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coeur angleterre - coeL'avis de Régis:

Que dire encore de Jonathan Coe qui ne soit déjà dit, écrit, répété? Comment chroniquer un tel livre sans reprendre les formules toutes faites: «roman d’une génération», «roman du Brexit», «satire politique»? Peut-être écrire simplement que l’auteur culte de notre jeunesse (avec Testament à l’anglaise ou La maison du sommeil) nous éblouit une fois encore avec Le cœur de l’Angleterre.

Parfaitement traduit par la grande Josée Kamoun (traductrice par ailleurs de Richard Ford, John Irving, Jack Kerouac ou Philip Roth… excusez du peu!), ce roman s’impose comme un très grand cru de l’année. En près de 600 pages, Jonathan Coe «attrape» la vie comme personne, nous montre nos semblables, et surtout nous parle de nous, de notre monde. De nos espoirs et de nos désillusions.

D’avril 2010 à septembre 2018, nous renouons avec les personnages de Bienvenue au club et Le cercle fermé: Benjamin Trotter et sa sœur Loïs, son ami Doug, sa nièce Sophie et de très nombreux seconds rôles auxquels Jonathan Coe insuffle une présence peu commune. Toutes et tous sont aux prises avec une Angleterre en crise: les inégalités se creusent, la classe politique baigne dans l’entre-soi, le populisme gagne du terrain et libère la parole raciste. C’est l’euphorie collective et éphémère des J.O. de Londres, c’est surtout la terrible et fatale époque du pré-Brexit.

Le génie de Jonathan Coe, et ce qui en fait un immense écrivain, est de ne pas faire de tout cela un roman à thèse, un roman journalistique comme il y en a tant. De livre en livre, il nous montre combien la chose politique est étroitement liée à l’intime, à notre part la plus secrète. Mais ses romans, et ce Cœur de l’Angleterre en particulier, s’attachent plus que tout à dire LA vie, tellement plus complexe et multiple qu’un référendum, quel qu’il soit.  Les premières amours qui ne passent pas, les amitiés qui durent toujours, les regards en coin, les silences regrettés… Lui seul a le don de dire tout cela, de pénétrer dans l’épaisseur de nos quotidiens.

Et avec une nonchalance, une mélancolie et un humour tellement, tellement… british ! Régalez-vous: lisez Jonathan Coe !    

Gallimard, traduit de l'anglais par Josée Kamoun, 23 €

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blues marczewskiL'avis d'Anouk

"Liège, ville lumière! Liège, ville éternelle! Liège, ville qui ne dort jamais! Liège, Venise du Nord! Liège, Big Apple! Liège, perle de l'Orient! Liège, cité des anges! Liège, ville trois fois sainte! Liège, berceau de l'écriture! Liège, la Sublime Porte! Liège, The Mother City! Liège, la fiancée de la Méditerranée! Liège, la perle de l'Adriatique! Liège, la reine des plages et la plage des rois! Liège, capitale des Gaules! Liège, la porte du Midi! Liège!"

Dix textes comme autant d'invitations à marcher, rêver, penser avec et par Liège: voici ce que nous offre Philippe Marczewski dans ce premier livre  éminemment singulier. Un fleuve prisonnier, un passé rebelle, des héros et des sacrifiés: le livre charrie images d'aujourd'hui et mythologies éternelles. Et puis il y a la musique, envoûtante, omniprésente — dans l'écriture ample, dans les ombres de jazzmen oubliés, dans l'abandon et la mélancolie.

Éditions Inculte, 17.50 eurosbtn commande

chimere - pireyreL'avis de Clémence:

Avez-vous déjà vu une manouche idéaliste pratiquante, une biologiste passionnée d’OGM, une journaliste ne maîtrisant pas son sujet, un anthropologue qui vit dans les aéroports et une créature dite «chimère» extrêmement intelligente interagir dans un roman? Maintenant oui.


Emmanuelle Pireyre, à travers une satire politique et sociale poussée à son paroxysme, nous emmène dans la vie de ses multiples personnages dont les destins se rencontrent, devant faire face aux défis et aux dérives de notre époque. Chacun mène sa vie paisiblement, englué dans le quotidien, lorsqu’arrive un élément déclencheur qui viendra tout perturber: une missive, un coup de téléphone, un cadeau, un service demandé, ... Tous se voient propulsés hors de leur routine et contraints à participer à un programme qui s’échine à appliquer le concept de démocratie participative. Lors d’une conférence qui s’étendra sur plusieurs jours, chaque pays européen sera représenté et devra débattre sur une thématique imposée pour proposer des solutions aux diverses polémiques. La France, qui regroupe un panel très large, se verra attribuer le sujet du Temps Libre. C’est là que tout déraille et que la dérision d’Emmanuelle Pireyre prend place avec force.


