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plus bel ete du monde perretL'avis d'Anouk:

Delphine Perret est une artiste sensationnelle, et elle excelle dans mille et un registres. On l’adore tout particulièrement dans ses albums au trait minimaliste et facétieux: les histoires de Bjorn ou le génial "Moi le loup", des livres qu’on aime tant partager avec nos enfants et qu’on leur chipe aussi parfois, juste pour le plaisir, parce qu’ils nous font tellement rire.

Alors que l’été se termine, Delphine Perret nous offre d’en conserver la lumière et la beauté avec un livre généreux, malicieux, délicat: ce "Plus bel été du monde" tout juste paru aux éditions Les Fourmis Rouges et dont on sait déjà qu’il restera parmi les albums qui comptent.

"Le plus bel été du monde" est celui que passent une maman et son petit garçon dans une maison de famille en pleine campagne. La maison est accueillante. Elle cache des réserves de bonbons, un jardin fabuleux, des cartons entiers de Mickey, des photos accumulées au fil des années, les souvenirs et les émotions des femmes et des hommes qui ont vécu là. Ensemble, la mère et l’enfant font provision de moments doux, attentifs au bonheur l’un de l’autre. Un soir il y a des invités. Un autre jour arrivent mamie et les cousins. On partage la douceur d’un feu de bois, la magie d’un spectacle, une baignade, le privilège rare d’apercevoir un renard. Et dans ce temps suspendu l’enfant grandit: bientôt il saura nouer seul ses lacets.

Delphine Perret réussit à nous faire goûter la texture du temps, son épaisseur, sa malléabilité (le temps de l’enfance n’est pas le temps des adultes). Le livre fait le pari de la lenteur, respire dans de magnifiques doubles pages à l’aquarelle, s’étire comme des grandes vacances qui semblent si longues et filent tellement vite.

Tout est juste, pudique, d’une finesse exquise. "Le plus bel été du monde" est un livre d’émerveillement, une douce cabane où abriter souvenirs et aspirations.

 

Les Fourmis Rouges, 18.50 euros

plus bel ete perretplus bel ete 3

couvrez les bien pirsonL'avis de Régis:

Lorsque tu sais ce que j’ai ressenti dans ces heures sombres, Fatima, tes larmes coulent. Elles se mêlent aux miennes. Tu me dis que toutes les larmes des mères sont les mêmes.

Sophie Pirson nous confie le précieux dialogue qu’elle mène avec Fatima Ezzarhouni. L’une est la mère d’une jeune femme blessée lors des attentats du 22 mars 2016 dans le métro bruxellois, l’autre celle d’un jeune homme qui a quitté la Belgique pour rejoindre la Syrie et les rangs de l’Etat islamique. Deux univers, deux femmes, deux mères, réunies initialement autour du projet mené par Isabelle Seret et Vincent de Gaulejac: rassembler des victimes, des proches de victimes, des parents de jeunes radicalisés, des intervenants de première ligne pour échanger, mettre des paroles, faire lien, renouer ce que la douleur et la haine ont détruit.

Quand ces deux femmes se racontent, quelque chose d’inattendu se passe entre elles et l’amitié surgit. Entre Anvers et Bruxelles, leurs villes respectives, elles vont se (re)trouver, se (re)connaître, mettre des mots sur ce que traversent l’une et l’autre. Aujourd’hui, Fatima, nous sommes l’une en face à l’autre, réunies par l’horreur. Nous remontons le courant de nos vies ensemble. La douleur est évidemment présente au creux de chaque page, dans les silences et les blancs du texte. Ces deux femmes ont vécu l’innommable, la sidération, le chaos. Mais ce qui chamboule et touche davantage le lecteur est le respect immédiat né entre ces deux-là, la complicité, l’écoute, l’humour aussi qui fuse au détour d’un souvenir. Toutes deux sont jeunes grands-mères et se posent inévitablement la question de la transmission. Quelles passeuses seront-elles ? Que dire de tout cela à leurs petits, de leurs blessures souterraines, de notre monde en lambeaux ?

En réfléchissant ensemble à leurs parcours, à leurs grands-mères, à leurs parents, elles savent déjà qu’il n’y aura pas de place pour la haine. L’une et l’autre ont un attachement vital à l’hospitalité, au partage, à la joie. C’est ce qui les relie si profondément. C’est cela qu’elles diffuseront généreusement.

