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coups de coeur lecteursGrand merci aux lecteurs qui ont présenté leur coup de cœur pour les lectures d'été de ce samedi 1er juillet.

chemin du diable - ohlL'avis d'Anouk:

Entrer dans un roman de Jean-Pierre Ohl, c'est comme ouvrir une boîte de chocolats. On a beau s'armer de volonté, il est difficile de résister: allez, encore un chapitre! On retrouve avec délectation dans Le chemin du diable ce qui faisait le charme des Maîtres de Glenmarkie: un joyeux mélange de suspense, d'érudition et de loufoquerie orchestré par des personnages romanesques à souhait dans un décor so british. À ces ingrédients, Le chemin du diable ajoute une touche de gothique, un zeste de philosophie politique et le souffle épique du roman historique. C'est beaucoup pour un seul livre? Mais non: la plume allègre de Jean-Pierre Ohl, son ironie, son élégance, donnent à l'ensemble une incroyable fluidité, et l'on circule avec délice dans les méandres de son imagination débridée.

Nous sommes en 1824. Dans le Nord de l'Angleterre, la misère est une compagne quotidienne. Et ce n'est pas l'arrivée du chemin de fer sur ces terres ingrates qui rassure les habitants: n'est-ce pas là une invention du diable? L'ingénieur George Stephenson, inventeur visionnaire et idéaliste, est convaincu du contraire. À ses yeux, le train permettra de mieux partager les idées et les richesses. Mais voici que lors de travaux de drainage ses ouvriers déterrent un cadavre de femme. Les rumeurs et les spéculations affolent la petite ville de Darlington: ne s'agit-il pas de Lady Beresford, l'épouse française du châtelain local, dont la disparition vingt ans auparavant n'a jamais été résolue?

La recherche de la vérité va mettre en mouvement bien des intérêts contradictoires: sectes millénaristes, garants de l'ancien monde, financiers avides vont rivaliser d'inventivité perverse pour brouiller les pistes. Mais il y a aussi l'attachant Edward Bailey, devenu bien malgré lui notable de l'étriquée Darlington; il y a son comparse, l'énigmatique Seamus Snegg, et cette jolie Mrs Preston, qui vit par procuration dans les romans de Jane Austen, et Kirstie, et Leonard Vholes, et tous ces personnages débordants de vie et d'énergie, tous ces héros de papier auxquels Jean-Pierre Ohl donne tant de chair que l'on croirait les avoir près de soi. Tous cheminent vers une vérité qui sera bien loin de ce que les apparences laissaient entendre.

"Le chemin du diable" aurait pu être écrit par Wilkie Collins, tant le suspense tient en haleine. Il pourrait tout aussi bien s'agit d'un roman de Charles Dickens, pour la description habitée de l'accablante misère qui va de pair avec le triomphe de la révolution industrielle. Dickens est d'ailleurs le maître à penser et à écrire de Jean-Perre Ohl, qui lui a consacré une biographie et un précédent roman. Les clins d'oeil à son œuvre sont nombreux tout au long du livre, et l'auteur de David Copperfield fait même une jubilatoire apparition. Lord Byron n'est jamais loin non plus, et les ombres de Rousseau, de Danton et de bien d'autres éclairent les destinées des personnages.

Et alors, pourrait-on dire? À quoi bon, au XXIe siècle, écrire un roman à la manière des Anglais d'autrefois? À quoi bon ce facétieux kaléidoscope d'histoires du passé? N'est-ce là qu'un brillant divertissement? Non, bien sûr. On ne manquera pas de trouver, sous le décor historique, un miroir tendu à notre monde. La fascination pour la technique, la certitude que la "modernité" vaut tous les sacrifices humains, la course au profit outrancier: n'est-ce pas un constat toujours aussi parlant en 2017 qu'en 1824? L'allégresse, chez Jean-Pierre Ohl, ne va pas sans la mélancolie, et la conscience aigüe de la fragilité de nos destinées. Et cela donne à son Chemin du diable une dimension profondément émouvante.

Assurément une jolie réussite.

Gallimard, 21 €

Disponible en format numériquebtn commande

ton coeur comme un poingL'avis d'Edith:

Les manifestations de Seattle de 1999, en opposition au sommet de l'OMC, sont connues comme une clé de voûte de l’altermondialisme. L’ampleur des manifestations et des actions directes non-violentes qui ont eu lieu ce jour-là pour tenter d’empêcher des négociations économiques profondément inégales et la répression policière brutale qui a suivi ont marqué d’une pierre blanche la lutte altermondialiste.

