L'avis d'Adrien :
Jean Nochez, tiens, tiens, l’anagramme quasi complète de Jean Echenoz, l’auteur entre autres de Je m’en vais - par ailleurs Pierre Demarty insère dans son texte de très nombreuses références littéraires avec toujours beaucoup d'humour -, Jean Nochez, donc, marié, père de deux enfants, philatéliste de profession mène une vie sans fard, excessivement monotone. Il est tellement moyen, d’une normalité confondante, que le seul excès qu'on puisse trouver dans sa vie est dans cette monotonie.
Une simple pancarte "A louer" apposée sur l'immeuble en face de chez lui va tout bousculer dans sa vie. Une visite de l'appartement en question et sans trop savoir pourquoi, Jean prend la décision, fait déjà relativement marquant dans sa vie, de le louer. Sans rien dire à sa femme, Solange, et à ses enfants, le voilà parti pour une grande aventure. Jean va petit à petit quitter sa vie, faire ce pas de côté et s'installer "en face".
Convenons que c'était une extravagance. Que dis-je, une folie. Et à ce titre, une anomalie totale, un parfait hapax dans l'existence de Jean Nochez, laquelle avait jusqu'alors, eût-on dit, mis un point d'honneur à circonvenir toute manifestation d'impulsivité, toute forme d'événement, de quelque nature que ce fût. Jean Nochez, fantassin admirable de la division des ombres qui parmi nous se dirige à pas certains, incalculable et inhéroïque, vers le terme du combat sans songer un seul instant à en dévier l’issue, Jean Nochez, suprême et paradoxale incarnation de ce que l’humanité peut avoir de plus désincarné, Jean Nochez, huître, moule, mollusque, particule, en un mot très exactement individu, n’avait pas la moindre raison de se concevoir capable d’un geste si singulier.
L'histoire qui ne peut que mal se terminer est narrée gouailleusement par un des quelques piliers de comptoir que compte "Les indociles heureux", bar du coin de la rue, que va se mettre à régulièrement fréquenter Nochez lors de son extraordinaire épopée.
C’est malin, parfois un peu petit malin quand les jeux de langage se font trop ostentatoires, brillantissime par moment, terrifiant, drôle et littéraire la plupart du temps. Pierre Demarty, éditeur et traducteur (Joan Didion, William T. Vollmann, Paul Harding…) nous offre avec ce premier roman un excellent et jouissif moment de lecture.
Nous ne résistons pas pour terminer à vous livrer un second extrait gentiment et délicieusement grivois qui dit aussi tout le sel de l'histoire :
Tu le savais, toi (mais on entend bien qu'il ne s'adresse à personne en particulier, que c'est à la cantonade qu'il édifie), que Paimpol était jumelé à Grundarfjördur ? Hein ? Pas mal, non ? C'est quoi, Grmlfrdour ? C'est l'Islande, fiston. C'est l'Islande. Un jour, ajoute-t-il dans un susurrement inusité à l'intention de sa femme comme s'il lui faisait miroiter une polissonnerie, un jour nous irons en Islande. Et Solange, dont on gage qu'elle ne s'est jamais aventurée au-delà des positions, étroites d'esprit et du reste, sur lesquelles campe d'ordinaire le missionnaire, et qu'un rien de scandinaverie suffit par conséquent à plonger dans un embarras émoustillé, Solange rougit.