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pouponniere dhimmler de mulderL'avis d'Anouk:

Dans la Bavière à feu et à sang de 1944, Heim Hochland demeure paisible. L’ambiance est feutrée, la nourriture abondante, l’hygiène irréprochable. Dans cette maternité modèle des nazis, femmes enceintes et jeunes mères avec leurs bébés semblent protégées de la dévastation. C’est ce lieu et sa sinistre ambivalence qui sont au centre du nouveau roman de Caroline de Mulder, La pouponnière d’Himmler. Au Lebensborn s’incarne l’obsession eugéniste insensée des nazis, obsession engluée dans la contradiction puisque le prétendu service de la vie alimente une idéologie visant la mort – le destin de ces enfants mâles si choyés n’est-il pas de mourir glorieusement pour l’Allemagne ?

Trois personnages font explorer la complexité d’Heim Hochland. Il y a d’abord Renée, une jeune Normande tondue dans son village lorsqu’on apprend qu’elle est enceinte d’un soldat allemand. En fuite, Renée trouve refuge dans l’Allemagne ennemie. Au Lebensborn, elle croise une infirmière à peine plus âgée, Helga. Cette femme qui, il n’y a pas si longtemps encore, vivait sans remettre en cause la nécessité de son institution est de plus en plus habitée par le doute. Son journal intime rend compte de ses hésitations, encore vacillantes et fragilisées par la conscience de leur inconvenance. Enfin il y a Marek, prisonnier polonais détaché du camp de Dachau pour travailler dans le parc de la maternité, un homme ravagé par la faim et luttant pour sa survie. Les murs érigés entre ces trois personnages sont infranchissables mais ils sont parfois percés par des gestes d’empathie, comme un reste d’humanité qui aurait échappé au totalitarisme de la pensée nazie.

À Heim Hochland, on vit retranché du monde et du temps dans un huis-clos de plus en plus oppressant. Et pourtant la violence du dehors s’éprouve à chaque instant, la guerre invisible trouble toute pensée, l’ombre de l’extermination s’étend partout. C’est la force de l’écriture de Caroline de Mulder de rester au plus près des flux de pensée de ses trois personnages tout en faisant éprouver puissamment le hors-champ et en suggérant toute la complexité de l’époque.

Intense et malaisante, la lecture de La pouponnière d’Himmler est une plongée au cœur de la machinerie totalitaire et de la façon dont elle s’empare des corps et des esprits.

Gallimard, 21.50 eurosbtn commande

exil toujours recommencé defossez fassinL'avis d'Anouk:

C’est un livre passionnant, qui se tient en équilibre sur le fil ténu entre recherche scientifique et engagement citoyen.

Anne-Claire Defossez, sociologue, et Didier Fassin, anthropologue et médecin, y déplient leurs chroniques de la frontière franco-italienne. Les Alpes, et tout particulièrement la région de Briançon, sont une voie empruntée chaque année par quelques milliers d’exilés, femmes, hommes et enfants. Démographiquement, c'est marginal. Et pourtant: ces quelques milliers de personnes pèsent un lourd poids politique. Dans leur tentative de gagner la France, qui n'est souvent que la dernière étape d'un périple long et périlleux vers le Royaume-Uni ou le Nord de l'Europe, ces personnes exilées doivent faire face à la militarisation de la zone frontalière et à un ahurissant déploiement de forces de l’ordre dont la mission est de les refouler.

Mais le Briançonnais est aussi, de longue date, une terre de luttes et de résistance. De très nombreux habitants de la région, soutenus par des citoyens venus de plus loin, s’y relaient pour porter accueil et assistance aux exilés. Maraudeurs, hébergeurs, associations... tous ces acteurs de la solidarité pas si ordinaire prennent eux aussi des risques alors qu'ils tentent de donner sens au principe consitutionnel de fraternité. Harcèlement, contrôles, interpellations: tout est mis en place pour décourager leurs actions.

Ces trois groupes humains (exilés, forces de l’ordre et volontaires) ont à interagir avec des éléments qui les dépassent : la frontière d’une part, institution protéiforme et menaçante, où se jouent l’espace et le temps ; la montagne d’autre part, à la fois protectrice et source de dangers supplémentaires. Alors que la frontière entre deux États membres de l'Union Européenne est une notion que l'on pensait vouée à la dissolution, voici qu'en ce début du 21e siècle cette frontière retrouve vigueur. Elle n'est plus une ligne mais une zone qui étend sa menace sur plusieurs kilomètres de part et d'autre. La menace et l'insécurité s'en trouvent décuplées pour les exilés. Et puisque la frontière passe à travers les montagnes, elle pousse ces hommes, ces femmes et ces enfants, souvent mal préparés et peu équipés, à prendre des risques considérables, allant jusqu'à mettre leur vie en danger.

Ce sont toutes ces dimensions qu’éclaire le travail précis et précieux des deux auteurs. De leur « observation participante », ils tissent un savoir fragile et inquiet mais essentiel pour ébranler les murs de notre trop grande indifférence.

"Les frontières racontent l'histoire – l'histoire des nations et l'histoire des gens. Elles disent l'histoire de notre temps".

 

Éditions du Seuil, La Couleur des Idées, 24 eurosbtn commande

edith la petite fille qui avait 100 ans valckxL'avis d'Anouk et Régis

On aime tout chez Catharina Valckx: le trait vif et la fantaisie, le sens de l’humour et celui de l’amitié, l’attention aux plus petits et cette façon bien à elle de raconter des histoires écrites juste à la bonne hauteur, celle des enfants.

Quel plaisir aujourd’hui de mettre nos pas dans ceux d’Edith, la petite fille qui avait cent ans ! C’est qu’Edith ouvre de nouveaux chemins dans l’œuvre de Catharina Valckx. C’est un livre audacieux par son format – une histoire au long cours, un vrai roman porté par l’écriture riche et subtile de l’autrice; audacieux surtout par les questions qu’il aborde et qu’on ne lit pas si souvent dans les livres pour enfants: la perte, la vieillesse et la mort, ce temps dont on aimerait s’affranchir mais qui est le cœur de nos vies. Catharina Valckx fait confiance aux enfants, à leurs émotions et à leurs intuitions. Elle a bien raison.

Voici donc l’histoire d’Edith, une petite fille qui a cent ans. Cent ans ? Pas possible ! Mais si: c’est une fée qui a offert à Edith l’enfance éternelle, il y a un siècle de cela, au temps où les fées existaient encore même si elles commençaient à se faire rares. Les parents d’Edith sont follement heureux: pour leur fille, il n’y aura que les jeux et les rires de l’enfance, toute une vie d’insouciance. Et pourtant…


À sept ans, Edith cesse de grandir. Ses amis se détournent bientôt d’elle. Ils ont leur vie à vivre, eux, et ne peuvent pas rester éternellement dans le monde de leurs sept ans. Et voilà la solitude qui s’empare du cœur d’Edith. Une solitude si profonde et si triste que rien ne peut la combler, pas même la présence de ses parents aimants. « L’éternelle enfance, c’est juste l’éternel ennui ».


Et puis un jour Edith a cent ans. C’est un anniversaire en or, il porte en lui un peu de magie. Ce jour-là, Edith décide d’utiliser cet autre don offert par une très jeune fée, la première à s’être penchée sur son berceau : elle va animer un objet. Et pas n’importe lequel. Edith choisit un joli citron. Une formule magique plus tard, il devient Ikki, un super compagnon pour Edith et son chien Polochon. La petite fille de cent ans ne le sait pas encore, mais Ikki va transformer sa vie.


Ikki comprend vite la tristesse d’Edith et… il a un plan. Un plan en apparence très simple: il suffit de trouver une fée capable d’annuler le don de l’éternelle enfance. Il faudra de l’obstination et du courage à nos amis pour arriver à leurs fins. Un peu de chance aussi, sous la forme d’un vieux lutin rencontré par hasard. Il faudra surtout, pour Edith, accepter que le temps la reprenne dans sa course, avec tout ce que cela implique, se plier à ses lois implacables, vieillir et mourir un jour. Mais Edith est prête, accompagnée par de nouveaux amis. L’aventure est belle: c’est celle de la vie !


Edith est un album qui deviendra un classique. On s’y fait des amis chers, ceux qui devinent avant même qu’on l’ait formulé tout ce dont nous avons besoin. On y réfléchit à ce que c’est que l’enfance. Et puis il y a le dessin au trait si épuré de Catharina Valckx, les clins d’œil aux lignes Art Déco (Edith naît aux alentours de 1920), l’attention aux tissus et aux textures, et cette palette douce où éclate le jaune pétillant d’Ikki.


Pour tout cela et tant d’autres choses encore, on vous le prédit: Edith est un album que vous connaîtrez bientôt par cœur et relirez au moins autant de fois qu’Edith a d’années.