Seattle c’est donc beaucoup d’essais et pas tant de romans que ça. Et on ne sait pas tout de suite bien par quel côté on va l’appréhender ce fameux Seattle. Sunil Yapa relève le défi de nous transmettre à sa manière quelque chose de ce moment historique. À travers le brouillard de gaz lacrymogènes et d’une construction pleine de flash-back, il nous propose une mosaïque de regards sur ces quelques journées bouleversées : un jeune gars paumé parti de chez lui il y a des années, une policière issue des quartiers, une militante aguerrie, un major de police, le délégué du Sri Lanka dont la prise de conscience de ces deux journées vont mener à une fronde des pays du Sud…

Si les regards sont variés, le parti-pris est néanmoins limpide. Dans la mosaïque complexe et embrumée résonne un cri clair, le cri du cœur de tous ceux et celles qui croient qu’enrayer la machine est possible et qui tentent de le faire, hier, aujourd’hui, demain. Sunil Yapa souffle sur la flamme du contre-sommet avec une ferveur assumée, sans gants, en diluant la violence du présent dans les fils passés de l’histoire de chacun. On découvre, derrière les images figées des grands événements, des détails d'histoires, de personnes, d'anecdotes qui auraient pu avoir lieu. Au final, une construction par moments un peu alambiquée, mais un regard enrichissant sur les humains de ces journées-là et une découverte partielle et partiale d'un grand moment de l'action directe non-violente.

 

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cyrielle Ayakatsikas, Rivages, 23.50€ btn commande

georgeL'avis d'Edith:

Ce roman est une pépite : un plaisir d’histoire et un trésor de finesse humaine.

George veut de tout son cœur jouer le rôle de Charlotte l’araignée dans la pièce de l’école. George est passionnée par ce rôle. Parce que George, s’il a tout d’un petit garçon, est une fille au fond de lui. Heureusement du côté de George, il y a une meilleure amie en or qui prend les choses comme elles sont et qui sera une alliée extraordinaire ; il y a aussi un grand mélange d’amour, de maladresse et d’inquiétudes chez sa maman ; il y a un grand frère finalement plus subtil qu'on ne le croit, il y a le théâtre et son évasion... et il y a chaque lecteur et chaque lectrice qu’Alex Gino place derrière l’épaule de George.

Cette question sur soi, si grande pour un enfant, Alex Gino nous la transmet avec une simplicité de maître. Dès les premières lignes, la note est donnée et la grammaire vient en renfort. George est accordée au féminin et c’est son point de vue qu’on adopte.

Sans pathos et sans que l’explication de cette question de société qu'est le transgénérisme prenne le moins du monde le pas sur l’histoire, Alex Gino réalise une prouesse. L'auteur parvient à nous transmettre dans une histoire par ailleurs super chouette une question complexe de manière belle et évidente. Là où certains pourraient craindre d'aborder avec autant de simplicité la question de l'identité sexuelle, le livre nous semble plutôt offrir une belle porte d'entrée. Alex Gino, adulte transgenre qui ne se définit ni comme un homme ni comme une femme, a mis une dizaine d'années pour écrire ce premier roman, dont le résultat est d'une grande finesse et sensibilité.

A offrir aux enfants qui se posent des questions, aux enfants qui ne s’en posent pas, aux enfants qui aiment lire, à ceux qui n'aiment pas parce que ça se lit vraiment bien, aux adultes qui croient savoir, aux adultes qui ne savent pas, à lire soi-même.

Merci Alex Gino, merci George.

 

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Francis Kerline, Ecole des Loisirs, 14.50€. btn commande

 

 

074L'avis d'Adrien :

Tout se déroule avant que le procureur Rudolf Giuliani ne devienne maire de New-York et ne fasse substantiellement baisser la criminalité. Le journaliste musical français Karim Madani nous entraîne dans une plongée noire et passionnante dans les banlieues abandonnées de New-York à travers les destinées de quatre gangsters juifs new-yorkais. La vie est dure, sombre dans le Brooklyn des années 1990.

Il y a Ethan Horowitz, habile voleur de voitures. Il passe néanmoins par la case prison pincé en train de voler une Pontiac appartenant à un flic. Deux ans de taule plus tard, Ethan est back in the game et rejoint les lo-life, le gang qui a rhabillé le hip-hop en Ralph Lauren, Ralph Lo (sic), puis, passe à un business plus juteux, mais évidemment plus dangereux. Les psychologues avaient tenté de comprendre sa cartographie mentale, essayé d’emprunter toutes ces autoroutes censées mener à un enfer familial, la drogue, la maltraitance, mais Ethan n’avait jamais été maltraité. Brooklyn était tout simplement toxique. Des gens s’intoxiquaient à l’amiante, lui c’étaient aux vapeurs du quartier.

Il y a aussi JJ qui a monté son propre groupe de jeunes filles juives. Celles-ci, bien qu’au départ filles modèles, décident d'en découdre avec l'un des plus dangereux gangs latino, les Latin Kings. Touchant de plus près au milieu, elles s'y brulent les ailes.

Et enfin, les deux frères Ill Bill et Necro dont l'avenir balance entre d'un côté les gangs, de l'autre une carrière dans le hip-hop. Mais pourquoi n'embrasseraient-ils pas ces deux voies à la fois ?

Karim Madani au fil de voyages à New-York a rencontré beaucoup de monde dans le milieu du hip-hop. Ce réseau s’est étendu, jusqu’à rencontrer toute cette galaxie de personnages bigger than life. Il nous livre un récit ethnologique sans jugement et on s’attache à chacun en espérant que leur avenir sera meilleur. Car comme le rappait Melle Mel pour Grand Master Flash en 1982, It’s like a jungle sometimes. It makes me wonder how I keep from goin’ under. {C’est comme la jungle parfois. Je me demande comment je me retiendrai de ne pas sombrer.btn commande

Marchialy, 2017, 18 €