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comme un ciel en nous alikavazovicL'avis d'Anouk:

C'est un petit livre qui s'avance modestement comme un texte de commande. L'invitation consiste à passer une nuit au Louvre et à partager ce qui se dépose de l'étrange alchimie entre l'opacité de la nuit et l'intimité des œuvres. Un exercice qui peut sembler vaguement ennuyeux, voire vain et prétentieux. Mais c'est sans compter sur l'intelligence et la profondeur de Jakuta Alikavazovic, qui fait éclater tous les cadres et offre un texte vibrant, intense, bouleversant.

Le Louvre, pour Jakuta Alikavazovic, n'est pas seulement le plus beau musée du monde. Il est comme une extension des lieux intimes de son enfance, une chambre à soi où les échos se démultiplient. En choisissant de bivouaquer dans la salle des Caryatides, parmi les statues antiques et à l'ombre de la Vénus de Milo, Jakuta Alikavazovic sait qu'elle part à la rencontre de son père. Avec lui, elle a passé tant d'heures dans ces salles, et tant de fois joué à répondre à sa question favorite: "Et toi, comment t'y prendrais-tu, pour voler la Joconde?". À l'époque, la petite fille qu'elle était n'en avait pas conscience, mais ce qui se jouait là "c'était la rêverie, c'était la tendresse. Et c'était le temps". Ce temps qui passe avec son lot de perte et de trahisons.

Le père a vingt ans lorsqu'il quitte le Montenegro pour suivre à Paris la femme qu'il aime. Du Louvre il dit qu'il est "la première ville française où je me suis senti chez moi". C'est là qu'exilé sans ressources, sans famille, dénué même de mots dans cette langue étrangère qui lui résiste, il ajuste sa nouvelle place dans le monde. Au Louvre, il lit, se brosse les dents, emmène sa fille, l'y oublie, peut décrire de mémoire et avec une infinie précision le décor en arrière-plan de la Joconde. Au Louvre il se réinvente et lisse les aspérités du réel: "de cette dureté qui est le réel, pas un mot. Dans la bouche de mon père, tout a eu l'apparence, la facilité d'un conte".

La nuit au Louvre sera pour Jakuta Alikavazovic l'occasion de mettre des mots sur les silences terrés sous les histoires souriantes et espiègles de son père – elle s’y voit "dompteuse d’absence". L'écrivaine rebrousse chemin vers la petite fille timide qu'elle était, "condamnée à l'ignorance". Pour retrouver cette enfant, elle a pris bien des détours, conscients et inconscients. Elle s'est brûlé les yeux en regardant la guerre détruire le pays de ses parents. La vie l'a entamée, elle est pour toujours du côté des intranquilles, mais sur son chemin elle avance guidée par un amour inconditionnel: "L'amour de mon père était comme un ciel en moi, sa réalité aussi évidente que celle du ciel au-dessus de ma tête, que le je le voie ou pas".

comme un ciel en nous points alikavazovicParce que l’art et la beauté agissent comme des révélateurs, parce qu’ils obligent à se confronter aux mémoires qui nous constituent, ce récit d’une nuit au musée se lit comme la plus singulière et la plus poignante lettre au père que l’on puisse lire. "De quoi parle-t-on quand on parle d'art? De conservation. De permanence. D'un vœu d'éternité."

 

Stock, 18 € - existe en poche en collection Points, 6.60 €btn commande

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ici la beringie brugidouL'avis d'Anouk:

 

Comme on déploie une carte, déplier les temps.

Comme l'esprit vagabonde en rêvant aux terres lointaines, lâcher la bride à l'imaginaire des temps, du passé le plus reculé au futur indéchiffrable.

Sur ce double fil géographique et historique s'avance le premier roman de Jeremie Brugidou, et il tient en équilibre avec ce qu'il faut d'audace, de détermination, d'acceptation du vacillement.

