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La rivière en hiver est un recueil de huit nouvelles qui restera longtemps gravé dans la mémoire des lecteurs. Mêlant aventures humaines et rencontres avec la faune sauvage, tous les sens sont en éveil. Rick Bass nous offre un souffle d’air frais, un bain de forêt enneigée, un froid revigorant, une chasse à l’élan, un Pick Up englouti dans les flots d’une rivière, une peur soudaine d’être dévoré par un cougar, une plongée dans les entrailles de la terre, et revisite le lien entre l’homme et la nature, parfois hostile mais pourtant si somptueuse.
À travers un retour sur les vices et la violence dont l’homme est parfois imbibés, le lecteur se réfugie dans les paysages décrits pour apaiser cette noirceur par l’émerveillement. On entendrait presque Rick Bass nous murmurer à l’oreille que le salut se trouve dans la nature et qu’il ne faut pas en rater une miette: « Comment quiconque ose-t-il dormir ne serait-ce qu’un instant ? ». La beauté est partout autour de nous et Rick Bass s’en saisit et l’immortalise avec brio.
Ce sont aussi des nouvelles de portraits de vies, anodines en surface, mais qui représentent la réalité du quotidien et ravivent, telle une madeleine de Proust, des émotions déjà ressenties. Pourtant, Rick Bass parvient continuellement à nous surprendre là où nous croyons avoir décelé son univers. Chaque nouvelle nous enveloppe et nous fait voyager à travers des horizons sauvages sans cesse revus, redécrits, reparcourus et complétés. Avec du suspens aussi, des émotions fortes et la peur du monde sauvage qui rythment le texte et comment l’homme tente de s’y imbriquer tant bien que mal, parfois à la limite avec la mort. C’est une infinie splendeur de paysages et de mots dont Rick Bass est le passeur. Il déploie l’âme humaine autant que l’âme de la Terre avec le talent des conteurs d’histoires qui nous embarquent au coin du feu et avec qui on ne voudrait jamais arriver à destination.
Bourgois, traduit de l'anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent, 20.50 euros
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Début 2019, la colère sociale gronde sous des camisoles jaune fluo aux quatre coins de France. Hervé Le Corre plonge son lecteur dans les tréfonds d’une Bordeaux – sa ville – grise et détrempée.
Plusieurs trajectoires s’y entremêlent.
Le commandant Jourdan, de la crim’, est un flic à la dérive. Continuellement confronté à une violence macabre, il est embourbé, mutique, il s’éteint et s’éloigne inexorablement de sa femme et de sa fille. Branché depuis trop longtemps sur une enquête de féminicides, il erre jour et nuit dans les bas-fonds de cette métropole poisseuse, tantôt chasseur de macs, tantôt prédateur de trafiquants et de criminels sordides. Puis un jour, il croise Louise…
Louise est une mère célibataire trentenaire. Fille d’enseignants décédés accidentellement, ancienne toxicomane, elle parvient à joindre les deux bouts en travaillant comme aide-soignante à domicile auprès de personnes âgées dévorées de solitude. Elle élève seule son petit garçon, unique être capable d’enchanter un quotidien rongé par l’angoisse permanente. Louise est harcelée et violentée par son ex. C’est ainsi qu’elle croise Jourdan.
Christian est un être inepte et banal. Élevé dans la fange par une mère abjecte, une rage destructrice et une soif de domination l’habitent.
Chacun d’entre eux traverse sa nuit, glaciale et infinie.
L’écrivain, loin d’être à son coup d’essai, aborde avec beaucoup d’intelligence des sujets graves et brûlants: sexisme, domination masculine, violences conjugales... Son écriture est ciselée, poétique même – comme des faisceaux de beauté au cœur des ténèbres. Mais surtout, la structure psychologique des personnages est d’une telle justesse que leur désarroi retentit en dehors de la lecture ce qui, selon moi, reste l’un des ingrédients premiers d’un grand roman. Voici un polar déroutant, terriblement intense. Pour les amateurs du genre et tous les autres, de l’excellent Le Corre, donc.
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Eduardo Halfon écrit des livres qui font rimer brièveté et intensité. Avec "Canción", il ajoute une nouvelle pièce à une œuvre qui se joue des codes de l'autofiction. Le roman débute à l'aéroport de Tokyo. Eduardo Halfon est invité par une université japonaise à intervenir dans un colloque consacré aux écrivains libanais. Lui, l'écrivain guatémaltèque qui vit entre les États-Unis, l'Espagne et la France. Il croit d'abord à une méprise, voire à une plaisanterie. Puis ouvre l'armoire aux souvenirs et y trouve "le déguisement libanais – parmi tant d'autres déguisements – hérité de mon grand-père paternel, natif de Beyrouth".
