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Ours et ses lunettesL'avis de Maryse: 

Ours a perdu ses lunettes. Et, sans elles, le moins que l'on puisse dire est qu'il ne voit pas très bien. Alors qu'il part à leur recherche, il aperçoit de drôles de choses sur son chemin!

Un nouvel album hilarant, rempli de joyeux quiproquos, pour faire pouffer à coup sûr les petits binoclards et les autres, de 3 à 5 ans.

Cambourakis, 15 euros.

deserter enardL'avis d'Anouk:

Avril 2022. Une femme arrive à Weimar pour un bref séjour. Elle gravit l’Ettersberg, à quelques kilomètres à peine du centre-ville. Là, dans le château baroque qui domine la colline, se sont croisés Goethe et Schiller. Là, sur cette même colline, le camp de Buchenwald a perverti à jamais la tranquille sérénité de ce coin d’Allemagne.

Irina Heudeber fait ce voyage pour mettre ses pas dans ceux de son père Paul, mathématicien de génie et rescapé du camp. Elle se rappelle comment vingt ans plus tôt, un certain 11 septembre 2001, elle avait organisé avec un cénacle d’universitaires une journée d’hommage à ce père tant aimé, pour qui « les mathématiques étaient l’autre nom de l’espoir » et qui par fidélité à ses idéaux communistes n’a jamais voulu quitter Berlin-Est. Cette journée de commémoration, sur un bateau de croisière amarré sur la Havel, s’était terminée dans l’effarement – l’effondrement des tours scellant un siècle décidément voué à la dévastation.

Il faut du courage à Irina Heudeber pour ouvrir les yeux sur l’histoire de son père, celle de sa mère, celle de son pays. Elle a beau avancer en âge, elle ne s’habitue pas à ce constat amer : « Tout est contaminé par le mensonge ». Le récit d’Irina se lit comme l’archive des vies de ses parents : une archive tourmentée, parcellaire mais recelant aussi des éclats de beauté, de passion, de poésie.

Adossée à ce texte très construit, une voix s’élève. C’est la voix d’un homme jeune qui décide un matin de printemps de tourner le dos à la guerre. Il tente d’arracher celle-ci de son corps et de son âme comme on se défait de vêtements souillés mais la guerre est tenace. Elle s’insinue dans ses gestes, dans ses rêves, dans sa tentative de retour à la pureté de l’enfance. Dans l’âpreté d’un paysage de montagne, la voix se fait poème, prière, incantation. Est-ce que déserter, c’est toujours trahir ? Cet homme qui gravit la montagne et cherche le salut, pourra-t-il s’abstraire de la violence, celle du monde et la sienne propre ?

En alternant le récit d’Irina, tellement inscrite dans les fracas du 20e siècle, et cette voix immémoriale, anonyme, universelle puisqu’elle ne s’ancre pas dans un conflit précis mais pourrait être de toutes les guerres, Mathias Énard construit un roman d’une extrême profondeur. Mais si l’architecture romanesque est virtuose, sa précision n’étouffe jamais, bien au contraire, la puissance des sensations et des émotions. La langue, somptueuse, fait vibrer chaque page et renvoie chacun à ses interrogations les plus intimes.

C’est un roman fascinant que ce Déserter, dont le titre claque comme une injonction. Fascinant par sa grande originalité formelle, fascinant par la profondeur de ce qui s’y joue, fascinant par l’élégante évidence du talent de Mathias Énard.

 

Mathias Énard sera à la librairie le jeudi 30 novembre pour nous parler de Déserter: un rendez-vous à ne pas manquer!

 

Actes Sud, 21.80 euros - disponible en format numérique icibtn commande

pour qui je me prends saint martinL'avis d'Anouk:

Il y a bien des façons de s'échapper d'une enfance douloureuse, mais celle qu'a choisie Lori Saint-Martin est singulière.

