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donato de duveL'avis d'Anouk:

Au commencement, il y a le ciel. Un ciel qui se peint tout seul, de la lumière ardente aux ombres profondes de la nuit.

Au commencement, il y a une pierre. Arrachée à un toit, elle roule et dans son élan emporte tout, se poudre de la poussière des chemins puis se brise en éclats d’argent.

Donato est ce ciel. Donato est cette pierre. Et Éléonore de Duve lui offre l’écrin d’un fascinant premier roman.

Donato s’ouvre dans la lumière des Pouilles. À Cisternino, la vie ressemble à une élégie antique – paysage immémorial de collines se jetant dans la mer, de villages cramponnés à une terre âpre, d’une lumière obsédante qui partout s’infiltre. La terre est baignée des larmes de ceux qui sont partis chercher fortune en Amérique. Elle nourrit chichement ses enfants : il y a la pauvreté véritable, l’indigence difficile à concevoir.

C’est là que naît Donato. Là qu’il grandit dans l’affection de la vieille Lucia, dans l’abandon aux sensations, dans la fatigue d’un labeur incessant. Sa vie est une vie de peu, une parmi tant d’autres, une vie où il n’y a pas de place pour trop de mots. Dire ce que c’est qu’une vie, ce que c’est que cette vie-là, c’est la quête de Clio, la petite-fille de Donato. Avec une conviction, voire une éthique (...), empreinte à la fois de naïveté et d’intégrité, Clio prête ses phrases au grand-père taiseux. Elle invente pour lui, sous le ciel vaste des Pouilles, un lieu où il a pu grandir heureux.

Mais il était écrit que Donato quitterait ce paysage. La vieille Lucia le savait, l’espérait presque – un avenir loin de la faim, de la poussière, de la fatale répétition des jours. Lorsqu’en 1946 un recruteur passe au village, proposant aux jeunes hommes du travail dans les mines en Belgique, elle pousse son Donato au départ, tellement contente en même temps que si triste.

Et le livre bascule, quitte les monts bucoliques pour les terrils du Hainaut et les ciels bas. Donato apprend une nouvelle vie, une nouvelle langue (Il fallait tordre les mots afin qu’ils entrent dans la gorge et parfois, ça grattait). Sisyphe ouvrier, il descend dans les tréfonds, là où le noir aiguise le regard et affine l’attention. Dans le noir, la force de l’esprit est poussée à son comble. Clio l’accompagne là aussi, cherche à tâtons à esquisser des sensations, des gestes, une mémoire. Elle le doit bien à ce grand-père qui, à défaut de son histoire, lui a transmis l’essentiel : une façon d’habiter le monde.

La quête des origines de Clio se coule dans le flux de la langue d’Éléonore de Duve. Une langue éminemment singulière, vive et précieuse, qui signe une retentissante entrée en littérature. Donato est un livre d’invention, comme on appelle inventeur celui qui exhume des trésors enfouis : le roman creuse au plus profond et remonte à la surface des émotions, des tremblements, des sensations. Une matière éminemment sensible filtrée par une écriture rare, joueuse, qui ose la flamboyance et le lyrisme tout en restant limpide. Il y a dans Donato la beauté des premières fois et une confiance dans les pouvoirs infinis de la littérature. Comme son personnage, le livre est constitué d’épaisseurs et de manques, telle la vie, du reste, avec les souvenirs qu’elle nous concède. 

 

Éditions Corti, 21 €btn commande

Vous ne connaissez rien de moiL'avis de Maryse:

Le 16 août 1944, à la Libération à Chartres, le photographe Robert Capa a réalisé un cliché inoubliable : celui d’une femme tondue, le buste droit et le visage incliné vers le nourrisson serré contre son sein, conspuée par une foule rageuse. La primo-romancière Julie Héraclès s’inspire de cette célèbre photographie pour librement retracer le parcours de la jeune femme que l’image intitulée « La Tondue de Chartres » a immortalisée.

Le roman est écrit à la première personne : Simone, née à Chartre dans les années 1920, prend la parole et elle raconte le parcours, depuis son enfance, qui l’a menée jusqu’à la vindicte populaire. Issue d’une famille de commerçants qui aurait pu prospérer mais a échoué, elle grandit dans l’atmosphère aigre des fins de mois difficiles. Sur les bancs de l’école, elle se montre néanmoins extrêmement brillante et tout aussi déterminée à saisir sa chance. Éblouie – comme bien de ses contemporains, faut-il le rappeler – par le système nazi de la fin des années 30, confiante en Pétain, elle s’égare et pénètre dans une brèche dont elle ne sortira pas indemne, bien qu’elle déchante rapidement. Puis surtout, elle tombe amoureuse…

Julie Héraclès donne subtilement vie à un personnage complexe, fort et incandescent, et elle explore sans manichéisme et avec mille nuances les chemins que celui-ci aurait choisi d’emprunter jusqu’à ce jour d’août 1944. L’immersion du lecteur dans le lieu, le milieu et l’époque est directe et précise, la gouaille de Simone traduit sa soif de liberté absolue et sa rage de vivre. Le texte est parfaitement charpenté, l’écriture maîtrisée.

Vous ne connaissez rien de moi est un premier roman brillant, intelligent, déstabilisant et passionnant qui, sans nul doute, marque déjà la rentrée littéraire de toute son originalité.

Jean-Claude Lattès, 20.90 euros.btn commande

 

 Premières phrases du roman :

Dans trois jours, j’aurai vingt-trois ans. Je vais mourir avant. Ils ne me louperont pas. Une balle dans la tête. Le sang gicle comme un geyser et me barbouille les yeux. Le monde devient cramoisi, puis tout noir. Je m’écroule, la gueule fracassée sur le pavé. Petit tas inerte qu’il faudra charrier dans la fosse commune.

