Ces derniers temps, un thème plane de façon récurrente sur la bande dessinée et toujours avec beaucoup d'émotion et surtout beaucoup de brio. De nombreux auteurs interrogent la Famille et tirent le meilleur de ce média qu'est la bd. A chaque fois ce sentiment que revenir sur les blessures du passé et expliciter les traumas familiaux soignent bel et bien le présent. Comme le dit l'adage psychanalytique : ce qui est tu, tue.

Prenez "Naphtaline" de Sole Otero (çà et là éditions). Avec un dessin tout en rondeur enveloppante, des couleurs vives et tranchées, des trouvailles scénographiques à chaque page, la jeune autrice nous immerge dans la quête d'identité et d'affirmation de la jeune fille, dans sa révolte sourde, dans cette transmission posthume bancale entre une grand-mère acariâtre non sans raison et une jeune fille qui se cherche dans une Argentine en pleine crise politique. C'est brillant !

Toujours chez çà et là, superbe maison d'édition défricheuse de nouveaux talents de la bd, il y a le Fauve d'Or 2022 au Festival d'Angoulême. "Ecoute, jolie Marcia" de Marcello Quintanilha qui, sous des dehors acidulés avec des couleurs fluo et flashy, livre un récit social rugueux où une infirmière quinqua, habitante d'une favela proche de Rio est aux prises avec sa fille, grande gueule tuant son ennui avec des dealers des bas-quartiers. Une réussite totale !

Plus proche de chez nous, David Sala transmet l'histoire familiale à travers les portraits de ces deux grands-pères, tous deux ayant peu ou prou eu la même trajectoire, ayant fui l'Espagne franquiste, ils entrent dans des réseaux de résistance dans le Sud de la France. Comment parler de ces héros pour mieux s'en affranchir avec là aussi des couleurs chatoyantes et oniriques. David Sala balaye les époques, l'enfance dans les années 1970, l'adolescence dans les années 1980 et la construction de l'adulte qu'il est devenu avec, toujours en fond, "Le poids des héros" (Casterman).

Encore un peu plus proche, David Prud'homme revient également sur le passé familial dans l'album "Du bruit dans le ciel" (Futuropolis). Autobiographie en creux aussi bien que portrait géopolitique et sociologique d'une certaine France à travers le village de Grangeroux, en périphérie de Chatauroux où s'est installée la famille de l'auteur accédant à la propriété au début des années '80 et où depuis les années '50 se trouve une base militaire aérienne longtemps occupée par des soldats américains. Tendre, poignant, intelligent.

Il y a aussi eu la réédition aux éditions Vide Cocagne des "Villes d'un jour" où Rudy Spiessert, l'illustrateur des fameux Chiens Pirates, nous raconte à la manière d'un Blutch son enfance dans un cirque itinérant. Drôle et touchant.

Dans "Le petit frère" (Casterman), Jean-Louis Tripp (co-auteur avec Loisel de la saga québécoise Magasin Général et auteur de la géniale "autobiographie sexuelle" en deux volumes "Extases") nous montre comment une famille se relève (ou pas) de la perte d'un frère, d'un fils tué dans un accident de voiture à l'âge de onze ans. Un portrait intime et sans concession. C'est bouleversant.

"N'en parlons plus" de Weng Pixin aux éditions Motus achemine de façon très originale son récit via quatre époques. On se retrouve avec l'arrière-grand-mère en 1908, la grand-mère en 1947, la mère en 1972, la narratrice (et quelque part autrice en pleine autofiction) en 1998 et une fille imaginaire en 2032. Une nouvelle fois des couleurs vives, et un trait enfantin pour narrer la dureté de relations conflictuelles entre femmes qui s'aiment mais ne prennent pas le temps de se comprendre. et à nouveau, un présent plus apaisé.

Michael Kupperman avec "L'enfant prodige" nous dévoile une histoire stupéfiante, celle de son père, Joël Kupperman qui, de ses six ans à ses seize ans fut un expert en mathématiques aux Etats-Unis dans la célèbre émission radio puis télé, Quizz Kids. Une enfance volée et manipulée qui lui a sacrément compliquée son existence alors qu'il servait de modèle, pour la jeunesse comme enfant prodige, pour les Etats-Unis comme jeune juif brillant dans ces années de guerre où l'antisémitisme était un mal galopant. Le père, atteint de la maladie d'Alzheimer et en dépit d'une carrière brillante en philosophie, n'aura jamais totalement réussi à exorciser son passé, au tour du fils, Michael, de le faire. "Je pense que je me devais de le faire. S'il ne vaut mieux pas vivre dans le passé, ce n'est pas mieux non plus de l'ignorer." Et en toute fin d'album, l'auteur tente d'échapper à son héritage bancal : "J'ai l'habitude de dire à mon fils que je ne veux pas qu'il soit un enfa,nt qui réussit, mais un adulte qui réussit." "L'enfant prodige. Mon père, le génie des tournois" de Michael Kupperman aux éditions La Cinquième Couche.