut-être de réussir à se fondre dans le paysage, à l’instar d’un brin d’herbe ou d’une feuille emportée par le vent». De sa vie d'avant, celle de la gloire et des lumières d'Hollywood, il lui reste un charisme peu banal, une capacité à tout exprimer sans passer par les mots, une éternelle innocence, «voilà, de l’innocence, sans quoi, nous irons tout droit dans le mur».

On n'en dira pas plus de ce qui attend Harpo sous la plume délicate de Fabio Viscogliosi, histoire de ne pas ternir la grâce de ce livre bref et exquis, ode à l'errance, à la liberté, et aux facéties de la mémoire.

 

Actes Sud, "Un endroit où aller", 17 €harpobtn commande

batir aussiL'avis d'Edith:

"Bâtir aussi", c’est ce que les plus optimistes révolutionnaires parmi nous n’ont même jamais commencé à imaginer. "Bâtir aussi", c’est la vie, concrète, pourrie et merveilleuse, débarrassée du capitalisme et des entraves qui vont avec. Ce quotidien, les Ateliers de l’Antémonde nous en proposent des morceaux dans ce livre de nouvelles résultat d’un travail d’écriture collective.

A travers ces bouts d’une société qui déconstruit et se redéploie en tentant de mettre à bas les dominations, "Bâtir aussi" nous offre des bouffées d’air frais. Certes, il s’agit d’ «utopies pourries», car non, tout n’a pas miraculeusement changé en dix ans, sexisme et fâcheux n’ont pas disparu en 2020. Mais l’Haraka et ses nouvelles sociétés tentent de faire avec, et surtout sans. Au final, le livre entrouvre un horizon de questions inspirantes et perturbantes (Comment on se déplace désormais? Comment on fait avec l’énergie limitée?), et surtout, surtout, tellement désirable.

Certain.e.s d’entre nous connaissaient peut-être déjà la célèbre phrase de Durruti : "Nous portons un monde nouveau dans nos cœurs". Mais qui savait que la phrase entière, qui commence le livre, est celle ci ? : "Nous n’avons pas peur des ruines. Nous sommes capables de bâtir aussi. Nous portons un monde nouveau dans nos cœurs".

Cambourakis, collection Sorcières, 12 €btn commande

lanny - porterL'avis d'Edith:

Dans ce nouveau bijou de Max Porter, nous sommes dans un village de campagne. La vie est moderne, mais les pierres et les arbres y ont toute une histoire, habitée d’âme ferme par le Père Lathrée-Morte, légende parmi les légendes, qui se fond en toute chose et se nourrit des voix qui bruissent et des discussions qui crépitent.

Dans ce village, il y aussi Lanny, petit garçon fantasque et joyeux. Le reste, c’est le métro-boulot-dodo qui rencontre le mythe, avec Lanny comme pont entre les deux.

Dans un registre plus lumineux que "La douleur porte un costume de plumes", Max Porter trempe à nouveau sa plume dans une encre onirique, en parsème le quotidien et en réenchante les coins. Sa langue est poétique, ses personnages savoureux et magiques. On aime le Père Lathrée autant qu’il nous fait peur, et on voudrait tou.te.s bien avoir un petit Lanny comme voisin.

Traduit de l'anglais par Charles Recoursé, Le Seuil, 20 €btn commande