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Aujourd'hui, Joséphine a décidé qu'il fallait parler d'amour. Ses copains Suzie et Barnabé sont d'accord mais ne savent pas trop comment s'y prendre. Alors Joséphine, très sérieuse, s'assied comme un bouddha et laisse parler son coeur. C'est très doux, dans le coeur de Joséphine: il y a tout l'amour de sa maman, un amour qui dure pour toujours.
Vient le tour de Barnabé, puis de Suzie... C'est rigolo de parler d'amour avec eux. Bon d'accord, ils ne sont pas aussi appliqués que Joséphine le réclame, mais ils ne manquent pas d'idées et d'espièglerie pour parler de l'amour et des fleurs, du goût des brocolis et de ce bébé qui arrivera bientôt chez Suzie, et dont elle sait déjà qu'elle l'aimera "certainement pour toujours, mais peut-être pas tout le temps".
On retrouve avec délice Joséphine, Suzie et Barnabé, les oiseaux-philosophes de Catherine Pineur. Avec eux, nous avions parlé de la mort et de la vie dans T'es pas mort! D'un album à l'autre, Catherine Pineur déploie ce ton si juste, à hauteur d'enfants, mêlant malice et gravité pour parler de questions éternelles. On a envie d'entrer dans la conversion des trois amis, d'y ajouter un grain de sel, de poser de nouvelles questions. En groupe ou en famille, ces albums sont de belles façons de déclencher l'échange, le partage et l'émotion.
Éclatant de couleurs, T'es où l'amour joue sur une palette chaude et pleine de vie. La texture si riche de la couleur offre aux oiseaux, dessinés d'un trait tellement épuré, un écrin parfait.
T'es où l'amour? La réponse est simple: l'amour est partout dans ce si bel album!
Pastel / L'École des Loisirs, 12.50 euros
J'emporterai le feu vient clore avec maestria la trilogie que Leïla Slimani consacre à l'histoire d'une famille marocaine. Cinq ans après La guerre, la guerre, la guerre, trois ans après Regardez-nous danser, ce troisième volet nous plonge dans les dernières décennies du 20e siècle et lance des ponts jusqu'à aujourd'hui.
Amine Belhaj, soldat de l'Armée coloniale, rencontre Mathilde en Alsace à la fin de la seconde Guerre Mondiale. Coup de foudre, mariage et installation au Maroc. L'amour qui unit le jeune couple va être mis à l'épreuve du pays des autres. Mathilde devra faire sa place au sein d'une famille, d'une langue et d'une culture dont les codes sont bien différents de ceux où elle a grandi. Amine a beau vivre dans sa ville natale, lui aussi demeure au pays des autres, il a hérité de son père un terrain qu'il rêve de transformer en domaine agricole prospère. Lui qui a donné sa jeunesse à la France, il connaît les humiliations que les Français réservent à ceux qu'on appelle "les indigènes"; il ne pourra compter que sur son travail acharné et son tempérament visionnaire pour avancer.
Aïcha et Selim sont leurs enfants. Grandis auprès de ce couple mixte, ils doivent eux aussi lutter pour se forger une vie qui ressemble à leurs aspirations. La sage Aïcha entreprend les études de médecine que sa mère n'a pas pu faire. Elle rencontre Mehdi, étudiant flamboyant, marxiste, aspirant écrivain: un jeune homme ambitieux. Le Maroc de l'après-indépendance s'ouvre à grande vitesse à la modernité: regardez-les danser! Quant à Selim, les hippies du monde entier qui affluent dans les années '70 lui offrent un horizon qu'il ne trouvait pas aurpsè des siens. Bientôt ce sera pour lui l'exil américain, la découverte de la photographie, et une nouvelle quête au pays des autres.
Et puis nous voici aujourd'hui à tourner avidement les pages de J'emporterai le feu. Nous retrouvons avec bonheur la famille Belhaj-Daoud et faisons la connaissance des filles d'Aïcha et Mehdi. Mia et Inès, petites filles sauvages mais confinées dans l'espace domestique, déterminées et intelligentes, sont le cœur vibrant de ce troisième volume. Des héroïnes tout aussi inoubliables que les autres personnages croisés au fil de la trilogie.
En racontant au plus près les trajectoires intimes de chacun·e, Leïla Slimani déploie sur le temps long une fresque qui frappe par son universalité et déplie des questions éminemment contemporaines. Car ce qui se joue dans les vies de Mathilde et d'Amine, d'Aîcha et Mehdi, de Mia et Inès, ce sont les rapports de domination, le poids des héritages, la place des femmes, les questions liées à l'identité. D'une génération à l'autre, chaque personnage se débat pour trouver sa place dans un territoire, un corps ou un imaginaire accaparé par d'autres.