Un jour, parmi tant d’autres mots, elles répertorient des maximes, des proverbes que citaient leurs aînés : Cueille le jour/Après la pluie, vient le beau temps/Ce que tu donnes fleurit, ce que tu gardes pourrit/ … C’est sans doute de cet exercice de mémoire que vient le titre si doux retenu par Sophie Pirson : « Couvre-les bien, il fait froid dehors… ». Une expression étroitement liée à l’affection, à la protection, à la douceur d’une mère ou d’une grand-mère bienveillante. Une douceur qui imprègne ce « grand-petit-livre » qui donne l’espoir d’un monde meilleur, une promesse de vivre debout et ensemble.

Sophie Pirson a trouvé le ton juste pour raconter ce dialogue inattendu, mettre les mots de Fatima dans les siens. Son écriture est limpide comme une eau de source et invite son lecteur à ressentir intensément l’amitié, le chagrin, les larmes et les silences. Et la beauté, qu’elle traque sans relâche.   

 

Préface de David Van Reybrouck

Éditions du Cerisier, 12 eurosbtn commande

 

 

billy et le mini cheval valckxL'avis de Régis:

Premier indice: chapeau vert ! Un deuxième: ceinturon ! Un petit troisième, vraiment ? Noisettes grillées! Mais oui: c'est Billy, il est de retour !

Avis aux hamsters de tout poil, voici une septième histoire de votre héros préféré. On ne pouvait rêver mieux en cette période de rentrée.

Billy a des envies de randonnées en montagne, ça le démange depuis un bon moment. Alors, même si l'arrivée imminente de la pluie fait frisotter la moustache de son père, même si Jean-Claude se dit déjà épuisé avant la balade, c'est décidé... on y va !

Le duo de choc se lance dans la grimpette, sans se douter qu'une incroyable surprise les attend au détour du chemin. Un mini-cheval, « pas plus grand qu'un chat », qui cache son chagrin derrière un buisson. Tout le monde se moque de lui, bien sûr, de sa petite taille ridicule... Mais qu'à cela ne tienne ! Billy-au-coeur-tendre et Jean-Claude-l'intrépide l'aiment au premier regard, tellement heureux de rencontrer un nouvel ami. Que l'aventure commence !

Il va beaucoup pleuvoir dans cet album de Catharina Valckx, le ciel sera tout gris et même tout noir mais c'est sans importance. La tendresse, l'humour, le courage et l'amitié débordent de chaque trait, de chaque détail et vous feront passer le plus doux des moments de lecture, parole de hamster! Le vieux proverbe dit : « on a souvent besoin d'un plus petit que soi », mais qui est petit en fait ? Et par rapport à qui, à quoi ? Avec sa fantaisie habituelle, Catharina Valckx nous dit bien des choses et envoie valser les préjugés et tous les moqueurs de la terre. Plus que jamais, ses personnages sont attendrissants, généreux, attentifs aux autres et tellement justes qu'on referme le livre avec du ciel bleu plein les yeux et un sourire à vous décrocher les abajoues!

«Avec toi, on peut aller partout ! Tout en haut de la montagne ! Au bout du monde ! Yahouuu !»

 

L'École des Loisirs, 13 eurosbtn commande

petit bonhomme de bois gauldL'avis de Régis:

Tom Gauld, cartooniste et illustrateur britannique, est célèbre et adulé un peu partout dans le monde. Ses strips pour The Guardian sont absolument parfaits, petits bijoux de drôlerie et de finesse, « quelque part entre Samuel Beckett et les Monty Pythons ». Jetez-vous sans plus attendre sur En cuisine avec Kafka (éditions 2024) ou Le département des théories fumeuses (éditions 2024), c'est du grand art.

Mais son chef-d'oeuvre du moment, c'est au rayon des albums pour enfants que vous le trouverez! Le petit robot de bois et la princesse bûche vient d'être (superbement) édité par L'Ecole des loisirs, dans une traduction (parfaite) de Rosalind Elland-Goldsmith.

Sur la bonne vieille structure des contes classiques, Tom Gauld se permet toutes les fantaisies et nous le suivons avec bonheur dans cet univers enchanté.

En manque d'enfants, un couple royal consulte une inventrice et une sorcière. La première fabrique alors un petit robot tout en bois, la deuxième donne vie à une bûche et crée une "parfaite petite princesse". Tout est donc idéal: parents comblés, enfants heureux, famille modèle... Mais cela n'est évidemment que le tout début début de l'histoire, car quand une princesse choisit de se retransformer en bûche chaque nuit, elle s'expose à bien des aventures... Et quand un petit robot de bois permet à une bande de scarabées de s'installer dans son mécanisme, il faut évidemment s'attendre à quelques quiproquos !