Ce roman jouissif, drôle et fin, qui questionne les nombreux sujets sérieux d’actualité, nous invite à en rire plutôt qu’à en pleurer.

L'Olivier, 18.50 €btn commande

eloge des batards - rosenthalL'avis d'Anouk:

Boccace, dans son Décameron, déroule les récits que dix protagonistes retirés du monde se confient au fil de dix nuits pour conjurer la peur de la Grande Peste. Chez Olivia Rosenthal, il n'est pas question de peste, mais d'une catastrophe dont on peine à cerner les contours. Pas question non plus, pour les neuf personnes qui débattent cinq nuits durant dans Éloge des bâtards de se retrancher à l'abri du monde: non, c'est au coeur de la ville en lutte qu'ils se retrouvent pour échanger, organiser la révolution, remonter le fil de l'histoire.

Éloge des bâtards est un livre bien d'aujourd'hui, affûté et subversif. Ses neuf personnages sont autant d'énigmes. Ils viennent des quatre vents, portent des pseudos, se sont affranchis de tous les héritages. Ils se retrouvent dans la lutte contre un pouvoir fascisant et les milices qui le servent, contre l'aménagement de la ville qui se met en place pour assurer la "normalisation généralisée".

Face à leur insurrection tour à tour grave et joyeuse, on ne peut pas ne pas penser aux mouvements zadistes et à leur puissance inspirante: "nous tenons tête aux milices, nous tenons tête aux familles, nous tenons tête à l'ordre et à la logique". Entre tous ces militants surgis d'horizons parfois très différents, il y a bien des tensions et des ruptures, mais subsiste un lien plus fort que ces points de discorde — leur conscience d'être tous, et pour toujours, "des bâtards consentants". Ce désordre originel, intime, sera le moteur du désordre global qu'ils comptent semer dans la ville.

En quête "d'interstices par où s'enfuir" d'un réel oppressant, les neuf bâtards montrent le chemin et viennent nous rappeler que la lutte n'est jamais finie: "On se promettait de poursuivre et de recommencer parce qu'il n'ya rien de plus actif en nous que l'indocilité".

Verticales, 20 €

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cora dans la spirale - messageL'avis d'Anouk:

"Lorsque j'ai commencé à écrire cette histoire (...), j'ai dit que l'histoire de Cora était une toute petite histoire parmi toutes les histoires du monde. Et puis, dans la foulée, qu'il n'y a pas de petite histoire, que toutes les vies sont dignes d'être commémorées. Je rêve d'un monde où on se raconterait les vies humaines les unes après les autres, avec assez de lenteur, d'incertitudes et de répétitions pour qu'elles acquièrent la force des mythes".

C'est sous cet angle humaniste que le narrateur de Cora dans la spirale entreprend de raconter une histoire "banale" de notre temps. Cora se rêvait photographe. Elle a renoncé à ses ambitions artistiques pour se caser, sagement, dans une compagnie d'assurance. Sa vie est tissée de bien des renoncements, mais Cora s'y plie de bonne grâce, certaine que l'essentiel est ailleurs: sa vie avec Pierre et l'arrivée de leur petite fille.

Lorsque, de retour au travail après son congé de maternité, Cora entame un nouveau carnet — il restait quelques pages vierges dans le précédent, mais elle voulait marquer ce nouveau départ —, elle note "J'espère que tout va être bien, que tout va bien se passer". Et pourtant. La compagnie pour laquelle elle travaille, longtemps familiale, vient d'être rachetée par un grand groupe. Commence alors le sinistre bal du management hypercapitaliste: la vie en open space, les mots vidés de tout sens (on restructure, on rationnalise, on optimise), la pression qui petit à petit ronge tous les instants d'une vie. Cora est jeune, douée, amoureuse, c'est une femme libre et généreuse, mais broyée par son travail elle s'achemine vers "des tristesses indéchiffrables". Et c'est implacable.

Avec ce roman tendu et tragique, virulent mais jamais manichéen, Vincent Message réussit à donner chair aux maux de notre société opulente. Ses portraits d'hommes et de femmes sonnent juste et remuent au plus profond, "car (...) c'est de nous qu'il s'agit. Le combat qui a cessé quelque part reprend ailleurs, et c'est le même combat".

Cora dans la spirale est un roman virtuose dans sa forme, bouleversant dans son propos, et s'impose comme l'une des lectures immanquables de cette rentrée littéraire.

Le Seuil, 21 €btn commande