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Quand CcileL'avis d'Adrien : 

Avec Philippe Marczewski nous nous étions promené·e·s dans un Liège prolétaire et jazz avec le recueil déambulatoire Blues pour trois tombes et un fantôme (Inculte, 2019); dans Un corps tropical – prix Rossel 2021 –, nous étions baladé·e·s d’Europe du Nord en Amérique du Sud en compagnie d’un anti-héros malgré-lui et voilà que cette fois, l’auteur nous entraîne, avec un tout autre ton et chez un autre éditeur, dans les méandres du temps et de la mémoire sur les traces de Cécile, tragiquement disparue en août 2021, à 27 ans, dans un accident d’avion.

Notre narrateur a eu avec la jeune femme une brève histoire d’amour, ils se sont séparés, se sont éloignés mais la mort brutale est un choc pour celui qui reste. Après sa disparition, les réminiscences affluent tout en restant vagues et celles-ci tendent inexorablement à s’effacer jusqu’à l’apparition d’une femme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, serait-ce elle?, ravivant et rendant plus réels encore les souvenirs.


Dès avant les veillées funéraires, le narrateur se rappelait la jeunesse, la blondeur, le vent dans les cheveux, sur la peau, un temps où tout avenir leur tendait les bras. Il se demande ce qu’il en reste, ce qui a été et ce qui est vraiment. Il essaye de s’accrocher à des bribes de pensées, extraites de la “mélasse obscure de sa mémoire”.

Récit introspectif sur la perte, l’étiolement, l'oubli, les fantômes, Quand Cécile joue sa partition sur un fil ténu, des émotions palpables sur des faits insaisissables. Composition d’une seule et même phrase d’un peu plus de 100 pages, monologue intime qu’on suit comme une enquête, que reste-t-il de nos morts? Il faudrait pouvoir "dépasser le souvenir (...), grimper sur les fragments comme sur un marchepied pour voir plus loin" car Quand Cécile c’est ça: bien plus qu’un récit de deuil, c’est un livre de sensations ineffables comme le synthétise de façon si belle et juste l’épigraphe de Maurice Blanchot, "Qui veut se souvenir doit se confier à l’oubli, à ce risque qu’est l’oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir".

Editions du Seuil, 17.50 €
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immensita de changyL'avis d'Anouk:

À Immensità, la vie se noue autour d’un Jardin vaste et généreux. On y fait ses premiers pas et on y est enterré: le Jardin balise toute l’expérience humaine.

Jusqu’à ce matin où la terre tremble à Immensità. L’haleine glaciale d’une vague noire et subite dévaste cette ville heureuse et disperse les survivants, accueillis dans de lointains dispensaires. C’est là que Mauve, adolescente vaillante, fait la rencontre de Pons. Il faudra du temps et de l’attention pour réparer leurs corps blessés et leurs cœurs inquiets, du temps aussi pour qu’ils regagnent leur ville où le Jardin a repris ses droits. Mais ce temps-là, Mauve, Pons et les autres vont le mettre à profit pour inventer de nouvelles façons d’habiter ensemble.

Récit d’une utopie en marche, Immensità est une fable fervente, portée par la langue aérienne de Victoire de Changy.

Cambourakis,15 eurosbtn commande

du meme bois fayolleL'avis de Régis:

C’est une ferme. Avec des bois tout autour. Et des montagnes qui regardent vers la ferme en pleurant des cailloux. Une ferme avec des vaches, et puis Pépé, Mémé, la tante, l’oncle, la mère. C’est là que grandit la gamine. Au milieu de tout ça. Au cœur même. Et ça gueule, ça meugle, ça chante parfois. Et ça travaille, ça travaille tout le temps jusqu’au corps qui lâche. Alors, les jeunes prennent la place des vieux et on recommence. C’est comme ça, c’est la ferme. La gamine, elle, elle pousse de travers, elle a comme une bête en elle qui rugit, qu’elle ne peut pas contenir, pas dresser, pas soigner. Elle sent qu’elle est différente. Et qu’elle partira. Que cette vie-là ne sera pas la sienne.

En une poignée de chapitres, Marion Fayolle fait surgir tout un monde. Celui de sa famille, fermiers du plateau ardéchois. Des fermiers en fin de parcours, bout du bout d’une lignée ancestrale. Avec des mots simples, elle dit l’amour de la terre, des animaux et du travail bien fait. Le travail répétitif, quotidien, éreintant de celles et ceux qui raclent, récurent, traient, cultivent. Elle dit aussi leur peur de voir les jeunes partir, leur chagrin d’être les derniers.

