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un enlevement begaudeauL'avis d'Anouk:

Les livres qui parviennent à déclencher à la fois le rire, la pensée et l'émotion ne sont pas si nombreux. C'est une équation un peu périlleuse, et «Un enlèvement» la résout avec panache.

 

Soit une famille en vacances. Quelques journées ensoleillées au bord d'une plage coquette, censées représenter pour parents et enfants le point d'apothéose de toute une année.

 

C'est ce terrain de jeu que choisit François Bégaudeau, et il prend un plaisir manifeste à dézinguer la carte postale – plaisir communicatif et un peu honteux tant on se reconnaît dans les travers de cette famille bien sous tous les rapports, aux parents aimants, investis dans le bonheur et la réussite de leurs enfants, bienveillants comme on doit l'être en 2020. Leur fille d'ailleurs, tellement mûre pour ses 11 ans, semble avancer sans heurts sur le chemin tracé pour elle, à coup de réparties brillantes et d'un épatant talent de manipulatrice. La famille est bien entendu ultra-connectée, efficace et performante jusque dans ses loisirs, tellement convaincue d'être plus tolérante, plus écolo, plus vertueuse que ses voisins. Comme souvent, François Bégaudeau excelle par son regard sociologique. Son sens du détail réjouit, tout comme sa capacité à incarner la novlangue vidée de sens et de chair, devenue un outil au service de la reproduction sociale.

 

Mais bien entendu, et c'est là que le livre gagne en consistance, le vernis ne résiste pas longtemps. Il y a, tout d'abord, l'incapacité manifeste des Legendre à sortir de leur bulle sociale. Chacune des incursions de la famille dans "la vraie vie" révèle sa morgue, sa bien-pensance, son étroitesse de vue – la scène des yaourts restera à cet égard comme un morceau d'anthologie, où la cocasserie se double d'un profond malaise. Il y a aussi le magma de mensonges et de silences qui gangrène une façade tellement lisse. Il y a surtout, au sein-même de la famille, un élément qui pervertit le théâtre des convenances: Louis, le petit frère, sept ans à peine, qui tarde à marcher dans les clous. À la consternation de ses parents, Louis sort de CP sans savoir lire. Sa passivité déconcerte, ses centres d'intérêt inquiètent, il faut agir et recadrer.

 

Et l'on se dit peu à peu que François Bégaudeau s'est joué de nous. La chronique familiale, portrait au vitriol de la France de Macron, était une fausse piste. C'est ailleurs que l'essentiel se joue: dans la subversion menée sotto voce par un enfant de sept ans, attachant Bartleby qui kidnappe la fin du livre pour un élégant pied de nez. C'est pour cela qu'on aime tant François Bégaudeau: sous son air caustique, il est au fond un écrivain romantique, un idéaliste perdu dans notre époque sans idées et sans idéaux. Tous ses livres naissent d'une même conviction, revigorante: la politique n'est rien sans la poétique – à moins que cela ne soit l'inverse ?

 

Verticales, 18 eurosbtn commande

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