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La PommeraieL'avis d'Adrien : 

Du haut de ses 34 ans, Frith, jeune professeure d’université, nous raconte son enfance dans une cabane en rondins du Vermont où elle a vécu avec sa mère Hayley. Celle-ci grande traductrice de Li Xue, poétesse chinoise du temps de la Dynastie Tang a décidé de se retirer du monde académique et de la société urbaine en règle générale. Elle continue néanmoins à traduire patiemment cette poésie empreinte d’amour, de nature, de solitude et d’espérance. Dans ces grandes plaines vermontoises, mère et fille vivent chichement du peu de pommes – non conformes pour le marché – qu’elles cueillent et des quelques gallons de sirop d’érable qu’elles récoltent.

Frith observe cette période de sa vie avec le recul de l’âge adulte. Elle nous décrit tout un monde : leur chien Ours, le vieux pick-up surnommé Oliver, le club voisin de bikers, de tendres brutes, l’école un jour par semaine et enfin Rosie, une sculptrice qui elle aussi a fui la ville pour arriver dans ce bled du Vermont et débouler dans leur vie en venant compléter le duo. Frith se revoit reine de cette oasis préservée.
On est loin de la sauvagerie de "La rivière" et de la violence de "La constellation du chien", restent la poésie, la nature, l’amour et la légèreté engendrée par ces trois éléments réunis.

Et waouw, c’est beau, on y rit mais on doit bien dire aussi qu’on y fond en larmes et c’est le cœur à la fois gros de quitter Frith et sa galaxie et léger d’avoir fait sa connaissance.

Actes Sud, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 22.50 €  btn commande

le bleu est la couleur la plus rare electreL'avis de Maryse:

Le roman oscille entre deux histoires de vies – celle d’une mère et celle de sa fille – et entre deux époques. Il démarre aux heures bleues de l’aube, dans l’est australien de 1973. Une jeune femme, accompagnée de son nourrisson, fuit la brutalité de son mari et prend la route de la chaîne des Blue Mountains, lieu des rares moments de joie de son enfance. L’angoisse est palpable, la course effrénée, mais la quiétude et la consolation semblent attendre au bout du chemin. Au fil des pages et du long voyage, l’histoire de cette femme est dépeinte par touches, et le puzzle de sa vie se construit sous nos yeux : une enfance malheureuse au sein d’une famille dysfonctionnelle, suivie d’une jeunesse sur voie de reconstruction jusqu’à la rencontre avec lui, le sanguin, le pernicieux, le toxique, et à la naissance du bébé, un soleil éclatant dans l’obscurité.

33 ans plus tôt, sa mère rencontrait un jeune soldat en partance pour la guerre qui, complètement brisé à son retour, deviendrait pourtant un jour père. De la même façon, le parcours de vie de cette femme se déploie doucement, avec subtilité, jusqu’à ce que le lecteur en découvre les stries profondes.

Le bleu est la couleur la plus rare est un roman d’une grande sensibilité, qui décrypte avec nuance la relation d’une mère et de sa fille. Sarah Schmidt, dont le talent de conteuse est indéniable, y interroge les effets du poids du silence et l’héritage des traumas à travers les générations. Elle y explore habilement les mystères tacites des liens familiaux et plus singulièrement des liens maternels. Ses personnages sont délicatement brossés, leurs ressentis paraissent plus vrais que nature et l’empathie qu’ils suscitent marquent l’esprit du lecteur.

Voici un texte empreint d’une englobante mélancolie bleue, ce qui n’empêche pas son intrigue d’intensément rebondir – rappelant ainsi au lecteur un peu rodé les tout bons romans de Laura Kasischke.

Rivages, traduit de l'anglais (Australie) par Mathilde Bach, 22 euros. btn commande

voix de la riviere rae thonL'avis d'Anouk:

Un rayon de lumière trouve son chemin à travers les branches hautes – or scintillant, éclat mouvant, grâce.

Voilà l'effet que produit la lecture de La voix de la rivière, un livre qui vous éclabousse de lumière et de beauté.

L'histoire pourtant est tragique mais elle est racontée depuis la vie, la vie têtue, invincible et toujours réinventée. Melanie Rae Thon est une écrivaine rare et trop méconnue. Elle écrit comme chantent les oiseaux, depuis la frontière entre les mondes. La pureté de sa langue, le lyrisme qui y pulse, la limpidité de la construction font de ce roman un instant suspendu.

Comme dans Iona Moon, Melanie Rae Thon raconte des vies âpres et poignantes, marquées de deuils, d'arrachements, de violence sociale. Et pourtant "ceux qui espèrent survivent", et même les destinées les plus tragiques ont leurs épiphanies d'amour et de perfection. Dans ce coin perdu des États-Unis, il y a des enfants sans-abri, des corps meurtris par la guerre, des âmes écrasées de souvenirs douloureux. Il y a aussi deux cousins, Kai et Tulanie, nés à neuf jours l'un de l'autre et qui s'aimaient déjà dans le ventre de leurs mères. Autour de ces deux garçons, 17 ans seulement mais ayant déjà éprouvé de l'expérience humaine tant de joies et de peines, le récit se tisse. Il alterne plans serrés et séquences vastes comme des mondes: "plus rien n'est séparé à présent, plus rien en dehors du mystère – pierre, nuage, arbre, rivière".

Le roman s'ouvre dans le froid glacial d'un matin de février. Kai est sorti avec son chien. Emporté à la poursuite d'un écureuil, le chien passe la rivière gelée mais la glace cède sous son poids et la rivière l'engloutit. Le garçon accourt, tombe à son tour dans l'eau glacée, se laisse arracher par le courant. Pourra-t-on enlever Kai à l'emprise de l'eau et du froid? La communauté se mobilise pour sauver le garçon, chacun avec son histoire, ses failles, ses convictions. Chacun avec son chant, au gré des heures de la journée et des chapires du roman.

"Tant que l'eau parle, il faut que j'écoute", disait la grand-mère de Kai. La voix de la rivière est la pulsation de cette épopée collective. En elle fusionnent les paroles et les silences des hommes, les cris des animaux, le reflet du ciel, l'entrelacs des racines. Melanie Rae Thon n'a pas son pareil pour dérouler la toile du vivant. Son roman-monde tient sur un petit bout de terre et en une seule journée mais réussit à capter la vie dans ses infinis miroitements. "Combien de temps dure un jour dans une vie d'enfant?" À n'en pas douter: une éternité.

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Mathilde Bach, 22.50 eurosbtn commande