Ce roman audacieux et singulier déploie un style subtil, au service d’un propos érudit qu’il rend accessible.
La philologue espagnole Irene Vallejo relatait merveilleusement l’histoire du livre et de la lecture dans l’Antiquité dans son essai L’Infini dans un roseau. Dans son roman Carthage, elle s’essaye à une réécriture d’un mythe fondateur - et non des moindre : celui d’Énée, figure légendaire à l’origine des fondations de Rome.
Selon la légende, après avoir fui la destruction de Troie avec son fils et quelques compagnons, Énée fait naufrage sur les côtes de Carthage. C’est là que débute le récit, alors que le destin du héros s’entrelace avec celui de la reine Elissa – plus connue sous le nom de Didon – et celui du dieu Éros, espiègle archer bien décidé à faire naître l’amour entre ces deux êtres marqués par l’exil.
Des siècles plus tard, Auguste, premier empereur de Rome, commande au poète Virgile l’écriture de l’Énéide, grand poème épique chargé d’exalter les origines de la civilisation romaine. Une œuvre éminemment politique, donc, pour servir les ambitions de propagande du régime en construction. Mais face à l’attente impériale, Virgile hésite. Ce qu’il veut écrire, ce n’est pas l’héroïsme triomphant ni la gloire d’un empire naissant, mais la douleur des survivants, l’incertitude des vaincus, la peur des exilés. Car, dit-il, « la défaite est toujours le point de départ d’une grande histoire ». Son texte traversera les siècles.
Dans ce roman d’aventure, Irene Vallejo donne voix aux protagonistes du mythe – y compris au dieu Éros –, en leur prêtant les mots et les émotions de notre époque. Tous sont habités par le doute, la peur, les élans du cœur. L’autrice revisite ainsi la grande épopée antique pour y tisser une réflexion contemporaine sur le pouvoir, la guerre, l’exil, l’amour, la condition des femmes… et sur la manière dont s’écrit l’Histoire.
Traduit de l'espagnol (castillan) par Bernadette Engel-Roux, Albin Michel, 21,90 euros.
Disponible en format numérique ici.