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TVACe samedi 15 avril, nous fêterons comme chaque année la Fête de la librairie indépendante lors de la Sant Jordi.

Cette année, la fête est aussi l'occasion de s'engager pour un combat important pour tout l'écosystème du livre: dire NON au projet de TVA à 9% sur le livre.

La TVA sur les biens culturels est actuellement fixée à 6%. L'augmenter de 3% représenterait un gain mineur pour les finances de l'État (7 à 8 millions d'euros), mais mettrait en péril toute l'économie si fragile du livre. Comme 85% des livres vendus en Belgique viennent de France (où la TVA est fixée à 5.5%), le différentiel de taxe nous ferait faire un grand bond en arrière. Après des années de combat et une loi sur le prix unique du livre obtenue de haute lutte, nous reviendrions au temps où les livres étaient vendus plus cher en Belgique qu'en France. Pour les libraires belges, c'est inenvisageable: ce serait pour eux une perte de compétitivité par rapport aux multinationales de la vente sur internet.

Jusquà la bêteL'avis de Maryse:

Ça se passe fin des années 2010 dans un abattoir, zoning industriel de la banlieue d’Angers. Erwan y est ouvrier à temps plein. Il turbine dur dans le froid pinçant des frigos, parmi les innombrables carcasses de vaches qui avancent à la queue-leu-leu. CLAC. Elles s’entrechoquent sur les rails. CLAC. Ça ne s’arrête jamais. CLAC. On doit accélérer la cadence. CLAC. On patauge dans des litres de sang. CLAC. Il ne faut pas penser, il faut bosser. CLAC. Pour alimenter l’ogre de la grande distribution, remplir ses rayons de barquettes de brochettes et de steaks hachés.

Sa vie à la chaîne – la même que celle de tant d’autres – est légèrement agrémentée des discussions gaillardes entres collègues galériens, des coups de gueules féroces des comparses syndicalistes, de quelques godets descendus après la pause au bistrot, des congés que, tout au long de l’année, on ne fait qu’attendre comme une délivrance. Puis, il y a Laetitia, une jeune saisonnière d’été, dont Erwan tombe amoureux : la trouée de lumière sur la grisaille du quotidien. De son enfance et de son adolescence restent les souvenirs d’un père tyrannique, des cours séchés, des virées avec le frangin tant adoré. Et il y a les angoisses. Mordantes. Celles qui le conduiront à commettre l’irréparable.

Jusqu’à la bête est un roman social contemporain puissant. Au-delà du parcours particulier d’un personnage tiraillé, complexe, bosselé et brossé à la perfection, c’est la condition ouvrière d’aujourd’hui qui est ici interrogée et examinée. C’est la France de province, ses petites mains, ses travailleurs pauvres, les vies compressées des laissés pour compte du néolibéralisme. Enfin et surtout, dans ce texte engagé, le lecteur est brutalement confronté à une écriture singulière, lacérée, efficace et incisive. Timothée Demeillers : une voix – des sans voix – hors norme, à lire de toute urgence.

Jusqu’à la bête est paru aux Éditions de l’Asphalte en 2017. Sa version de poche vient juste de sortir chez le même éditeur.

Extrait choisi :

Au moins deux ou trois ans, je me disais.

Au moins deux ou trois ans de retraite. Je ne demande pas vraiment plus. Deux ou trois ans. Et être encore suffisamment en forme pour profiter. Pour oublier tout ça. Après, je peux crever. Mais qu’on me donne au moins ça. Au moins ces quelques années de retraite. C’est ce qui se dit, à l’abattoir. Pour les rares qui réussissent à l’atteindre intacts. Ceux que les mêmes gestes répétés à l’infini sur quarante ans n’ont pas trop amochés. Les mêmes gestes. Les mêmes mouvements du corps. Les mêmes muscles qui travaillent. Les mêmes tendons, les mêmes os. Les mêmes os qui, au fil du temps se déforment, se calcifient. On devient des formes de mutants, à travailler à la chaîne. On devrait étudier ça en anatomie. Le corps d’un ouvrier à la chaîne. Les transformations du corps d’un ouvrier à la chaîne. Les douleurs. Les maux. La journée, ça va encore. Parce que les muscles sont chauds. Parce que les tendons sont chauds. Mais une fois au repos. La nuit. Les douleurs apparaissent. Les sales douleurs de trop répéter les mêmes mouvements mécaniques. Avec l’angoisse croissante de se dire que demain ça n’ira que plus mal. Parce qu’il faut y retourner. Il faudra recommence. Il faudra altérer son corps un peu plus encore. Et ne rien dire. Et se taire. Jusqu’à ce qu’on craque. Jusqu’à ce que le corps dise stop. Jusqu’à ce que la tête dise non. Les mêmes gestes, heure après heure. Jour après jour. On demandera peut-être un changement de poste. Un changement de poste qui veut juste dire un changement de geste. Aller abîmer un peu l’épaule après avoir bousillé le poignet. Quand le muscle, le tendon, l’os devient trop irrécupérable. Alors terminer sans encombre jusqu’à la pleine retraite, c’est l’aspiration de tous.

Tout comme quelques années de paix après l’usine.

Juste quelques années de retraite.

Asphalte/poche, 10€.

Disponible en format numérique ici. btn commande

 

renata sait tout faire
 
L'avis de Maryse:
 
Ho chouette, notre amie Renata est de retour !
 
Renata sait tout faire, c’est vrai, et elle nous le prouve dans ces deux nouvelles aventures. Plus intrépide que jamais, la sagace héroïne y défie, grâce à son imagination débordante, à son audace et à un caractère bien trempé, les difficultés auxquelles peut être confronté un enfant de 5 ou 6 ans.
 
Dans "Renata cheffe étoilée", elle enfile vaillamment son tablier, parcourt les cuisines du monde entier et surtout, avec un peu de créativité et beaucoup de gourmandise, telle une vraie cheffe, elle parvient à sublimer les exécrables courgettes du souper.
 
Dans "Renata dompteuse de tigre", elle apprivoise courageusement une tigresse – et donc aussi sa peur, en fait – et avec son fauve, elle organise la révolution contre la dictature des grands dans la cour de récré.
 
Bref, nous retrouvons ici, pour notre plus grand plaisir, ce petit bout de femme qui en inspirera certainement plus d’un.e, dans un album rempli de couleurs, de sourires et de tendresse.
 
Dès 4 ans.
 
Giboulées, Gallimard Jeunesse, 14.50€.
 

killiok brouillardL'avis d'Anouk:

Un nouvel album d’Anne Brouillard pour célébrer le printemps qui arrive, cela nous met en joie !

D’autant qu’on y retrouve notre ami Killiok. Ce chien pas comme les autres, grand lecteur et amateur de café, nous le connaissons depuis longtemps. Avec sa comparse Véronica, il est le plus célèbre habitant du Pays du Lac tranquille et nous a embarqués dans ses aventures à travers La grande forêt et Les îles.

Pourtant, Killiok n’a rien d’un baroudeur – il serait plutôt du genre casanier. On le comprend, sa maison est si jolie. Posée au bord du lac, elle déborde de lumière quand le printemps montre son nez. Et c’est précisément la lumière du soleil qui vient réveiller Killiok au début de ce nouvel album. Avec le printemps vient l’envie de se lancer dans de grands travaux: et si Killiok construisait une terrasse, qui lui permettrait de profiter mieux encore de son jardin et de la vue sur le lac? Au travail!

Killiok mesure, dessine, se pose mille et une questions. Une terrasse, c’est une bonne idée, mais ne va-t-elle pas perturber la vie des hôtes minuscules du jardin, cette adorable souris, les insectes par milliers et les herbes sauvages?  Killiok hésite, le chat Mystère réfléchit avec lui, un autre ami sera bientôt là. C’est la vie comme elle va, comme elle vient: on verra demain.

Si Anne Brouillard n'a pas son pareil pour peindre les paysages hivernaux, sa palette prend dans cet album printanier un généreux coup de soleil et la lumière irradie page après page. Les grandes images comme les détails infimes: tout se pare d’un éclat intense, des premiers rayons du matin au coucher de soleil sur le lac. L'album est un éblouissement.

Killiok est un album d’une grande douceur, sans esbrouffe. Il nous invite à être heureux là où l’on est, à prendre soin de l’infiniment proche, à profiter de chaque instant. Une leçon de sagesse à hauteur des tout-petits dont les grands pourraient aussi s’inspirer...

 

Pastel/L'École des Loisirs, 13.50 euros

 

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contro corrente chantal veyL'avis d'Anouk:

C’est un livre qui ne ressemble à nul autre, palimpseste d’un texte vieux de soixante ans subtilement réinterprété à la lumière de notre aujourd’hui. Contro-corrente est tout à la fois un livre de photographe et un long poème, une exploration intime et un récit de voyage en Italie, une réflexion sur l’image et un hommage à un artiste qui, par-delà les décennies, reste une balise incontournable – Pier Paolo Pasolini.

La longue route de sable raconte le voyage que Pier Paolo Pasolini entreprend l’été 1959 : rejoindre Trieste au départ de Vintimille, en longeant le tracé des côtes italiennes. Entre une extrémité et l’autre, Pasolini regarde son pays, ses paysages, les hommes qui les habitent. Il dit l’industrialisation à marche forcée et comment la nature lui résiste. Il déploie, comme toujours, une clairvoyance proprement sidérante et chacune de ses pages est traversée de fulgurances poétiques.

Ce voyage devenu mythique a déjà été revisité par le photographe Philippe Séclier dans un livre magnifique, qui est aussi la première édition en français du texte intégral de Pasolini (Éditions Xavier Barral, 2005). Le projet qui anime la photographie Chantal Vey est d’une autre nature, plus intime et plus inquiète. Chantal Vey met elle aussi ses pas dans ceux de Pasolini mais elle le fait à rebours, partant de Trieste pour suivre la route à contre-courant. Le dispositif qu’elle met en place s’articule autour de trois voyages qui ont tous pour terme cette plage d’Ostie où le poète est assassiné en 1975. Les images de chaque voyage sont bordées de mots : une rencontre avec un témoin de l’aventure pasolinienne pour ouvrir le chapitre, et des extraits du journal de voyage de Chantal Vey.

On se plonge rarement un livre dont la maquette est aussi soignée et singulière. Les photos jouent sur des échelles différentes, modulant notre regard. Les images en pleines pages alternent avec des diptyques, des triptyques, des jeux de superposition. On ne trouve guère trace de présence humaine dans les photos de Chantal Vey : le temps est suspendu, les formes s’inscrivent dans une solennité silencieuse et presque mystérieuse. L’artiste joue aussi avec la transparence, qui transforme certaines images, imprimées sur un papier au grammage plus fin, en empreintes évanescentes. Et puis il y a ces découpes qui créent autour des mots de Pasolini comme un abri, une cachette de papier.

Contro-corrente est un livre à l’affut des émotions, des éblouissements, de la beauté qui demeure. Les photographies de Chantal Vey sont de la famille de ces images-lucioles dans lesquelles Georges Didi-Huberman voit des espaces de résistance à la course folle de notre époque.

Éditions Loco, 29 €

contro corrente vey