"Lorsque j'ai commencé à écrire cette histoire (...), j'ai dit que l'histoire de Cora était une toute petite histoire parmi toutes les histoires du monde. Et puis, dans la foulée, qu'il n'y a pas de petite histoire, que toutes les vies sont dignes d'être commémorées. Je rêve d'un monde où on se raconterait les vies humaines les unes après les autres, avec assez de lenteur, d'incertitudes et de répétitions pour qu'elles acquièrent la force des mythes".
C'est sous cet angle humaniste que le narrateur de Cora dans la spirale entreprend de raconter une histoire "banale" de notre temps. Cora se rêvait photographe. Elle a renoncé à ses ambitions artistiques pour se caser, sagement, dans une compagnie d'assurance. Sa vie est tissée de bien des renoncements, mais Cora s'y plie de bonne grâce, certaine que l'essentiel est ailleurs: sa vie avec Pierre et l'arrivée de leur petite fille.
Lorsque, de retour au travail après son congé de maternité, Cora entame un nouveau carnet — il restait quelques pages vierges dans le précédent, mais elle voulait marquer ce nouveau départ —, elle note "J'espère que tout va être bien, que tout va bien se passer". Et pourtant. La compagnie pour laquelle elle travaille, longtemps familiale, vient d'être rachetée par un grand groupe. Commence alors le sinistre bal du management hypercapitaliste: la vie en open space, les mots vidés de tout sens (on restructure, on rationnalise, on optimise), la pression qui petit à petit ronge tous les instants d'une vie. Cora est jeune, douée, amoureuse, c'est une femme libre et généreuse, mais broyée par son travail elle s'achemine vers "des tristesses indéchiffrables". Et c'est implacable.
Avec ce roman tendu et tragique, virulent mais jamais manichéen, Vincent Message réussit à donner chair aux maux de notre société opulente. Ses portraits d'hommes et de femmes sonnent juste et remuent au plus profond, "car (...) c'est de nous qu'il s'agit. Le combat qui a cessé quelque part reprend ailleurs, et c'est le même combat".
Cora dans la spirale est un roman virtuose dans sa forme, bouleversant dans son propos, et s'impose comme l'une des lectures immanquables de cette rentrée littéraire.