La Béringie est une terre engloutie entre l'Alaska et l'Extrême-Orient russe. Endormie sous les eaux de Détroit de Béring, elle n'en palpite pas moins de vie, de mystères, d'enjeux. "Ici, la Béringie" tisse trois époques de cette terre. Le livre s'ouvre sur une vision du futur lorsque, dans quelques décennies, le permafrost a fondu des deux côtés du Détroit et qu'une archéologue tente de rendre la parole aux vestiges surgis de sous la glace. Geste de sauvetage marqué par l'urgence tant l'exploitation des richesses géologiques et touristiques des lieux risque d'arracher ces sites au patrimoine de l'humanité bien plus définitivement que leur séjour millénaire dans le sol gelé.

En contrepoint s'écrit une autre odyssée scientifique, située dans les premiers temps de la Guerre Froide. Alors que Soviétiques et Américains se disputent la suprématie sur ces zones-frontières, un botaniste cherche à trouver dans les pollens fossilisés de part et d'autre du Détroit les traces d'une terre commune. Une femme-chamane éperdument aimée et tragiquement perdue le guide dans son cheminement, qui n'est peut-être pas tant scientifique qu'intime.

À ces pisteurs du vivant que sont l'archéologue et le botaniste, Jeremie Brigidou fait répondre une voix venue du fond des temps, celle d'une jeune femme Qui-Collecte dont les savoirs et les intuitions résonnent avec les interrogations d'aujourd'hui et de demain. Parce que le désastre de son époque à elle, celle de la montée des eaux qui engloutit la Béringie et efface tous les repères, est à la hauteur des catastrophes de notre temps à nous, la confiance, la détermination et la créativité de cette passeuse de mondes vieille de dix mille ans nous éclairent, lueurs fragiles mais agissantes.

L'entremêlement des temps et des récits, de la poésie et du carnet scientifique, de la beauté et du tragique font de ce premier roman une lecture marquante, qui serait comme un redéploiement par la fiction des passionnants travaux anthropologiques de Nastassja Martin.

 

L'Ogre, 19 €btn commande

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atmosphere offillL'avis d'Anouk:

 

Vif, sensible et follement drôle: "Atmosphère" de Jenny Offill pétille de malice et attrape dans ses filets les bruits, les peurs, les obsessions de notre époque.

Lizzie est bibliothécaire à Brooklyn. Ses journées s'égrènent au fil d'échanges avec les lecteurs, "la femme qui a presque atteint l'illumination", "le vacataire maudit", "la blonde aux ongles rongés", "l'ingénieur au cœur solitaire" – tout un petit monde cherchant dans les travées de la bibliothèque la compagnie des livres autant que l'écoute et la compassion de cette Lizzie au grand cœur. "C'est dommage que tu ne sois pas une vraie psy, me dit mon mari. On serait riches".

Quand elle quitte la bibliothèque, Lizzie retrouve ce mari philosophe, leur petit garçon aux rituels vaguement inquiétants, un frère ex-toxico qu'il s'agit de maintenir en équilibre sur son fil, une voisine acariâtre, son ancienne directrice de thèse devenue gourou de la collapsologie. Tous regardent leur pays partir à vau-l'eau avec l'élection d'un président affolant. À un ami reporter de guerre et familier des zones sensibles, Lizzie demande "Et ici, ça ressemble à un pays en paix ou en guerre"? C'est plus ou moins une plaisanterie, mais il me répond avec sérieux. Il dit que ça ressemble à avant que tout sombre.

Comment un livre tissé de tant de noires pensées sur l'état du monde, la catastrophe climatique, l'emprise des religions, les dépressions, les addictions... réussit-il à nous faire autant rire? Cela tient au charme de Lizzie, dont la générosité et la finesse à toute épreuve rendent la compagnie vivifiante. On se coule avec joie dans le flux de ses pensées, tour à tour inquiètes, douces et piquantes. Jenny Offill épate par un montage brillant de scènes de vie, d'extraits d'articles, de tests improbables. Le livre donne à voir et à penser, mais ne juge pas, ne commente pas, et sa légèreté apparente est la marque d'une intelligence virevoltante.