Ces visions m’assaillent depuis des jours. Elles dansent la gigue dans mon cerveau, elles me trouent les entrailles. Il n’y aura pas de pitié pour moi. La pitié n’existe pas. La vengeance, oui. Les Allemandes ont fusillé ceux de Chavannes comme des chiens en 42. Aujourd’hui, les vainqueurs ont changé de camp. Je n’aurai droit à aucune clémence. La pute du Boche va être butée.

Marzahn mon amourL'avis de Maryse:

Le roman se déroule à Marzahn, un grand quartier de buildings en préfabriqué de l’ancienne Berlin-Est. Une écrivaine au succès révolu se reconvertit en pédicure et dans le salon qui l’emploie, elle reçoit des gens du quartier – la plupart du temps des personnes âgées mais pas seulement. Alors qu’elle rafistole leurs pieds cabossés, ses clients lui racontent leur histoire, celle de leurs vies anonymes, faites de déboires et de splendeurs, de rires ou de larmes, peu ou prou marquées par les bouleversements des époques… Des tranches de vie aussi uniques qu’universelles.

Voici une savoureuse galerie de personnages constituée de dialogues pleins de tendresse et de drôlerie ; une réflexion sensible sur la vie qui passe et les liens souvent fortuits qui la trament. Une jolie lettre d’amour à un quartier resté populaire, et à ses habitants, rédigée d’une écriture dont la feinte légèreté dépeint une profonde humanité.

Un petit bijou !

Zulma, traduit de l'allemand par Valentine René-Jean, 19,50 euros.

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plexiglasL'avis de Maryse:

À presque trente ans et complètement fauché, Elliott est forcé de retourner à Cholet, la ville de son enfance, pour retrouver du travail. À presque soixante ans et le dos esquinté, Lulu, une caissière du Carrefour de Cholet, est tentée de rejoindre la bande de gilets jaunes qui crament des palettes au rond-point du zoning. Le roman se passe en 2020, et, au rythme des moments clés de l’année qui régissent l’activité commerciale d’un hypermarché de province, raconte l’amitié un peu improbable de ces deux personnages qui, bien malgré eux, vont se retrouver en première ligne des travailleurs « essentiels » durant la crise du Covid.

Plexiglas
 m’a emportée dès les premières pages, comme (ré)immergée dans cette période bizarre et hors du temps des confinements, durant laquelle l’inquiétude et la méfiance contrastait avec les vagues inattendues et parfois vaines – c’est le futur qui l’a montré – de solidarité. Plexiglas m’a clairement fait sourire, émue également, et m’a liée d’amitié avec ses personnages dont, malgré les masques et les plexiglas, je me suis sentie proche. Plexiglas m’a presque rendu sympathique la zone industrielle et commerciale de Cholet, commune du Maine-et-Loire où je n’ai jamais mis les pieds, tant cette cité, ses habitants et leurs virées du week-end dans la galerie commerciale, me rappelaient la ville de province de ma propre enfance.

Mais avant tout, Plexiglas est un roman à l’écriture ciselée, cadencée, ancrée dans le moment présent et assortie d’un remarquable sens de la narration. Enfin, Plexiglas est un concentré d’humanité, drôle et rageur à la fois, un juste hommage à cette « France d’en bas », celle de travailleurs au SMIC qui, pas confinés du tout, ont – faut-il le rappeler – bien trinqué durant une crise sanitaire qui nous paraît déjà si lointaine…

Asphalte Éditions, 21 eurosbtn commande

dragons colinL'avis de Régis:

Les dragons sont jeunes, très jeunes, mais ont déjà vécu mille vies. Les dragons ont la peau dure mais ceux-ci sont blessés, cabossés, mutilés. Les dragons parlent peu, se retranchent, ils ont peur.

Un garçon de 15 ans, submergé par une colère indomptable, est interné pour quelques semaines dans un centre de soins pour adolescents. Et c’est là qu’il les rencontre, ces fameux dragons, ses sœurs et frères de douleur, ces êtres déformés par les violences de notre monde. C’est là aussi que survit Colette, qui doit quitter le centre quelques jours plus tard, le jour de ses 18 ans. Ce qui va unir ces deux adolescents le temps d’un instant est d’une intensité bouleversante. Chaque mot, chaque regard, chaque mouvement a un goût d’éternité, de révolte et de foudre. Vingt ans plus tard, ce même adolescent devenu un homme écrit cette histoire-là…


Jérôme Colin publie un roman intense, tendre et violent à la fois, dérangeant et courageux sur ces adolescents à la dérive. Celles et ceux qui ne veulent pas ou plus grandir, qui refusent notre époque, sa cruauté, sa médiocrité. Celles et ceux dont notre société ne sait pas quoi faire, tant ils sont hors norme.

Les Dragons, c’est un cri de détresse et un cri d’amour. C’est le passé qui ne passe pas et le futur qui peine à convaincre. C’est un roman sur la force. Celle qu’on a en soi, celle qu’on trouve chez les autres. Celle qui souffle dans la littérature.

"J’ai appris tout cela et tant d’autres choses. Là où l’école m’interdisait de copier sur mon voisin, les livres hurlaient qu’il n’y avait de salut que dans l’autre et la coopération. « La force est d’aimer le faible », avait écrit le vieux type au regard triste. C’est de loin la plus importante des leçons. La plus belle phrase de toute l’histoire des phrases."

Éditions Allary, 18.90 euros

Disponible en format numérique icibtn commande