 

L'École des Loisirs, 16 eurosbtn commande

la disparition dHervé SnoutL'avis de Maryse:

Mercredi 17 avril 2024, c’est l’anniversaire d’Hervé Snout, 45 ans, et sa femme Odile remue une dernière fois dans la casserole de bœuf bourguignon qui mijote depuis la veille. Tout est prêt, les enfants sont rentrés du collège et sont disposés à passer à table, la grande villa est tranquille, et on n’attend plus qu’Hervé Snout. Il est en retard. Les minutes filent, les ados affamés commencent à manger. Il n’est pas arrivé. Les heures passent, la soirée se termine. Hervé Snout ne rentre pas. Ni le lendemain, ni les jours qui suivent, on ne reverra Hervé Snout. Le matin même, il s’était pourtant muni de sa verste, de ses clés, de son ordinateur et de son portefeuille, avait enfourché son vélo, comme d’habitude, pour se rendre à l’abattoir du bourg de province, une entreprise qu’il a reprise à bout de bras et qu’il dirige désormais de main de maître.

Où est passé Hervé Snout ?

La police s’empare indolemment de l’affaire, l’épouse est sidérée, le fils est désemparé, la fille est détachée. Les ouvriers de l’abattoir ne cessent pas leur ouvrage, les bestiaux continuent d’affluer en nombre, de beugler, de pleurer, de tomber, de se vider, d’être débités, emballés et livrés.

Qui est vraiment Hervé Snout ?

Dans ce roman haletant dont l’action est datée d’aujourd’hui, Olivier Bordaçarre élabore de manière impeccable une analyse glaçante du monde du travail, de la famille bourgeoise et du couple. Subtilement, chacun des protagonistes tient un rôle prééminent dans l’intrigue et le lecteur avance à tâtons dans l’ombre qui les submerge. Le style est incisif, parfois grinçant, et l’intensité du récit va crescendo, tout comme le pouls du lecteur qui dévore les pages jusqu’au bouquet final. La disparition d’Hervé Snout, par Olivier Bordaçarre, est un roman intelligent, efficace, et fort pertinemment classé dans la collection « Sueurs froides » chez Denoël.

Éditions Denoël, 21 euros.btn commande

origine des larmes duboisL'avis d'Anouk:

Il s’appelle Paul, vit à Toulouse où il est né un 20 février, il aime les chiens et le cinéma: Paul Sorensen partage tout cela avec les héros des autres romans de Jean-Paul Dubois. Ces petits détails égrenés de livre en livre, ainsi qu’un entêtant sentiment d’étrangeté, sont la signature du romancier et font que l’on se sent d’emblée en intimité lorsque l’on ouvre un de ses livres.

L’origine des larmes pour autant est un roman qui trace de nouveaux sillons dans l’œuvre si riche de Jean-Paul Dubois. Il s’ouvre en 2032, dans un futur très proche mais intrigant. Depuis des mois et des années, il pleut sur la France comme il pleure en Paul Sorensen. L’eau qui ruisselle, fait déborder les rivières, estompe les paysages, c’est la même que celle des larmes retenues par Paul.

Homme solitaire et blessé, Paul va nous dérouler le fil de son histoire, et elle est poignante. Tout commence par une tragédie, une béance originelle impossible à combler : la mort de sa mère et de son frère jumeau pendant l’accouchement. Voici Paul lancé dans le monde avec le poids de cette double absence. Il grandit auprès d’un père violent et manipulateur, et la haine qu’il lui voue devient une obsession – presque l’unique raison de vivre de ce garçon qui a dû, d’emblée, renoncer à tout. Son père, Paul finira par le tuer. Mais il attend pour cela qu’il soit déjà mort. C’est à la morgue que le fils loge deux balles dans le crâne du père. Un geste fou et désespéré, qui désarçonne la justice. Pour toute condamnation, Paul devra pendant un an rencontrer un psychiatre et explorer avec celui-ci « les friches de [son] âme ».

Les chapitres brefs et tendus de L’origine des larmes égrènent les sessions chez un psy qui, lui aussi, en sait long sur les larmes. Au fil de leurs entretiens, Paul et Guzman vont éplucher « les minutes du dégât des hommes ». Un travail éprouvant pour Paul, contraint de « solliciter sa mémoire en permanence, la maintenir sur les rails de l’exactitude, absorber les répliques des instants les plus émouvants », mais qui va aussi être une forme d’échappatoire à la haine et l’occasion de se réapproprier ses souvenirs, sa vie, son destin.

La pluie incessante reflète le dérèglement et l’incertitude qui pèsent sur notre monde, mais selon Paul « chaque averse, prise individuellement, m’offre une pause, un peu de paix, allégeant le poids des jours et celui d’être ». De même les rencontres avec Guzman, qui sont comme « une expédition incertaine, périlleuse et lointaine », portent aussi, fragile, délicat, décisif, la possibilité d’un recommencement.

C’est dans cette tension-là que se tient L’origine des larmes, roman teinté de noirceur et de désespérance mais qui sait aussi, avec l’ironie et l’acuité que l’on aime infiniment chez Jean-Paul Dubois, faire poindre la lumière derrière le rideau des larmes.

 

Éditions de l'Olivier, 21 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici