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un pere etranger bertiL'avis d'Anouk:

Un écrivain – Eduardo Berti – tente d'écrire un roman sur un autre écrivain, un certain Józef, jamais nommé, mais dans lequel il est aisé de reconnaître Conrad. Conrad, le voyageur des mers qui s'est de lui-même exilé au cœur des terres anglaises. Conrad, le Polonais élevé en français qui n'aurait peut-être pas écrit si la langue anglaise ne "l'avait adopté".

Le détour par Conrad, Eduardo Berti s'en rend compte rapidement, est une façon pour lui de s'approprier son histoire familiale. Un détour qui permet d'éclairer quelques pièces du puzzle qu'est toute vie. C'est que, comme Conrad, le père d'Eduardo Berti s'est établi dans un pays (l'Argentine) et dans une langue (l'espagnol) qui n'étaient pas les siens mais ceux où il avait choisi de se réinventer. Comme Conrad, le père d'Eduardo Berti a changé de nom, "une sorte de chirurgie esthétique" qui annihile son passé. Comme Conrad, c'est à sa langue maternelle qu'il revient dans les moments de souffrance, et personne autour de lui n'est alors en mesure de le comprendre. Pour ses proches, cette langue enfouie est comme un "membre fantôme", la trace d'une amputation mystérieuse.

Ainsi se tisse, sur la trace du livre aimanté par Conrad, un second récit qui tourne autour de ce "père étranger" rétif à livrer ses secrets et semant pourtant sur le chemin de son fils des cailloux que celui-ci hésite à ramasser. Tant d'incompréhensions, d'hésitation, de méfiance qui sont aussi de poignantes façons de dire l'amour entre un père et son fils. Les émotions sont là mais la pudeur canalise leur houle, "parce que la pudeur, Józef le répétait souvent (...) était le dernier refuge de l'écrivain: rien de plus humiliant ou de plus triste qu'une émotion qui n'émeut pas".

Eduardo Berti est membre de l'Oulipo et son roman est assurément un "ouvroir", un laboratoire où fusionnent en une facétieuse alchimie l'intime et l'universel, la lecture et l'écriture, les vivants et les fantômes. La profonde humanité de ce "Père étranger", la réflexion sur les mille et une facettes de l'exil, la virtuosité de la composition qui déploie avec fluidité de nombreux fils narratifs, l'humour tantôt joyeux tantôt déchirant qui irrigue chaque page: tout dans ce livre émeut, tout enchante, tout donne à penser. 

 

La Contre Allée, traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 23 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici