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du meme bois fayolleL'avis de Régis:

C’est une ferme. Avec des bois tout autour. Et des montagnes qui regardent vers la ferme en pleurant des cailloux. Une ferme avec des vaches, et puis Pépé, Mémé, la tante, l’oncle, la mère. C’est là que grandit la gamine. Au milieu de tout ça. Au cœur même. Et ça gueule, ça meugle, ça chante parfois. Et ça travaille, ça travaille tout le temps jusqu’au corps qui lâche. Alors, les jeunes prennent la place des vieux et on recommence. C’est comme ça, c’est la ferme. La gamine, elle, elle pousse de travers, elle a comme une bête en elle qui rugit, qu’elle ne peut pas contenir, pas dresser, pas soigner. Elle sent qu’elle est différente. Et qu’elle partira. Que cette vie-là ne sera pas la sienne.

En une poignée de chapitres, Marion Fayolle fait surgir tout un monde. Celui de sa famille, fermiers du plateau ardéchois. Des fermiers en fin de parcours, bout du bout d’une lignée ancestrale. Avec des mots simples, elle dit l’amour de la terre, des animaux et du travail bien fait. Le travail répétitif, quotidien, éreintant de celles et ceux qui raclent, récurent, traient, cultivent. Elle dit aussi leur peur de voir les jeunes partir, leur chagrin d’être les derniers.

Dans ce roman, il y a mille odeurs. Des sensations, des accents. Des vaches dont les taches sont comme des continents, des petites îles, un archipel. Des robes à fleurs qui deviennent la prairie. Une Mémé qui a la même silhouette que le prunier du jardin. Le paysage déborde. Etable, paysage, corps : Marion Fayolle traque la beauté.

Elle montre aussi la vie âpre et taiseuse. Le grand-oncle, tout bancal, qu’on cache dans une aile secrète de la ferme, les colères de la gamine qu’on voudrait maîtriser. La mélancolie se faufile dans les failles, et les creux restent béants.

Depuis une dizaine d’années, Marion Fayolle publie des bandes dessinées et des livres illustrés aux éditions Magnani. Pour parler des siens, c’est la forme du roman qui a surgi. Un premier roman, rugueux et doux, qui s’impose par sa singularité. Du même bois est un récit de métamorphose et de transmission. C’est un chemin. De départ et de retour.

 

Gallimard, 16.50 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

quelque chose de brillant nelsonL'avis d'Anouk:

Les livres de Maggie Nelson hybrident les genres. Chez elle la théorie critique embrasse le récit intime, la philosophie se fait lyrique, l’érudition raffinée rencontre la rudesse des corps. Et toujours cette grâce qui fait de chaque texte un talisman précieux, une réserve où glaner sens, douceur et beauté.

C’est dire le plaisir de découvrir enfin en français, dans la très belle traduction de Céline Leroy, ce recueil de poèmes où la liberté et la singularité de Maggie Nelson éclairent les questions éternelles de l’amour et de la perte.

Quelque chose de brillant avec des trous, c’est la façon dont une jeune fille aveugle décrit sa propre main qu’elle n’a jamais vue. Tout le livre se tient là, entre présence et absence, dans l’intensité du regard porté autant à l’intérieur de soi que vers le monde qui nous entoure.

 

Éditions du Sous-Sol, traduit de l'anglais (États-Unis) par Céline Leroy, 17 eurosbtn commande

Les éditions du Sous-Sol viennent de republier dans leur collection de poche "Souterrains" les magnifiques Bleuets de Maggie Nelson.

genie sous la table yelchinL'avis d'Anouk:

Yevgueny a dix ans, et quand un lecteur ouvre Le génie sous la table, quel que soit son âge, il a dix ans lui aussi. C’est que ce livre capte à merveille l’esprit de l’enfance, sa vivacité et sa stupeur toujours renouvelée face au drôle de monde des adultes.

En racontant son enfance dans l’URSS des années 70, Eugène/Yevgueny Yelchin écrit des mémoires débordant de vie et de malice. Il déplie toutes les facettes d'un monde qui paraîtra bien dépaysant aux jeunes lecteurs d'aujourd'hui, mais la justesse du ton, la cocasserie de plusieurs scènes, l'émotion qui s'en dégage ne peuvent pas les laisser indifférents. À la suite de Yevgyeny et des siens (son frère, ses parents,  sa grand-mère), on se fait tout petit pour tenir tous ensemble dans une seule pièce, celle d'un appartement communautaire où il faut chaque soir repousser les meubles pour installer des lits de fortune.

Avec Yevgueny, le lecteur apprend aussi une vertu bien utile, celle de l’étonnement: ah bon, mais qu’est-ce que cela peut bien être, un rideau de fer? Et cette guerre froide, qui en fait était plutôt tiède, c’est bizarre, non? Quant au voisin Blinov, qui se cache derrière la porte de la cuisine pour épier toutes les conversations, est-il vraiment un espion ?

Dans cet étrange pays qui n’existe plus, dans cette ville de Leningrad dont le nom a changé, Yevgueny cherche sa place. Ses parents rêvent de faire de lui un génie, seul sésame pour échapper à l’appartement communautaire, aux files d’attente, à la morosité du quotidien. Mais leur fils semble absolument dépourvu de talent. Il ne brille ni à l’école, ni dans le sport, et malgré les espoirs de sa mère il y a peu de chance qu’il devienne danseur-étoile. À moins que... Car bien sûr Yevgueny a un don, un don merveilleux et singulier qu’il cache sous la table...

Le génie sous la table accompagne les pas du petit garçon qu’a été son auteur, aujourd'hui installé au Canada. Aux silences des adultes, qui ont appris à dissimuler désirs et émotions pour échapper à un régime totalitaire, Yevgueny oppose sa détermination inébranlable à comprendre le monde, à y mettre de l’ordre et de la couleur. Son chemin sera long, sinueux, marqué de deuils et de chagrins, mais porté par la conviction que demain sera plus beau qu’aujourd’hui.

 

L'École des Loisirs, collection Neuf, traduit de l'anglais (Canada) par Maurice Lomré, 13.50 €

btn commandeUn roman à lire dès 9 ans.

Balkanique

C’est un voyage littéraire aux mille couleurs auquel nous vous convions : en route pour les Balkans ! Une mosaïque de contrées aux paysages flamboyants

vivreL'avis d'Adrien :

En 1933, les jeunes juifs de Pologne, de 16 à 21 ans, se voient proposer un concours d’écriture en yiddish. Organisé par des sociologues du YIVO, l’institut pour la recherche juive, son but est en réalité plus ethnographique que littéraire. Libre à tous les participants anonymes de livrer ce qu’ils souhaitent, évoquer leurs amis, leur famille, leurs loisirs, leurs projets d’avenir, …

Le premier prix d’une des éditions du concours devait être remis le 1er septembre 1939 qui, funestement, sera le jour de l’attaque de la Pologne par les troupes allemandes. Ce prix ne sera jamais remis et les écrits, cachés, échappant au pillage nazi et aux destructions staliniennes, seront seulement retrouvés en 2017 dans les tuyaux d’orgue d’une église polonaise. Ken Krimstein, illustrateur pour The New Yorker et auteur de la bande dessinée « Les trois vies de Hannah Arendt » (Calmann-Lévy, 2018), a pu consulter ces cahiers et en ressort « Vivre ». Les faits sont vertigineux en tant que tels mais ça l’est encore plus de suivre ces six jeunes présentés ici par l’auteur américain et davantage encore car on sait ce qui a pu leur arriver.

Tout comme Krimstein, on ne peut qu’être ému·e en découvrant toutes les aspirations d’une génération martyre nous dévoilant ses secrets avec passion, spontanéité, liberté. Le trait est relâché, parfois doux, parfois rugueux, il virevolte et parfois explose, le tout dans un noir et blanc relié à l’époque délétère de ces années trente. Toutefois, il est surligné finement ou quelques fois saturé de couleur orange, qui donne vie, chaleur, dynamisme qui sied à cette jeunesse débordante.

Nous voyons à travers ces récits l’essor d’une société - le Yiddishland, région d’Europe de l’Est où était parlé le yiddish par dix millions de juifs jusqu’à sa destruction durant la Seconde Guerre mondiale - voulant plus que jamais allier la modernité à la tradition. On en apprend beaucoup sur l’éducation, les groupes de pensée, les syndicats, … qui cimentent, parfois divisent mais souvent élèvent la population.

« Vivre » nous crie la jeunesse !btn commande

Bourgois, traduit de l’anglas (États-Unis) par Gaïa Maniquant-Rogozyk, 25 €