Dans ce roman, il y a mille odeurs. Des sensations, des accents. Des vaches dont les taches sont comme des continents, des petites îles, un archipel. Des robes à fleurs qui deviennent la prairie. Une Mémé qui a la même silhouette que le prunier du jardin. Le paysage déborde. Etable, paysage, corps : Marion Fayolle traque la beauté.

Elle montre aussi la vie âpre et taiseuse. Le grand-oncle, tout bancal, qu’on cache dans une aile secrète de la ferme, les colères de la gamine qu’on voudrait maîtriser. La mélancolie se faufile dans les failles, et les creux restent béants.

Depuis une dizaine d’années, Marion Fayolle publie des bandes dessinées et des livres illustrés aux éditions Magnani. Pour parler des siens, c’est la forme du roman qui a surgi. Un premier roman, rugueux et doux, qui s’impose par sa singularité. Du même bois est un récit de métamorphose et de transmission. C’est un chemin. De départ et de retour.

 

Gallimard, 16.50 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

quelque chose de brillant nelsonL'avis d'Anouk:

Les livres de Maggie Nelson hybrident les genres. Chez elle la théorie critique embrasse le récit intime, la philosophie se fait lyrique, l’érudition raffinée rencontre la rudesse des corps. Et toujours cette grâce qui fait de chaque texte un talisman précieux, une réserve où glaner sens, douceur et beauté.

C’est dire le plaisir de découvrir enfin en français, dans la très belle traduction de Céline Leroy, ce recueil de poèmes où la liberté et la singularité de Maggie Nelson éclairent les questions éternelles de l’amour et de la perte.

Quelque chose de brillant avec des trous, c’est la façon dont une jeune fille aveugle décrit sa propre main qu’elle n’a jamais vue. Tout le livre se tient là, entre présence et absence, dans l’intensité du regard porté autant à l’intérieur de soi que vers le monde qui nous entoure.

 

Éditions du Sous-Sol, traduit de l'anglais (États-Unis) par Céline Leroy, 17 eurosbtn commande

Les éditions du Sous-Sol viennent de republier dans leur collection de poche "Souterrains" les magnifiques Bleuets de Maggie Nelson.

genie sous la table yelchinL'avis d'Anouk:

Yevgueny a dix ans, et quand un lecteur ouvre Le génie sous la table, quel que soit son âge, il a dix ans lui aussi. C’est que ce livre capte à merveille l’esprit de l’enfance, sa vivacité et sa stupeur toujours renouvelée face au drôle de monde des adultes.

En racontant son enfance dans l’URSS des années 70, Eugène/Yevgueny Yelchin écrit des mémoires débordant de vie et de malice. Il déplie toutes les facettes d'un monde qui paraîtra bien dépaysant aux jeunes lecteurs d'aujourd'hui, mais la justesse du ton, la cocasserie de plusieurs scènes, l'émotion qui s'en dégage ne peuvent pas les laisser indifférents. À la suite de Yevgyeny et des siens (son frère, ses parents,  sa grand-mère), on se fait tout petit pour tenir tous ensemble dans une seule pièce, celle d'un appartement communautaire où il faut chaque soir repousser les meubles pour installer des lits de fortune.

Avec Yevgueny, le lecteur apprend aussi une vertu bien utile, celle de l’étonnement: ah bon, mais qu’est-ce que cela peut bien être, un rideau de fer? Et cette guerre froide, qui en fait était plutôt tiède, c’est bizarre, non? Quant au voisin Blinov, qui se cache derrière la porte de la cuisine pour épier toutes les conversations, est-il vraiment un espion ?

Dans cet étrange pays qui n’existe plus, dans cette ville de Leningrad dont le nom a changé, Yevgueny cherche sa place. Ses parents rêvent de faire de lui un génie, seul sésame pour échapper à l’appartement communautaire, aux files d’attente, à la morosité du quotidien. Mais leur fils semble absolument dépourvu de talent. Il ne brille ni à l’école, ni dans le sport, et malgré les espoirs de sa mère il y a peu de chance qu’il devienne danseur-étoile. À moins que... Car bien sûr Yevgueny a un don, un don merveilleux et singulier qu’il cache sous la table...

Le génie sous la table accompagne les pas du petit garçon qu’a été son auteur, aujourd'hui installé au Canada. Aux silences des adultes, qui ont appris à dissimuler désirs et émotions pour échapper à un régime totalitaire, Yevgueny oppose sa détermination inébranlable à comprendre le monde, à y mettre de l’ordre et de la couleur. Son chemin sera long, sinueux, marqué de deuils et de chagrins, mais porté par la conviction que demain sera plus beau qu’aujourd’hui.

 

L'École des Loisirs, collection Neuf, traduit de l'anglais (Canada) par Maurice Lomré, 13.50 €

btn commandeUn roman à lire dès 9 ans.