Une jolie façon, si ce n'était déjà fait, de découvrir les toutes jeunes Éditions Dalva, dont l'ambition est de nous donner à lire le meilleur de la littérature au féminin. Mission accomplie, ô combien, avec cette sacrée "Atmosphère"!

 

Dalva, traduit de l'anglais (États-Unis) par Laetitia Devaux, 20.50 €btn commande

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sadapter dupont monodL'avis de Maryse:

Là, dans l’amas de la rentrée littéraire, brille un petit bijou.

Les pierres de la cour d’une maison cévenole y prennent la parole. Témoins de la vie dans la demeure, elles racontent l’histoire d’une fratrie grandissant dans un hameau au milieu de la nature et des montagnes qui la surplombent, et qui compte en son sein un membre particulier: un petit aux yeux noirs qui flottent et s’échappent dans le vague, aux pieds recourbés et aux éclats de voix stridents, un éternel bébé toujours allongé, un petit lourdement handicapé. Les pierres racontent la place qu’il occupe dans ce clan à l’enfance bouleversée par sa présence. Elles racontent son frère aîné qui, d’emblée, dépourvu de toute insouciance et épris d’un amour exclusif, se sent investi d’un devoir de protection, s’attache fermement au petit, le couve, l’entoure, l’enserre jusqu’à s’oublier et se perdre. Elles racontent la sœur cadette, en qui s’enracinent dégoût, honte et colère envers le petit, répulsion mutique face à l’attention qu’il accapare jusqu’à la révolte coupable précédent la fuite du giron familial. Elles racontent enfin celui qui, partageant son quotidien solitaire avec les fantômes de la famille, incarne la renaissance.

Les pierres disent la naissance d’un enfant handicapé vécue par ses frères et sœurs.

Tant par la thématique qu’il traite que par le procédé narratif avec lequel il la traite, S’adapter est un conte de la réalité, un récit dont les tons clairs obscurs mènent délicatement le lecteur hors des sentiers battus. La douce mise au jour d’un vécu partagé par des familles d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

 

Éditions Stock, 18.50 eurosbtn commande

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mahmoud wautersL'avis de Régis:

Je suis dans la mémoire des choses.

Au commencement de tout.

 

Un vieil homme immobile sur une barque. Lac El-Assad, Syrie.

De temps en temps, silencieusement, il plonge. Respiration, masque, tuba. Il plonge pour retrouver son enfance, son passé. Sa ville engloutie sous les eaux, depuis la construction du barrage de Tabqa. Il plonge pour revivre ses 7 ans, humer le prunier de la maison d’autrefois, revoir le café Farah à deux pas de la mosquée…

C’est Mahmoud Elmachi, le poète, le vieux sage, le vieux fou. Le rescapé des geôles d’Hafez El-Assad, l’amoureux lumineux de Sarah, le père d’une fille et de deux garçons qui se battent aujourd’hui pour la liberté.  

Ecoutez sa voix, ses mots; écoutez.

Antoine Wauters illumine la rentrée littéraire par ce roman poétique, politique, intime et bouleversant. Ecrit en vers libre, dans une langue d’une beauté incroyable, il donne voix à Mahmoud et sa femme Sarah. Et à travers eux, c’est 50 ans de l’histoire syrienne qui nous prend à la gorge. Une histoire de violence, de destruction, d’un régime de la terreur.

En écrivant des poèmes aussi doux (…) dans un pays aussi brutal, Mahmoud a fait partie des hommes et des femmes qui luttent et refusent de se soumettre. Mais que peut un poème dans un pays qui se meurt ? Dans l’épaisseur du monologue et des longs silences du vieil homme se cache entre autres une réflexion poignante sur l’écriture et la résistance.

C’est un livre audacieux, sensible et engagé. Un roman violent et doux à la fois.

C’est un long poème qui ne vous lâchera pas.

 

Verdier, 15.20 eurosbtn commande

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