À dix ans, son premier cours de français sonne pour elle comme une révélation: c'est dans une nouvelle langue qu'elle va trancher les fils qui l'attachent à sa famille (un père absent, une mère qui lui fait payer ses propres échecs) et à la ville étriquée où elle a grandi. De cette langue française qu'elle s'est choisie, Lori Saint-Martin fait un instrument puissant d'émancipation. Elle l'apprend avec rage et passion, consciente qu'il n'y aura pas d'autre clé pour ouvrir la porte derrière laquelle elle se sent enfermée. À dix-huit ans, elle quitte l'Ontario pour le Québec et extirpe l'anglais de sa vie. À sa langue maternelle elle préfère sa langue de renaissance. Devenue chercheuse, éditrice et traductrice, elle consacre sa vie au français, la langue dans laquelle elle s'est créée et qui l'a sauvée des chemins tout tracés.

C'est ce parcours de liberté que raconte Pour qui je me prends, un livre âpre et beau qui se lit comme un refus de toutes les assignations. C'est aussi un hommage à l'impureté et au métissage: "J'aime les exilés, les diasporés, les transfuges linguistiques et les asilés politiques, les sabirisants et les patoisants et même les baragouinants, les Indiens qui écrivent en anglais et les Slaves qui écrivent en français et les Marocains qui écrivent en catalan, les interprètes, les passeurs, les dissidents et les mépriseurs de frontières, les sans-papiers et les sans-filet, les inventeurs de mondes et les métisseurs de formes, tous ceux qui mêlent les langues comme on mêle les cartes".

Par-delà la volonté farouche qu'a Lori Saint-Martin de se déprendre de sa famille, et tout particulièrement de sa mère, "Pour qui je me prends" offre une réflexion saisissante sur la filiation et la transmission. C'est en devenant mère à son tour que la petite fille en colère va trouver le chemin de l'apaisement et la force de refaire la route en sens inverse pour se réconcilier avec les siens.

Éditions de l'Olivier, 17 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

 

boite a berk beziatL'avis d'Anouk:

Il n'est pas très propre – ah, mais vraiment pas propre du tout.

Il ne sent pas bon: à quand remonte son dernier passage en machine?

On l'appelle Berk, c'est mérité mais... on l'aime quand même!

Eh oui, Berk, c'est la perfection faite doudou: tout doux, tout mou, tout fou. Avec lui, la maison devient un sacré terrain d'aventures, de la chambre à la cuisine en passant par la salle de bain. Et aujourd'hui, dans un cinquième album tonitruant, Berk et ses copains explorent un territoire où, foi de doudou, on pose rarement la patte: la boîte à lettres!

Alors c'est promis: plus jamais vous ne regarderez du même œil cette boîte pas si banale où attend votre courrier. Il peut s'y passer des trucs terribles. Tout commence par une partie de cache-cache entre amis. Berk s'installe dans la boîte, il n'y a pas meilleure cachette. Puis Trouillette l'y rejoint – Trouillette la bien nommée, tortue aux nerfs sensibles et aux angoisses communicatives. Elle a beau avoir l'habitude de la vie en carapace, Trouillette est claustrophobe. Or, c'est bien connu, une boîte aux lettres ne s'ouvre pas de l'intérieur. Et les autres d'ailleurs, où sont-ils passés? Auraient-ils oublié Berk et Trouillette? Les deux complices vont-ils mourir atrocement écrasés sous un tas de lettres, abandonnés de tous? Ah, quel suspens, que d'émotions!

Avec ce scénario imparable et un sens parfait du huis-clos, Julien Béziat signe un album débordant d'humour et de facéties. On retrouve les ingrédients qui pimentent chacun des livres centrés sur Berk et sa bande. Le narrateur est un enfant que l'on ne voit jamais, mais à qui Berk raconte tout. La langue est savoureuse, les dialogues claquent – voilà des livres que l'on a plaisir à relire soir après soir, sans se lasser. Et puis le dessin de Julien Béziat, dynamique, efficace, est toujours en mouvement, même dans l'espace confiné d'une boîte à lettres. L'album est d'autant plus réussi qu'il est à la taille de la boîte, ce qui permet d'ingénieux jeux d'échelle et nous fait éprouver le sentiment de promiscuité qui gagne Berk et ses amis. Et on ne vous dit rien de la chute, juste une toute petite chose: les éclats de rire sont garantis.

