Dans un village reculé, à une époque oubliée, c’est dans la chair des femmes qu’on puise la subsistance des foyers. Sylvaine, jeune mère dont l’enfant vient d’être sevré, suit le chemin de nombreuses autres : elle vend son lait à une famille aisée de la ville, qui lui confie sa petite fille à nourrir.
Une nuit baignée de lune, à la lisière de la forêt où elle habite, Sylvaine découvre un nourrisson abandonné, accompagné d’un carnet racontant son histoire — chose rare dans une région où peu savent lire. Quand le bébé qu’elle allaite meurt soudainement dans son sommeil, elle échange les enfants. Ce geste n’est pas tant motivé par le besoin d’un revenu que par un attachement instinctif, comme si la lune avait scellé un lien d’amour entre la nourrice et l’orpheline. Mais dans ce monde âpre, où les hommes règnent sans partage sur les corps et les âmes des femmes, il n’est de salut pour ces dernières que dans la sororité — seul rempart contre la chute, la violence et l’effacement.
Ce premier roman à la fois singulier, envoûtant et chargé de sensualité, oscille entre fable et récit social. Séverine Cressan y dévoile les rouages d’une industrie méconnue du passé et en explore les implications collectives. En outre, elle parvient, par traits fins et poétiques, à donner corps à des femmes restées dans l’ombre de l’histoire, mais dont la profession, aussi taboue qu’elle fût, revêtait un caractère éminemment humain.