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traverser la nuit le correL'avis de Maryse:

Début 2019, la colère sociale gronde sous des camisoles jaune fluo aux quatre coins de France. Hervé Le Corre plonge son lecteur dans les tréfonds d’une Bordeaux – sa ville – grise et détrempée.

Plusieurs trajectoires s’y entremêlent.

Le commandant Jourdan, de la crim’, est un flic à la dérive. Continuellement confronté à une violence macabre, il est embourbé, mutique, il s’éteint et s’éloigne inexorablement de sa femme et de sa fille. Branché depuis trop longtemps sur une enquête de féminicides, il erre jour et nuit dans les bas-fonds de cette métropole poisseuse, tantôt chasseur de macs, tantôt prédateur de trafiquants et de criminels sordides. Puis un jour, il croise Louise…

Louise est une mère célibataire trentenaire. Fille d’enseignants décédés accidentellement, ancienne toxicomane, elle parvient à joindre les deux bouts en travaillant comme aide-soignante à domicile auprès de personnes âgées dévorées de solitude. Elle élève seule son petit garçon, unique être capable d’enchanter un quotidien rongé par l’angoisse permanente. Louise est harcelée et violentée par son ex. C’est ainsi qu’elle croise Jourdan.

Christian est un être inepte et banal. Élevé dans la fange par une mère abjecte, une rage destructrice et une soif de domination l’habitent.

Chacun d’entre eux traverse sa nuit, glaciale et infinie.

L’écrivain, loin d’être à son coup d’essai, aborde avec beaucoup d’intelligence des sujets graves et brûlants: sexisme, domination masculine, violences conjugales... Son écriture est ciselée, poétique même – comme des faisceaux de beauté au cœur des ténèbres. Mais surtout, la structure psychologique des personnages est d’une telle justesse que leur désarroi retentit en dehors de la lecture ce qui, selon moi, reste l’un des ingrédients premiers d’un grand roman. Voici un polar déroutant, terriblement intense. Pour les amateurs du genre et tous les autres, de l’excellent Le Corre, donc.

 

Rivages, 20.90 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

cancion halfonL'avis d'Anouk:

Eduardo Halfon écrit des livres qui font rimer brièveté et intensité. Avec "Canción", il ajoute une nouvelle pièce à une œuvre qui se joue des codes de l'autofiction. Le roman débute à l'aéroport de Tokyo. Eduardo Halfon est invité par une université japonaise à intervenir dans un colloque consacré aux écrivains libanais. Lui, l'écrivain guatémaltèque qui vit entre les États-Unis, l'Espagne et la France. Il croit d'abord à une méprise, voire à une plaisanterie. Puis ouvre l'armoire aux souvenirs et y trouve "le déguisement libanais – parmi tant d'autres déguisements – hérité de mon grand-père paternel, natif de Beyrouth".

Commence alors une traversée à la rencontre de ce grand-père craint et adulé. En chemin, Eduardo Halfon revisitera à la lumière de ses souvenirs d'enfant le fabuleux Alcazar que ce riche homme d'affaires s'était fait construire dans son pays d'adoption. Il écoutera les confessions d'une guerillera qui a participé en 1967, dans un Guatemala rongé par la guerre civile, à la prise d'otage de son grand-père. Il reconstituera aussi, à travers l'histoire de ce "Libanais qui n'était pas libanais", l'histoire sanglante de l'Amérique centrale.

Eduardo Halfon réussit à faire tenir en très peu de pages des histoires, des temps, des lieux extrêmement différents: un édifice certes extravagant mais empreint de grâce. Artiste de l'illusion et de la pirouette, il embarque son lecteur dans une passionnante réflexion sur le prisme des identités emmêlées, assumées et réinventées. Et nous offre au passage une jolie leçon de photographie, ou de littérature, à moins que cela soit une leçon de vie tout simplement: " le photographe Cartier-Bresson, pour déterminer la valeur artistique d'une de ses images, avait coutume de la retourner, tête en bas, pour la regarder à l'envers". 

La Table Ronde - Quai Voltaire, traduit de l'espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, 15 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

 

un pere etranger bertiL'avis d'Anouk:

Un écrivain – Eduardo Berti – tente d'écrire un roman sur un autre écrivain, un certain Józef, jamais nommé, mais dans lequel il est aisé de reconnaître Conrad. Conrad, le voyageur des mers qui s'est de lui-même exilé au cœur des terres anglaises. Conrad, le Polonais élevé en français qui n'aurait peut-être pas écrit si la langue anglaise ne "l'avait adopté".

Le détour par Conrad, Eduardo Berti s'en rend compte rapidement, est une façon pour lui de s'approprier son histoire familiale. Un détour qui permet d'éclairer quelques pièces du puzzle qu'est toute vie. C'est que, comme Conrad, le père d'Eduardo Berti s'est établi dans un pays (l'Argentine) et dans une langue (l'espagnol) qui n'étaient pas les siens mais ceux où il avait choisi de se réinventer. Comme Conrad, le père d'Eduardo Berti a changé de nom, "une sorte de chirurgie esthétique" qui annihile son passé. Comme Conrad, c'est à sa langue maternelle qu'il revient dans les moments de souffrance, et personne autour de lui n'est alors en mesure de le comprendre. Pour ses proches, cette langue enfouie est comme un "membre fantôme", la trace d'une amputation mystérieuse.

Ainsi se tisse, sur la trace du livre aimanté par Conrad, un second récit qui tourne autour de ce "père étranger" rétif à livrer ses secrets et semant pourtant sur le chemin de son fils des cailloux que celui-ci hésite à ramasser. Tant d'incompréhensions, d'hésitation, de méfiance qui sont aussi de poignantes façons de dire l'amour entre un père et son fils. Les émotions sont là mais la pudeur canalise leur houle, "parce que la pudeur, Józef le répétait souvent (...) était le dernier refuge de l'écrivain: rien de plus humiliant ou de plus triste qu'une émotion qui n'émeut pas".

Eduardo Berti est membre de l'Oulipo et son roman est assurément un "ouvroir", un laboratoire où fusionnent en une facétieuse alchimie l'intime et l'universel, la lecture et l'écriture, les vivants et les fantômes. La profonde humanité de ce "Père étranger", la réflexion sur les mille et une facettes de l'exil, la virtuosité de la composition qui déploie avec fluidité de nombreux fils narratifs, l'humour tantôt joyeux tantôt déchirant qui irrigue chaque page: tout dans ce livre émeut, tout enchante, tout donne à penser. 

 

La Contre Allée, traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 23 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

banniere 30 ans

 

 

 

 

 

Les Éditions de L’Olivier ont 30 ans en 2021 et on compte bien fêter ça chez Point Virgule!

Cette maison occupe une place de choix dans nos vies de libraires. Elle incarne la littérature que nous aimons, que nous défendons. Elle édite des autrices et des auteurs qui sont devenus, au fil du temps, nos compagnons de route. Les liens qui nous unissent à cette maison et à celles et ceux qui l’habitent sont profonds et multiples, ils donnent du sens à notre métier.

ami tavernierL'avis de Maryse:

L’ami de Tiffany Tavernier : voici une courte lecture pour le moins déconcertante.

Le taciturne Thierry termine sa carrière de technicien réparateur dans une usine. Il vit depuis de nombreuses années avec son épouse Elisabeth dans une belle maison reculée au fond des bois. Aux alentours, rien que la nature et une autre demeure, habitée par un couple avec qui, peu à peu, Thierry et Elisabeth ont tissé des liens. Entre conviviaux apéros improvisés et entraide régulière, l’entente entre voisins est devenue plus que cordiale. Thierry éprouve même de l’amitié pour cet homme jovial et sympathique avec qui il partage le plaisir du bricolage et la passion des insectes.
Un samedi matin, tandis qu’il s’apprête pour une partie de pêche, Thierry assiste depuis sa fenêtre à une scène impensable, et qui va violemment bouleverser sa vie calme et routinière : des hommes du GIGN, casqués et lourdement armés, des combis de police et une ambulance sont postés devant la maison des voisins. L’homme qu’il croyait être son ami est arrêté pour multiples enlèvements, séquestrations, viols et meurtres de très jeunes filles.

Et Thierry n’a rien vu, rien entendu.

Entre déni, peur, culpabilité, colère et chagrin, débute alors une grande plongée dans les ténèbres pour Thierry, dont la vie tranquille se trouve dévastée : comment a-t-il pu ne rien remarquer de l’horreur qui se déroulait sous ses yeux ? Comment a-t-il pu être si proche d’un homme sans détecter le moins du monde la monstruosité qui l’animait ?

L’effroyable trouble qui s’emparera de lui le mènera à refaire le déroulé de sa vie, depuis l’enfance, et à interroger son moi profond. Dans cet intime et déroutant roman initiatique, Tiffany Tavernier parvient de manière forte, subtile et crédible à brosser le portrait d’un homme tourmenté.

Sabine Wespieser, 21€.btn commande