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Dans l’Espagne des années 1930, un jeune utopiste s’engage du côté franquiste pour des idéaux qui le dépassent. Manuel Mena, incarnation type de la jeunesse révoltée, trouvera la mort au combat durant la bataille de l’Ebre en 1938. Grand-oncle de Cercas, l'auteur se plonge dans l'histoire familiale et remet en question l’idéologie de cet homme dû à son engagement rapide et extrême en menant une enquête approfondie. Toute la question résidera dans le choix d’écrire un roman sur un individu luttant pour les mauvaises causes sans l'ériger au rang de héros. Cercas optera pour la prise de distance constante et la justesse des faits rapportés. Roman d’investigation, l’auteur affronte les fantômes du passé s’entourant de personnes fortes telles que sa mère ou encore le réalisateur et écrivain Trueba. Une vieille maison familiale dans un petit village d’enfance sera le point de chute de toutes ses révélations et le socle qui permettra à Cercas d’assumer les responsabilités de ses ancêtres. Un dilemme se profile devant lui: ne pas dévoiler ce passé honteux ou témoigner pour prendre part à l’Histoire. Il choisira finalement de rendre ses recherches publiques. La mémoire individuelle de Cercas apporte alors un éclairage à la mémoire collective et, par cet engagement, donne voix à toutes les victimes. Dans une époque où l’Espagne est encore en reconstruction suite à cette guerre Civile, la littérature devient une source de réconciliation et d’acceptation du passé tout en responsabilisant les coupables. Le Monarque des Ombres s’inscrit donc dans cette littérature post-traumatique qui joue un rôle cathartique tout autant pour Cercas que pour la société espagnole. L’indicible et la honte sont deux barrières que l’auteur dépasse merveilleusement bien à l’aide d’un langage historique et de multiples témoignages. Ce récit autobiographique touchant ouvre les portes d’une histoire intime et nationale qui nous tient en haleine du début à la fin et nous éclaire sur des passages sombres et cachés d’une période marquante.
Actes Sud, traduit de l'espagnol par Aleksandar Grujicic, 22,50 €
Livre après livre, de L’histoire de l’amour à La grande maison, Nicole Krauss poursuit une réflexion profonde sur l’essence-même de la littérature. Le doute, la perte, le souvenir, ce qui se dérobe, échappe et tente de se dire, tout cela est encore, et plus que jamais, au cœur de Forêt obscure.
Titre polysémique, obsédant et mystérieux, pour un livre qui se lit comme on vit une expérience à la fois belle, douloureuse, étrange et révélatrice.
Deux récits s’y entrecroisent: l’un (en « il ») autour de la disparition à Tel-Aviv d’un riche américain d’âge mûr, l’autre (en « je ») centré sur Nicole, auteure new-yorkaise en vue, fuyant en Israël un mariage qui se meurt et une panne sèche d’écriture.
Il y a certes des échos entre ces deux personnages, ces deux destinées mais Nicole Krauss ne s’en contente pas pour faire vivre son intrigue. Nous suivrons ces deux-là jusqu’au bout de leur quête, traversant villes, déserts et forêts profondes. Deux expériences de la fuite mais aussi, et surtout, d’un bouleversement, d’une « métamorphose ».
Krauss interroge les limites du réel et de la fiction, voire de l’autofiction, comme lorsque Nicole (le personnage) ressent épisodiquement l’existence d’univers parallèles, d’autres possibles. Ou lorsqu’un troisième personnage, Kafka lui-même, vient hanter les pages de ce roman, comme pour nous faire entrevoir un autre temps, un autre espace. La présence fantomatique du grand écrivain ouvre encore d’autres voies à notre façon de lire le réel.
Roman onirique, mystique, psychanalytique où la forêt est omniprésente, symbolisant tout à la fois le sentiment de perte et d’égarement mais aussi la protection, le repli, la « chambre à soi », un lieu de régénération. Forêt obscure est un livre rare, qui réussit tout à la fois à nous guider et à nous perdre. Un véritable chef-d’œuvre.
Nicole Krauss est LA grande auteure américaine de notre temps !
Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Paule Guivarch, 23 €
"Elle éprouvait un sentiment étrange et très fort: elle, Nora, la seule et unique Nora, voguait sur un fleuve avec derrière elle, se déployant en éventail, ses ancêtres, trois générations de personnes immortalisées sur des photos, avec des noms qu'elle connaissait, et derrière eux, dans les profondeurs de ces eaux, une suite sans fin d''ancêtres anonymes, des hommes et des femmes qui s'étaient choisis par amour, par passion, par calcul, sur l'injonction de leurs parents, qui avaient produit et protégé une descendance, et ils étaient une multitude immense, ils peuplaient toute la terre, les berges de toutes les rivières, ils croissaient et se multipliaient afin de la produire elle, Nora, et elle, elle produisait son seul et unique Yourik, et lui produisait encore un petit Jacob, et cela donnait une histoire sans fin à laquelle il était si difficile de trouver un sens, bien qu'il palpitât clairement en un fil ténu".
Dans un pays qui s'appelait encore l'URSS, une généticienne se voit du jour au lendemain congédiée de son institut de recherche. Son crime ? Les autorités ont découvert que sa machine à écrire a servi à copier des samizdats. Rendons grâce au zèle de la police soviétique, prompte à traquer les âmes dissidentes : nous lui devons la naissance d'une immense écrivaine.
De Ludmila Oulitskaïa, il faut tout lire. Ses nouvelles, admirables. Ses romans brefs, sublimes. Ses chroniques, percutantes. Et plus que tout il faut lire ses amples fresques, Sincèrement vôtre, Chourik, Le chapiteau vert ou aujourd'hui L'échelle de Jacob. L'intelligence romanesque qui s'y déploie, leur exceptionnel sens du détail, les vies rugueuses et tourmentées que l'on y croise – tout dans les livres de Ludmila Oulitskaïa nous fait éprouver, au sens le plus fort, notre appartenance à la famille des hommes.
L'échelle de Jacob qui paraît aujourd'hui retrace un siècle de destins tissés avec brio. Le roman s'ouvre en 1975, une époque où le cours de l'histoire semble s'être figé en URSS. Nora vient d'avoir un fils, sa grand-mère meurt, une malle en osier et les lettres qu'elle contient passent de l'une à l'autre. Dépositaire de l'histoire de ses grands-parents, Nora mettra toute une vie à déplier les secrets qu'elle recèle. Et nous voici embarqués à ses côtés pour un voyage époustouflant, où il sera question d'amours entravées, d'illusions perdues, de courage et de liberté, de solidarité et de trahison. Autant de questions qui étaient déjà au cœur du Chapiteau vert, et qui prennent ici une dimension plus bouleversante encore lorsque l'on comprend que l'histoire de Nora et des siens est, à peine transposée, celle de la famille de Ludmila Oulitskaïa.