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036L'avis d'Adrien :

Récit initiatique, comédie dramatique puis drame comique et enfin tragédie, Lise Charles et son écriture enfantine et faussement naïve nous prennent par la main et nous retournent le cerveau. Une pépite bubblegum, intelligente et érudite sans qu’il n’y paraisse.

La môme Française Lou/Loo, comme la maîtresse d’Apollinaire ou en doublant le o augmentant avec fantasque son pouvoir de séduction, se retrouve à New York seule, sorte d’Holden Caulfield au féminin, dégagée par sa sœur ainée qui préfère profiter de ses amants d’un soir en toute intimité que de s’occuper de sa frangine. Remisée dans une petite chambre cradingue, elle suit un temps un poète minet pseudo-branché de Brooklyn. Devenant vite lassant et fade, le jeune enamouré Wolf sera vite remplacé par Peter. Artiste contemporain charismatique, ce dernier va lui demander de lui servir de modèle à long terme, d’apprendre le français à ses énigmatiques enfants, en échange du gîte et du couvert. Prise au piège d’une famille dépressive, Loo se laisse vivre et porter par l’ambiance dans ce cauchemar horrifique et compose au jour le jour, mois après mois avec son ennuyeux quotidien raconté de façon enjouée, à la fois avec drôlerie, légèreté et profondeur.

D’anecdotes en anecdotes, de digressions faussement anodines en regards et interpellations tutoyées face caméra et adressés au lecteur, de phrases, en anglais dans le texte, semées ça et là, soulignant la complexité du langage en rêves oniriques, Lise Charles, son écriture et ses dessins éparpillés, nous emmènent dans le monde d’une ado vive, vivifiante, au charme effronté à qui on ne la fait pas. Crise adolescente, voyage initiatique, heureux (ou pas) qui comme Ulysse revient (ou pas) d’un long voyage !

Je te raconte toute l’histoire d’une manière un peu simplifiée, mais tu ne m’en voudras pas j’espère, c’est pour toi, je fais des efforts pour que tu comprennes la situation. Quand je lis un livre ou que je vois un film, je suis toujours reconnaissante si on me dit tout de suite qui est bon qui est mauvais, qui aime qui et qui déteste qui ; ça rend l’histoire plus facile à suivre et on peut profiter du reste sans se casser la tête. (…) Peut-être je te sous-estime, peut-être je suis la seule idiote à ne pas pouvoir comprendre une histoire s’il y a plus de deux personnages dedans, mais sait-on jamais. Je te dis les choses comme j’ai pensé qu’elles étaient, je peux me tromper, ça peut avoir été plus compliqué, mais tu n’es pas ici pour attraper un mal de tête en te tracassant sur des subtilités psychologiques, et moi non plus. 

P.O.L., 18,90 €btn commande

Disponible en format numérique

 

L'avis d'Anouk:

defaites - gaude"Salue Alexandrie qui s'en va (...) Salue Alexandrie que tu perds".

L'exhortation que lance à travers les siècles Constantin Cavafy à Antoine, vaincu par Octave dans son refuge d'Alexandrie, éclaire le projet ambitieux de Laurent Gaudé: tenter d'approcher ce que sont nos défaites, intimes, politiques, militaires. La question est brûlante car dans notre monde insaisissable, qui peut dire où sont les gagnants, où les vaincus?

Et c'est bien autour du prisme du contemporain que Laurent Gaudé compose sa fresque. De Bamako au Kurdistan, de Paris à Beyrouth, de Tripoli au Pakistan, Écoutez nos défaites revient sur les zones de fracture de notre temps. Assem et Mariam, dont l'unique nuit d'amour ouvre le roman, sont des héros fatigués. Lui vient du monde de la guerre, de l'action, de l'urgence, et a douloureusement conscience de l'absence de sens de ses missions. La dernière d'entre elles: partir sur la piste d'un ancien membre des commandos d'élite de l'armée américaine en désertion, qui s'adonne à d'étranges trafics. Elle est archéologue et tente, en Irak, en Syrie ou ailleurs, de sauver ce qui peut l'être encore de la rage destructice — "non plus les vies, les destins singuliers, mais ce que l'homme offre au temps, la part de lui qu'il veut sauver du désastre, la part sur laquelle la défaite n'a pas prise, le geste d'éternité". Assem et Mariem savent l'amertume des défaites mais tentent de perdre avec noblesse. L'un et l'autre considèrent que l'art, la beauté, la poésie préservent de l'anéantissement et permettent de se tenir debout dans un monde affolé.

Laurent Gaudé illumine leur histoire, poignante, de pages arrachées à la grande Histoire. Agamemnon qui attend des vents favorables pour faire voile vers Troie, Hannibal aux portes de Rome, Ulysses Grant face aux Confédérés, Hailé Sélassié opposant ses troupes désarmées aux armées mussoliniennes... Autant de destins dont il n'est pas simple de partager les victoires et les défaites. "Écoutez nos défaites, ils le disent ensemble, avec une sorte de douceur et de volupté, écoutez nos défaites, nous n'étions que des hommes, il ne saurait y avoir de victoire, le désir, juste, jusqu'à l'engloutissement, le désir et la douceur du vent chaud sur la peau".

Actes Sud, 20 €btn commande

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succession - duboisL'avis d'Anouk:

Des héros de Jean-Paul Dubois, Paul Katrakilis porte le prénom, la désinvoluture et l'irrépressible mélancolie. Fils unique d'un couple peu assorti — sa mère n'a jamais caché qu'elle préférait son propre frère à son époux —, petit-fils du médecin personnel de Staline arrivé en France peu après la mort du Petit Père des peuples, Paul choisit après ses études de médecine d'échapper au poids d'une famille destructrice. Il s'établit à Miami et y devient joueur professionnel de pelote basque, un sport qui fait fureur en Floride.

La rudesse du monde sportif lui semble infiniment préférable au climat vicié qui règne chez les Katrakilis. Paul a-t-il pour autant échappé à l'héritage familial? On aimerait avec lui croire au "bonheur simplifié" qu'il s'est bâti outre-Atlantique: quelques amis hauts en couleur, deux femmes inoubliables, un vieux bateau et un chien affectueux. Mais il n'est pas aisé de refuser une succession, et Paul l'apprendra dans de profonds déchirements.

"La succession" est le roman du bonheur et de sa perte, de la liberté qui n'est jamais là où l'on croit, du poids de tragique que recèle toute vie. On y retrouve l'élégance désabusée de Jean-Paul Dubois, son sens du détail, son humour tout d'ironie, mais aussi, plus encore que dans ses romans précédents, une douloureuse noirceur et même un désespoir qui laissent au lecteur bien des questions entêtantes.

L'Olivier, 19 €

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