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yoga carrereL'avis de Régis:

Son projet était d'écrire un petit livre «souriant et subtil» sur le yoga, cet art qu'Emmanuel Carrère pratique depuis si longtemps. Mais le chaos a tout balayé, nerveusement, irrémédiablement. Chaos du monde, avec les attentats de Charlie Hebdo, la crise migratoire et les destins brisés d'hommes et de femmes en route. Chaos personnel car sa vie heureuse et calme des dernières années s'écroule subitement. Carrère est rattrapé par ses démons, sa violence intérieure, son refus de vivre.

Et de tout cela, de ce magma révulsant, de cette chute libre, de cette souffrance vécue et côtoyée, Carrère fait un livre.

Un livre bouleversant, qui se dévore de bout en bout et dont on sort chamboulé mais debout, ému et terriblement vivant. Comme rarement en littérature, Carrère ose tout: son écriture nous emmène tout au bord du précipice, jusqu'à la part la plus intime et la plus obscure de sa propre existence. Son internement à Sainte-Anne, le traitement par électrochocs, l'envie d'en finir pour de bon. Tout est là, et c'est sidérant de beauté et d'humilité.

Mais "Yoga" est aussi traversé par tant d'autres vies, tant d'autres histoires, des rencontres incongrues, des anecdotes hilarantes, des récits qui se superposent, qui se croisent, des réflexions sur la méditation, l'écriture, la bonté, l'amitié, la sexualité, qu'on ne peut être qu'ébloui par l'architecture lumineuse de ce texte. Emmanuel Carrère nous offre un très grand livre et une expérience humaine inoubliable.

 

P.O.L., 22 eurosbtn commande

Le livre est disponible en format numérique ici.

avant que joublie paulyL'avis de Régis:

Ecrire ce moment-là, à vif. Garder la trace, l'instant, le basculement. Dire le chaos qui surgit, dire que c'était ça qui se passait quand le père est mort. Avant que j'oublie.

Anne Pauly habite son premier roman totalement, elle en fait sa cabane, son refuge. La peine qui ne passe pas, l'enfance et la famille, les formalités liées au décès, les obsèques. Tout est là, dans sa bouche, dans ses mots qui claquent, dans ses phrases qui cognent, dans son humour ravageur. Et puis il y a le père, au centre de tout, dévorant, violent, foutraque et incompris. Et mort. C'est chez lui qu'Anne Pauly s'installe peu après l'enterrement, pour les missions de circonstance: nettoyer, trier, vider. Ce temps du vide et de l'absence, des regrets et des découvertes sont des pages prodigieuses et inoubliables.

Ce texte vous attrape et ne vous lâche plus. Paru et lu il y a tout juste un an, "Avant que j'oublie", par la lumière qui s'en dégage, m'accompagne encore si souvent.

 

 

Éditions Verdier, 14 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici.

bete aux aguets seyvosL'avis d'Anouk:

«Une bête aux aguets», troublant et envoûtant, échappe à toute tentative de définition – tout à la fois récit initiatique, conte noir, roman gothique. Comme dans ses livres précédents, notamment «Le garçon incassable» ou «La sainte famille», Florence Seyvos y observe avec une précision d'entomologiste le territoire de l'enfance, ses jeux et ses cauchemars, ses désirs et sa solitude, ses secrets et sa cruauté.

Anna a 12 ans quand une pneumonie la terrasse. Plusieurs jours de fortes fièvres l'affaiblissent et la plongent dans une torpeur que rien ne semble pouvoir contrer. Une nuit, un médecin ami de sa mère lui administre d'étranges comprimés. « Au même instant, une fraîcheur comme scintillante s'est répandue dans ma tête et dans ma poitrine. J'ai eu l'impression que ma tête s'ouvrait, et respirait. Mes poumons aussi se sont ouverts, je les ai sentis se déplier comme deux ailes soyeuses et amples. Et pendant ce temps, le scintillement continuait à courir dans mes artères et mes vaisseaux, il gagnait joyeusement mon ventre, y tourbillonnait, il envahissait mes bras et mes jambes jusqu'au bout de mes doigts, de mes orteils. Scintillement est le seul mot que j'aie jamais trouvé pour décrire cette sensation ».

Anna guérit, mais désormais son rapport au réel a changé: « Je me suis aperçue depuis quelque temps que je ne croyais plus au monde ». Anna évolue dans un appartement dont les proportions changent sans cesse, « chambre d'écho » de son esprit inquiet. Elle en vient à douter de la matérialité des objets, des voix la poursuivent, le temps se dilate. Les sens d'Anna sont comme aiguisés. Elle délaisse petit à petit la réalité pour traverser le miroir et s'enfoncer dans un univers opaque, instable. Il lui faudra un long cheminement pour comprendre et accepter que cette étrangeté est en elle et non autour d'elle. « Alors j'ai compris que ce dont j'avais peur (...), cette bête aux aguets, prête à me bondir au visage, n'était pas tapie derrière le rideau mais en moi ».

Les parents d’Anna sont douloureusement absents et incapables d’accompagner leur fille sur le chemin escarpé qui est le sien. Ses balises, Anna les trouve auprès d’une amie qui lui offre l’image de la normalité. Auprès de son premier amour, Ariel, au prénom d’archange, figure jumelle et révélatrice. Auprès d’un homme lié à des souvenirs d’enfance, seul adulte clairvoyant et fiable, qui n’est pas le père d’Anna mais lui offre pourtant un nouveau nom.

Florence Seyvos passe par le conte fantastique pour nous parler de la fin de l'enfance et de l'innocence, pour accompagner la métamorphose d'Anna jusqu'au seuil de l'âge adulte. Son écriture subtile, qui colle aux sensations éprouvées par Anna, rend avec force le flux de pensées et d'émotions qui traversent ce personnage fort et fragile, insaisissable, inoubliable.

 

 

Éditions de l'Olivier, 17 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici.