L'album jeunesse, c'est un espace de liberté. Et quand on s'en empare avec la maestria, l'intelligence et l'ironie d'Olivier Tallec, cela donne des livres irrévérencieux et indispensables – des classiques sur lesquels le passage du temps n'aura pas de prise.
En attendant les barbares est un album qui interpelle. Dans une ville qui ressemble aux nôtres, la rumeur enfle: "on dit que les Barbares arrivent aujourd'hui". Le bruit se propage, mais qui sont ces barbares? Et d'où viendront-ils? De la forêt inquiétante, ou depuis les montagnes silencieuses, à moins que ce ne soit en descendant la rivière? Pour parer à l'invasion, les citoyens sortent les canons, hissent les drapeaux et arborent leurs plus belles médailles. Cela suffira-t-il à effrayer les envahisseurs?
Pour affronter les terribles barbares, les personnages d'Olivier Tallec semblent bien dépourvus. Ils sont petits, portent de drôles de chapeaux et leurs épées ressemblent à des jouets de bois. Leurs repères sont ceux des enfants: le déjeuner, le goûter, une fête d'anniversaire. Même s'ils sont d'humeur bagarreuse, on pressent que les barbares ne feront d'eux qu'une bouchée.
À mesure que le temps passe, l'inquiétude sourde du début se mue en agacement: ah, ces barbares, "on ne peut pas compter sur eux". Et l'agacement devient déception quand il devient certain que l'ennemi ne viendra pas. Alors une autre rumeur se met à circuler: peut-être "que les barbares n'existent pas, quon les a inventés et que ça ne sert à rien de les attendre". Adieu les armes et les médailles, qu'allons-nous faire sans les Barbares?
Avec cet album en forme de fable malicieuse, Olivier Tallec donne à réfléchir sur la manipulation de l'information, sur le besoin de se créer des adversaires pour montrer sa force, sur l'envie d'en découdre qui parfois s'empare des hommes (sous les hauts chapeaux et les uniformes, y a-t-il d'ailleurs une seule fille dans cet album?). L'histoire est troublante tant elle résonne avec l'actualité et décrit finement des ressorts qui sont autant ceux des cours de récré que de notre époque belliqueuse. Et comme toujours avec Olivier Tallec, il y a une morale à tout cela. La dernière double page, dont on ne dira rien pour en conserver la surprise, est absolument réjouissante.
Avec En attendant les barbares, Olivier Tallec poursuit une œuvre épatante, où philosophie et drôlerie s'entremêlent avec une parfaite élégance.
On adore!
L'École des Loisirs / Pastel, 16 euros
D'autres chroniques autour des albums d'Olivier Tallec sur notre site: Serpent bleu, serpent rouge, Le roi et rien, Un peu beaucoup