Sensuelle, éclatante, la fresque tisse ensemble mille et un moments de vie et déploie les points de vue, les émotions, les aspirations des un·es et des autres. Chacun de ces moments a sa tonalité propre, sa couleur, son épaisseur, comme les traits d'un tableau pointilliste. Un pas de recul et l'on est subjugué par l'ampleur de la fresque, son rythme soutenu et la façon dont elle entraîne dans sa cavale tout un monde débordant de vie.
Le Maroc a trouvé avec Le pays des autres son grand roman, capable d'embrasser sa beauté et sa complexité et d'embraser les cœurs.
Disponible en format numérique ici.
Le pays des autres: la guerre, la guerre, la guerre est disponible en grand format, en poche et en format numérique.
Regardez-nous danser est disponible en grand format, en poche et en format numérique
Pour bien démarrer l'année, le Syndicat des Libraires Francophones de Belgique propose la première édition du Prix des Librairies Indépendantes.
Douze libraires membres du Syndicat se sont réunis pour présélectionner cinq romans, et dès aujourd'hui nous soumettons ceux-ci à vos suffrages! Car ce Prix des Librairires, nous l'avons voulu participatif. C'est à vous qui fréquentez nos librairies que revient d'élire notre premier lauréat.
Alors? Quel titre choisirez-vous?
Lire la suite : Votez! Le prix des Librairies Indépendantes, c'est parti!
C’est le roman de nos temps inquiets. Il capte avec force l’angoisse qui nous étreint face à la montée des populismes, à la violence qui l’accompagne, au triomphe des "vérités alternatives". Paul Lynch avec Le chant du prophète propose une dystopie tellement proche des réalités de notre époque qu’il suscite un malaise persistant.
Alors que le pouvoir est passé aux mains d’un parti ouvertement fasciste, l’Irlande voit ses libertés s’éroder. Très vite, une police politique se met en place, traquant les moindres dissidences. Hébétés, la plupart des Irlandais font le gros dos et pensent que les choses finiront par s’arranger. Ils se trompent.
La force du Chant du Prophète tient à son focus très resserré. Nous suivons une famille résolument banale, les Stack. Larry, le père, est enseignant et syndicaliste. Son épouse Eilish est chercheuse dans un institut scientifique de pointe. Le couple a quatre enfants – les aînés entrent dans l’adolescence, le petit dernier vient de naître. Rien ne prédispose ces gens au tourbillon qui va s’abattre sur eux.
Le livre s’ouvre sur la visite de deux hommes, un soir, au domicile des Stack. Ils cherchent Larry qui n’est pas encore rentré. La tension de cette scène augurale plonge d’emblée dans l’effroi. Eilish s’inquiète de la pression mise par le gouvernement sur les syndicats alors que se prépare une grande manifestation enseignante. Larry balaie ses craintes, les jugeant excessives. Mais Larry ne reviendra pas de cette fameuse manifestation.
Commence alors pour Eilish et ses enfants une plongée dans l’horreur. L’arbitraire du pouvoir, ses mensonges éhontés, l’absence totale d’information sur le sort de Larry plongent les siens dans une panique de plus en plus irrépressible. La sœur d’Eilish, qui vit au Canada, les supplie de quitter l’Irlande : « l’histoire, dit elle, c'est le registre silencieux de ceux qui n’ont pas pu partir ». Eilish ne peut s’y résoudre tant qu’elle n’a pas de nouvelles de son compagnon. Mais bientôt il sera trop tard...
Le chant du prophète est un roman qui provoque une sensation oppressante de claustrophobie. Nous sommes enfermés dans la tête d’Eilish, dans le cauchemar que devient sa vie, et avançons comme elle en aveugles. Il lui faut sans cesse s’adapter à une situation de plus en plus hostile, prendre des décisions qui engagent ses enfants et son père vieillissant dont elle se sent responsable. Alors que le pays s’enfonce dans la guerre civile, quelles alternatives s’offrent à elle ? Et comment continuer à avancer quand tout ce qu’elle tenait pour sûr – l’amour, la famille, la démocratie – se désagrège devant elle, tel un château de sable balayé par la montée de l’eau ? Eilish, dans ses questionnements, dans les mensonges qu’elle invente pour protéger ses enfants, dans ses hallucinations nées de trop d’insomnies, de trop de privations, est une héroïne bouleversante.
Et si la descente aux enfers à laquelle mène Le chant du Prophète est par moments insoutenable, elle nous invite aussi à ne pas détourner le regard – afin que nous n’ayons pas à nous dire, un jour, qu’il est trop tard.
Éditions Albin Michel, traduit de l'anglais (Irlande) par Marina Boraso, 22.90 euros