Nous ne parlons pas ici de Maurice Maeterlinck, d’Émile Verhaeren ou de Marie Gevers qui, certes, originaires du nord de la Belgique, demeurent des monuments des lettres du Plat Pays… mais qui écrivaient dans la langue de Molière! Nous souhaitons plutôt évoquer les voix des écrivains belges flamands de lettres néerlandaises.
Car oui, il va sans dire, et en dépit de tout ce qui nous éloigne étrangement d’elle ainsi que de notre méconnaissance confessée, que la Flandre possède pléthore d’écrivains, et que certains d’entre eux sont traduits en français (et parfois même dans une dizaine d’autres langues).
La barrière entre les littératures francophone et néerlandophone de Belgique est, on le sait, due à la situation historique et actuelle de notre cher pays alambiqué. Et pourtant, il faut le rappeler, la littérature belge est aussi, et surtout, tramée de mots en néerlandais.
Aussi, que ce pan des lettres belges soit ici mis à l’honneur à travers une mince, non exhaustive – évidemment –, mais bien jolie sélection de romans flamands traduits en français.
Lize Spit
Originaire d’Anvers, Lize Spit s’est fait connaître de notre côté de la frontière linguistique avec le captivant et un poil choquant Débâcle (Actes Sud, 2018), un roman initiatique situant son intrigue au fin fond d’un village rural flamand, avec une écriture efficace, pragmatique et hyperréaliste.
L’autrice nous revient tout récemment avec Je ne suis pas là (Actes Sud, 2023), un roman psychologique dur, intime et haletant, qui décrypte les déroutes et les conséquences que la maladie mentale peut faire subir à un couple.
Les romans de Lize Spit sont traduits du néerlandais par Emmanuelle Tardif.
Stefan Hertmans
L’un des écrivains belges de langue néerlandaise les plus célèbres et appréciés de nos contrées francophones, Stefan Hertmans est un romancier, essayiste, poète originaire de Gand, et un extraordinaire conteur.
Son magistral roman Guerre et térébenthine (Gallimard, 2015), était un hommage extrêmement sensible à son grand-père, qui rêvait d’être peintre, et dont la vie fut fracturée par la Grande Guerre et son passage dans les tranchées de Flandres.
Une ascension (Gallimard, 2022) relate de manière richement documentée et avec une incontestable maîtrise narrative, le vertigineux parcours d’un SS flamand profondément impliqué dans la collaboration avec le Troisième Reich. Un texte marquant aux allures de grande enquête passionnante, qui dresse le portrait d’un homme terriblement complexe.
Les romans de Stefan Hertmans sont traduits du néerlandais par Isabelle Rosselin.
Anne Provoost
Dans Ma tante est un cachalot (Alice, 2013), Anne Provoost décrypte, à travers la voix des jeunes cousines Anne et Tara, les lourds secrets de famille qui peuvent anéantir des vies, et révèle comment la parole est parfois libératrice. Un roman profond, édité dans une collection à destination d’un public adolescent et adulte.
L’autrice, originaire de Poperinge et jouissant d’un large succès en Flandre, aborde sans tabous les sujets plus graves.
Le roman d’Anne Provoost est traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron.
Stefan Brijs
Originaire de Genk, dans le Limbourg, Stefan Brijs est parfaitement installé sur la scène littéraire flamande.
Taxi Curaçao (Héloïse d’Ormesson, 2018) est une chronique subtile et poignante de trois générations dressant un portrait coup de poing d’une île des Caraïbes marquée des stigmates de la colonisation.
L’année du chien (Héloïse d’Ormesson, 2020) dissèque l’amitié ambiguë entre un homme fraîchement divorcé et une femme au cœur d’artichaud. Avec humour et pudeur, Stefan Brijs sonde les cœurs en équilibre sur le fil de l’amour, et l’apparente sincérité de leurs sentiments…
Les romans de Stefan Brijs sont traduits du néerlandais par Daniel Cunin.
Dimitri Verhulst
L’entrée du Christ à Bruxelles (Denoël, 2013). Par une journée grise et ordinaire, une brève nouvelle apparaît sur Internet : Jésus-Christ va bientôt faire son entrée à Bruxelles. Les Belges accueillent l’information avec tout le sérieux du monde et une sérénité déconcertante. En quatorze « stations » qui sont autant d’humoristiques examens de soi, de la Belgique et du monde actuel, Dimitri Verhulst, fidèle au ton parfaitement décalé qu’on lui avait découvert dans La Merditude des choses (Denoël, 2011), nous embarque dans une fable d’une irrésistible drôlerie.
Les romans de Dimitri Verhulst sont traduits du néerlandais par Danielle Losman.
Louis Paul Boon
Louis Paul Boon (1912-1979) est un poète et romancier d’expression flamande considéré comme l’un des écrivains majeurs de langue néerlandaise du vingtième siècle. Hugo Claus disait même de lui qu’il était la source la plus généreuse de la littérature flamande !
La route de la chapelle (paru en 1953, retraduit aux Éditions Noir sur Blanc, 2022) est un roman éclaté fait de constatations désabusées sur le vingtième siècle dans lequel on suit le parcours de la jeune Ondine, qui utilise ses charmes pour gravir les échelons de la société. Un roman au contenu critique virulent qui avait créé la controverse à sa parution.
Le texte de Louis Paul Boon est traduit du néerlandais par Marie Hooghe.
Jeroen Olyslaegers
Trouble (Stock, 2019) raconte le passé de Wilfried Wils, qui, en 1940, alors qu’Anvers résonne sous les bottes de l’Occupant, fréquente aussi bien des membres de la résistance que de fervents collaborateurs. Incapable de choisir un camp, il traverse la guerre mû par la seule ambition de survivre. Soixante ans plus tard, il devra en payer le prix. Avec ce roman choc, l’écrivain originaire de Mortsel a été récompensé par le Prix Ferdinand-Bordewijk en 2017.
Le texte de Jeroen Olyslaegers est traduit du néerlandais par Françoise Antoine.
Willem Elsschot
L’Anversois Willem Elsschot (1882-1960) est l’une des figures majeures de la littérature flamande.
La comédie de mœurs Villa des Roses (paru en 1913 et traduit aux Éditions Castor Astral, 2004) se déroule dans une pension de famille du Paris des années 1910 et détonne par son humour froid et son remarquable raffinement littéraire.
Fromage (paru en 1933, traduit aux Éditions Castor Astral, 2017) raconte les déboires d’un modeste employé anversois se retrouvant soudain avec dix mille fromages en dépôt dans sa cave… Dans cette savoureuse satire du monde des affaires, Elsschot observe avec compassion et férocité les faiblesses du genre humain.
Les textes de Willem Elsschot sont traduits du néerlandais par Marnix Vincent (Villa des Roses) et Xavier Hanotte (Fromage).
Tom Lanoye
Last but not least. Tom Lanoye, originaire de Sint-Niklaas, demeure certainement l’écrivain flamand le plus populaire du sud du pays. Et pour cause, le dramaturge, romancier, essayiste et poète est traduit dans une quinzaine de langues et a été de multiples fois primé en Flandre et ailleurs.
La langue de ma mère (Le Castor astral, 2021) est un roman bouleversant, un hommage poignant de l’écrivain à sa mère qui, à la suite d’une attaque cérébrale, perd l’usage de sa langue et ne s’exprime plus que dans un baragouin furieux et incompréhensible. Cette mère, modeste femme de boucher et comédienne amatrice, dont la langue revêtait pourtant toutes les possibilités d’émancipation et de liberté…
Le texte de Tom Lanoye est traduit du néerlandais par Alain van Crugten.