Commence alors une traversée à la rencontre de ce grand-père craint et adulé. En chemin, Eduardo Halfon revisitera à la lumière de ses souvenirs d'enfant le fabuleux Alcazar que ce riche homme d'affaires s'était fait construire dans son pays d'adoption. Il écoutera les confessions d'une guerillera qui a participé en 1967, dans un Guatemala rongé par la guerre civile, à la prise d'otage de son grand-père. Il reconstituera aussi, à travers l'histoire de ce "Libanais qui n'était pas libanais", l'histoire sanglante de l'Amérique centrale.
Eduardo Halfon réussit à faire tenir en très peu de pages des histoires, des temps, des lieux extrêmement différents: un édifice certes extravagant mais empreint de grâce. Artiste de l'illusion et de la pirouette, il embarque son lecteur dans une passionnante réflexion sur le prisme des identités emmêlées, assumées et réinventées. Et nous offre au passage une jolie leçon de photographie, ou de littérature, à moins que cela soit une leçon de vie tout simplement: " le photographe Cartier-Bresson, pour déterminer la valeur artistique d'une de ses images, avait coutume de la retourner, tête en bas, pour la regarder à l'envers".
La Table Ronde - Quai Voltaire, traduit de l'espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, 15 euros
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Un écrivain – Eduardo Berti – tente d'écrire un roman sur un autre écrivain, un certain Józef, jamais nommé, mais dans lequel il est aisé de reconnaître Conrad. Conrad, le voyageur des mers qui s'est de lui-même exilé au cœur des terres anglaises. Conrad, le Polonais élevé en français qui n'aurait peut-être pas écrit si la langue anglaise ne "l'avait adopté".
Le détour par Conrad, Eduardo Berti s'en rend compte rapidement, est une façon pour lui de s'approprier son histoire familiale. Un détour qui permet d'éclairer quelques pièces du puzzle qu'est toute vie. C'est que, comme Conrad, le père d'Eduardo Berti s'est établi dans un pays (l'Argentine) et dans une langue (l'espagnol) qui n'étaient pas les siens mais ceux où il avait choisi de se réinventer. Comme Conrad, le père d'Eduardo Berti a changé de nom, "une sorte de chirurgie esthétique" qui annihile son passé. Comme Conrad, c'est à sa langue maternelle qu'il revient dans les moments de souffrance, et personne autour de lui n'est alors en mesure de le comprendre. Pour ses proches, cette langue enfouie est comme un "membre fantôme", la trace d'une amputation mystérieuse.
Ainsi se tisse, sur la trace du livre aimanté par Conrad, un second récit qui tourne autour de ce "père étranger" rétif à livrer ses secrets et semant pourtant sur le chemin de son fils des cailloux que celui-ci hésite à ramasser. Tant d'incompréhensions, d'hésitation, de méfiance qui sont aussi de poignantes façons de dire l'amour entre un père et son fils. Les émotions sont là mais la pudeur canalise leur houle, "parce que la pudeur, Józef le répétait souvent (...) était le dernier refuge de l'écrivain: rien de plus humiliant ou de plus triste qu'une émotion qui n'émeut pas".
Eduardo Berti est membre de l'Oulipo et son roman est assurément un "ouvroir", un laboratoire où fusionnent en une facétieuse alchimie l'intime et l'universel, la lecture et l'écriture, les vivants et les fantômes. La profonde humanité de ce "Père étranger", la réflexion sur les mille et une facettes de l'exil, la virtuosité de la composition qui déploie avec fluidité de nombreux fils narratifs, l'humour tantôt joyeux tantôt déchirant qui irrigue chaque page: tout dans ce livre émeut, tout enchante, tout donne à penser.
La Contre Allée, traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 23 euros
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Les Éditions de L’Olivier ont 30 ans en 2021 et on compte bien fêter ça chez Point Virgule!
Cette maison occupe une place de choix dans nos vies de libraires. Elle incarne la littérature que nous aimons, que nous défendons. Elle édite des autrices et des auteurs qui sont devenus, au fil du temps, nos compagnons de route. Les liens qui nous unissent à cette maison et à celles et ceux qui l’habitent sont profonds et multiples, ils donnent du sens à notre métier.
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