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passe - hadleyL'avis d'Anouk:

C'est un livre rare et précieux, dont le charme opère d'abord par touches légères avant de vous emporter avec une puissance insoupçonnée. "Le passé" de Tessa Hadley concentre tout ce que l'on aime chez les grandes romancières anglaises: la précision des portraits, la subtilité des sentiments, la sensualité et bien sûr cette ironie piquante qui, de Jane Austen à Rachel Cusk, tisse une généalogie littéraire longue de deux siècles. En un mot: "Le passé" a la grâce immédiate d'un grand classique.

L'histoire? On l'a lue mille fois. Trois soeurs et leur frère se retrouvent le temps d'un été dans la maison des grands-parents, repaire idyllique et conservatoire de leurs plus beaux souvenirs d'enfance et d'adolescence. Coupés de leurs vies quotidiennes, ils retrouvent leur complicité en même temps que les jalousies secrètes qui jalonnent toute histoire de famille.

Une histoire banale, sans doute, tant le huis-clos familial est une source d'inspiration inépuisable pour les romanciers. Pourtant Tessa Hadley écrit un livre qui est tout sauf banal. Ses portraits de femmes, tout d'abord, sont inoubliables. Harriet, Alice et Fran, les trois soeurs, forment le cœur magnifique du livre. Leur mère Jill, emportée par un cancer alors que la fratrie quittait à peine l'enfance, a légué à chacune une part de sa personnalité riche et complexe: la fibre révolutionnaire pour Harriet, qui s'oublie dans ses engagements pour un monde plus juste; à Alice la fantaisie, la gourmandise pour la vie, l'intensité émotionnelle; et pour Fran la cadette la rigueur et le sens pratique qui font défaut aux aînées. Le fil subtil qui se noue et se dénoue entre ces trois femmes, l'amour qui circule entre elles malgré les incompréhensions et les rivalités, donnent au "Passé" une évidente résonance tchékhovienne.

Et puis il y a le monde de l'enfance, que Tessa Hadley dépeint avec une justesse réjouissante. Ivy et Arthur, les deux jeunes enfants de Fran, sont formidables de vérité. Leurs jeux parfois cruels, leurs secrets, leur lucidité quand il s'agit de percer les contradictions et les fragilités des adultes: tout fait d'eux des acteurs à part entière de ce qui se joue dans la maison de Kington.

Mais là où Tessa Hadley est vraiment incomparable, c'est dans sa façon de parler du temps qui passe, d'en donner le grain, le velours, l'épaisseur. "Le passé" est un livre résolument contemporain, qui regarde sans nostalgie le monde d'hier se dissoudre dans notre aujourd'hui. Les retrouvailles des quatre enfants Crane et leurs hésitations quant à ce qu'ils vont faire de la maison familiale (la garder comme une relique du passé, la moderniser, la vendre?) sont le reflet des doutes de toute une génération.  Que reste-t-il des convictions austères sur lesquelles le grand-père, pasteur et poète, a bâti sa vie? Comment continuer à faire vivre les idéaux de sa jeunesse quand il devient évident que le monde les a rejetés? Comment garder serrés les liens de la fratrie quand chacun a pris des chemins différents? A toutes ces questions, "Le passé" se garde bien d'apporter des réponses univoques. Disons plutôt que pour chacun de ses personnages, le roman sème des cailloux qui les mèneront, peut-être, vers une nouvelle façon d'être au monde, d'être aux autres. Et c'est bouleversant.

Christian Bourgois, traduit de l'anglais par Aurélie Tronchet, 22 €btn commande

ton coeur comme un poingL'avis d'Edith:

Les manifestations de Seattle de 1999, en opposition au sommet de l'OMC, sont connues comme une clé de voûte de l’altermondialisme. L’ampleur des manifestations et des actions directes non-violentes qui ont eu lieu ce jour-là pour tenter d’empêcher des négociations économiques profondément inégales et la répression policière brutale qui a suivi ont marqué d’une pierre blanche la lutte altermondialiste.