Pastel - L'École des Loisirs, 13.50 eurosbtn commande

Retrouvez notre chronique Une semaine pour cheminer avec Julien Béziat.

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trust diazL'avis d'Anouk:

Trust est un livre-matriochka: une collection de quatre romans si habilement emboîtés les uns dans les autres qu'elle en donne le vertige. Labyrinthique et brillant, le second roman d'Hernan Diaz nous parvient auréolé du Prix Pulitzer dans une épatante traduction de Nicolas Richard.

Au départ, il y a un texte on ne peut plus classique, un roman intitulé Obligations et signé Harold Vanner. On y suit la fulgurante ascension d'un homme d'affaire new-yorkais, Benjamin Rask, qui par son génie mathématique et son audace démultiplie la déjà confortable fortune familale. À New York, en ce début de 20e siècle, tout semble possible et l'optimisme est tapageur. D'un coup d'éclat à l'autre, Rask devient un magnat incontournable, l'un des rares à prospérer même sur les décombres de la Grande Dépression. Tandis que Rask poursuit la construction de son empire, son épouse Helen s'étiole et sombre peu à peu dans la folie. Elle meurt dans le luxueux sanatorium suisse où son époux l'a envoyée, victime d'une séance particulièrement violente d'électrochocs.

Le roman d'Harold Vanner est un best-seller, et ce n'est pas pour plaire à Andrew Bevel. C'est que c'est sa propre vie qu'il reconnaît dans les pages d'Obligations – sa vie et celle de son épouse Mildred, récemment décédée d'un cancer soigné en Suisse. Bevel veut rétablir la vérité et laver, surtout, l'honneur de Mildred qui n'a jamais côtoyé la maladie mentale. C'est la seconde partie de Trust, et elle vient invalider la première – nous, les lecteurs, nous nous sommes laissés berner par une fiction, un roman malveillant, d'autant plus scandaleux qu'Harold Vanner était un proche de Mildred et avait profité de ses largesses.

L'autobiographie partielle et fragmentaire que livre Andrew Bevel va elle-même être emportée par le souffle de la troisième partie du livre. Arrivée au soir de sa vie, Ida Partenza visite le musée qu'est devenu le manoir des Bevel. Elle se rappelle sa jeunesse et comment, à vingt ans à peine, elle s'est fait engager par Andrew pour faire de ses bribes autobiographiques un vrai livre de Mémores, quitte à enjoliver le passé, à mentir s'il le faut, à lisser l'image de son couple au point de rendre bien fade la figure de Mildred. Ida était jeune, elle n'a pas saisi les enjeux du tour de passe-passe que l'on attendait d'elle. Et même si le livre voulu par le magnat n'a pas vu le jour, Ida reste rongée par le sentiment d'avoir participé à une manipulation retorse: Bevel voulait par-dessus tout dissimuler l'intelligence de sa femme, dont il s'est sans scrupule approprié les plus belles intuitions.

Cinquante ans durant, Ida n'a cessé de penser à Mildred. Son obstination amènera l'ultime coup de théâtre de Trust: la découverte du journal de Mildred, où se lit à découvert tout ce qui a été caché, trahi, tronqué par son époux. La boucle se referme, et l'on en vient à se demander si Mildred n'est pas la véritable autrice du roman d'Harold Vanner...

De rebondissement en rebondissement, Hernan Diaz nous fait douter de tout, sauf du pouvoir infini de la littérature. En s'emparant des mythes fondateurs américains (l'individu tout-puissant, la fascination pour la fortune), il les subvertit avec une inventivité peu commune. Comme Ida qui a conservé précieusement un buvard de Mildred où s'inscrivait, à l'envers, les secrets qu'elle n'a pas réussi à percer, comme le père d'Ida, typographe anarchiste à qui son métier a appris à lire le monde à l'envers, Hernan Diaz nous partage un savoir de révolutionnaires: "ils savaient que la matrice du monde était inversée, et même si la réalité était à l'énvers, ils pouvaient la comprendre au premier coup d'oeil."

Brillant et subjuguant!

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, 23.50 euros

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