«On devait partir à deux, mais il ne restait qu'une place sur le bateau. Alors on a tiré au sort et c'est tombé sur moi». C'est le hasard qui fait débarquer Ida sur l'île de Tristan, un bout de terre accroché à son volcan quelque part entre l'Afrique et le Brésil. La traversée depuis Le Cap a duré sept jours, et le prochain bateau ne sera pas là savant plusieurs semaines. C'est dire si le séjour à Tristan est une expérience qui engage, non un simple voyage que l'on fait pour assouvir sa soif d'exotisme.
Ida partage au fil des jours la vie d'une communauté soudée par le travail, l'entraide et l'esprit de famille – on est tous un peu parents à Tristan, «l'île des sept familles». Ida apprend à se rendre utile et consacre ses moments libres au dessin. «La page est blanche. Tout est possible. Non. Tout semble possible. Mais, ça, je ne l'ai su qu'après».
L'isolement de Tristan fait de la vie sur l'île la quintessence de l'expérience insulaire. Ida perd peu à peu ses repères. Ses certitudes s'embrument. Le temps, l'espace, l'identité : les amarres se détachent les unes après les autres. «L'attente. Encore elle, celle qui nous oblige à confondre l'instant avec la durée et la durée avec l'éternité». Et c'est dans cette dépossession que va surgir la passion. Fulgurante, absolue, sublime : forcément extrême.
Clarence Boulay signe avec «Tristan» un premier roman tendu et puissant. Elle a elle-même passé plusieurs mois sur cette île du bout du monde, une expérience qu'elle a racontée dans un bel article paru dans la revue XXI. Le détour par le roman donne une autre dimension au vécu, déplie ce qui ne serait qu'énuméré dans un carnet de voyage ou un journal de bord. La fiction vient semer le trouble et nimber les faits d'une lumière vacillante. Elle donne à ce livre une profondeur et un vertige que le lecteur, c'est certain, n'oubliera pas.