Seattle c’est donc beaucoup d’essais et pas tant de romans que ça. Et on ne sait pas tout de suite bien par quel côté on va l’appréhender ce fameux Seattle. Sunil Yapa relève le défi de nous transmettre à sa manière quelque chose de ce moment historique. À travers le brouillard de gaz lacrymogènes et d’une construction pleine de flash-back, il nous propose une mosaïque de regards sur ces quelques journées bouleversées : un jeune gars paumé parti de chez lui il y a des années, une policière issue des quartiers, une militante aguerrie, un major de police, le délégué du Sri Lanka dont la prise de conscience de ces deux journées vont mener à une fronde des pays du Sud…

Si les regards sont variés, le parti-pris est néanmoins limpide. Dans la mosaïque complexe et embrumée résonne un cri clair, le cri du cœur de tous ceux et celles qui croient qu’enrayer la machine est possible et qui tentent de le faire, hier, aujourd’hui, demain. Sunil Yapa souffle sur la flamme du contre-sommet avec une ferveur assumée, sans gants, en diluant la violence du présent dans les fils passés de l’histoire de chacun. On découvre, derrière les images figées des grands événements, des détails d'histoires, de personnes, d'anecdotes qui auraient pu avoir lieu. Au final, une construction par moments un peu alambiquée, mais un regard enrichissant sur les humains de ces journées-là et une découverte partielle et partiale d'un grand moment de l'action directe non-violente.

 

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cyrielle Ayakatsikas, Rivages, 23.50€ btn commande

073L'avis d'Adrien :

Ecrit en 1987, Attachement féroce dissèque la relation de l’auteure, féministe alors déjà réputée aux Etats-Unis, avec sa mère, mais aussi avec ses amants et globalement avec tout qui elle interagit. A travers les chamailleries, vraies disputes et éclats de rire de Vivian et sa veuve de mère, tantôt acariâtre tantôt compréhensive, on déambule dans New-York à la recherche d’apaisement général. Et rien ne s'apaise jamais vraiment mais tout tend à plus de clarté.

Au début de ces mémoires, nous restons dans l’immeuble de jeunesse. Là ne vivent que des femmes. Les hommes sont au travail, décédés ou ont quitté le navire. Les appartements sont imbriqués les uns dans les autres et toutes communiquent, s'invectivent, s'entraident par les coursives, les fenêtres. On y suit notamment la vamp Nettie qui voudra apprendre à Vivian à devenir une séductrice. La relation mère-fille n’est pas simple et quand on commence à bien la cerner, on tombe dans le vertige de l’amour selon Vivian, ses relations de couple et comment sa mère les appréhende. Ce qui amplifiait nos luttes, majorait notre angoisse, gonflait notre confusion, c’était le sujet du sexe. Chaque fil de chaque histoire (un mariage avec un artiste bougon, un amant régulier voisin d’enfance se radicalisant dans le judaïsme orthodoxe, un amant leader syndicaliste marié) est tiré et détricoté et c'est peu de dire que les trois relations apportent leur lot de petites joies mais surtout de tumultes et d'inconfort.

On se laisse entrainer dans New-York et en cela c’est une magnifique déclaration d’amour à la ville qui l’a vu naître. On est aussi réellement emporté par les réflexions de Gornick sur sa vie. Elle nous parle à chacun de nous et le fait de façon vraiment passionnante en renouvelant le genre autobiographique. A la manière d’une Alison Bechdel avec Fun Home, Vivian Gornick comprend ce qu’elle est devenue en revenant sur son passé et comment sa mère l’a inconsciemment mais durablement construite. C’est juif, new-yorkais, c’est l’après-guerre, mais quand ça touche à ce point à l’universel, c’est simplement formidable.btn commande

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux, Rivages, 2017, 20 €.