À partir de ces ingrédients joyeusement loufoques, Tom Gauld nous embarque jusqu'au Nord polaire et fait vivre tant de péripéties à ses personnages qu'il ne pourra tout nous raconter en un album (deux pages hilarantes proposent d'ailleurs moult rebondissements que le lecteur imaginera lui-même).

Par son génie de la construction de l'image, par l'humour décalé de son texte, par la beauté qui se déploie à chaque page de ce livre, Tom Gauld fait une entrée fracassante dans le monde des livres pour enfants. Quelque chose nous pousse à croire qu'il n'en restera pas là!

 

L'École des Loisirs, traduit de l'anglais par Rosalind Elland-Goldsmith,14 €btn commande

memorial drive tretheweyL'avis d'Anouk:

La vie de Natasha Trethewey se déploie autour d'une béance – la mort de sa mère tombée sous les coups d'un mari violent lorsqu'elle-même avait 19 ans.

Pour avancer après le drame, il lui faut enfouir profondément ses souvenirs et laisser l'image de sa mère derrière un voile de ténèbres. "Je voulais bannir cette partie de mon passé, un acte d'autocréation par lequel je chercherais à n'être constituée que de ce que je décidais de me souvenir". Mais avec les années le voile se déchire, les souvenirs affluent, les rêves obsèdent. Et Natasha Trethewey comprend qu'elle n'a d'autre choix que d'affronter les failles d’un passé douloureux, pour retisser les fils qui la lient à sa mère et pour faire la paix avec l'enfant impuissante qu'elle était alors.

C'est ce chemin de douleur et de déchirements que retrace "Memorial Drive". Cela pourrait être sinistre et c'est tout le contraire: un récit d'une clairvoyance, d'une justesse et d'une dignité peu communes.

"Memorial Drive" peint un destin de femme noire dans le Mississipi des années 60. Grandie dans une famille joyeuse et militante, la mère rencontre à l'université un jeune poète Canadien, blanc. C'est l'été 64, et le Sud des États-Unis subit les campagnes de terreur du Ku Klux Klan en représailles aux manifestations pacifiques du Freedom Summer. L'année suivante, lorsque le jeune couple décide de se marier, il lui faut quitter le Mississipi qui, comme vingt autres États, interdit toujours les mariages mixtes. C'est dans ce contexte que naît leur petite fille, comme une promesse: "Tu es le meilleur des deux mondes".

Enfant métisse dans un monde où la ségrégation reste omniprésente, Natasha Trethewey apprend vite l'humiliation, l'oppression, "un profond sentiment de dislocation": "le traitement que je recevais variait tellement selon que je me trouvais avec ma mère ou mon père que je n'étais pas sûre de savoir à qui ou à quel lieu j'appartenais". Pour autant, l'enfance est "le lieu enchanté". Il volera en éclat avec le divorce des parents, puis le remariage de la mère avec un vétéran du Vietnam manipulateur et violent.

La page qui s'ouvre alors, celle que Natasha Trethewey a voulu effacer du livre de sa vie, n'est pas sans moments lumineux: sa mère est une femme joyeuse, battante, passionnée de danse et de soul. Elle tente dans le chaos de conserver des îlots de douceur pour sa fille et pour elle. Mais tout cela se disloque quand les menaces du mari deviennent des coups, de plus en plus fréquents, de plus en plus insoutenables. À mesure qu'elle tente de sortir de l'emprise de son mari en reprenant des études, en gravissant deux par deux les échelons de la réussite professionnelle, lui entre dans un tourbillon de perversité qui mènera au meurtre, et la jeune Natasha s'enferme dans le mutisme et l'impuissance.

Né d'une insondable douleur, "Memorial Drive" croise dans un récit intime des questions bien d'aujourd'hui (le racisme, le patriarcat, la violence conjugale, la double peine d'être femme et noire). C'est aussi un livre très profond sur le lien entre traumatisme et écriture. "L'important est le pouvoir transformateur de la métaphore et des histoires que nous nous racontons sur notre vie, son sens et la trajectoire qu'elle emprunte. (...) Pour survivre au traumatisme, il faut pouvoir le raconter sous forme d'histoire". L'écriture comme lieu de survie et d'apaisement: c'est le chemin emprunté par Natasha Trethewey pour tenir à distance la tristesse et le chaos. Et c'est bouleversant.

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Céline Leroy, 21.50 €btn commande

Disponible en format numérique ici